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Automne 2019

Tous pour la protection des enfants

Si la sensibilisation s’est accrue au fil du temps, il reste du chemin à faire pour endiguer la maltraitance des tout-petits.

Depuis quelques années, les chiffres qui traduisent la violence envers les enfants semblent à la hausse. Et les tristes cas de figure se succèdent dans les médias. Faut-il y voir la manifestation d’un problème qui explose ou d’une plus grande prise de conscience de cette réalité? Pédiatre spécialisé en médecine sociojuridique à la retraite, professeur émérite du Département de pédiatrie et chef de file en protection de l’enfance, Jean Labbé pose son regard sur cette question sensible.

La maltraitance envers les enfants aurait-elle augmenté ces dernières années?
Mon expérience me porte à croire le contraire. Pour vérifier cette intuition, il est utile de faire une incursion dans le passé. Certes, il y a toujours eu de la maltraitance envers les enfants, mais l’histoire démontre que les choses s’améliorent, ce qui peut assurément contribuer à réduire le cynisme et le découragement des gens. Je trouve important de remettre les pendules à l’heure: il est inutile d’empirer les choses à propos d’un sujet aussi sérieux.

Comment s’est faite cette évolution?
Les changements ne sont pas apparus de façon constante ou linéaire. Plusieurs facteurs expliquent la diminution des mauvais traitements envers les enfants (voir le paragraphe ci-bas sur les droits de l’enfant). Maintenant, les enfants ont des droits; des lois les protègent. En matière d’éducation aussi, les mœurs ont changé. Par exemple, les corrections physiques ne sont plus tolérées. Les enfants ne sont plus élevés à coups de bâton, une pratique qui, malheureusement, s’est perpétuée longtemps, de génération en génération. Aujourd’hui, ce n’est plus acceptable. Une plus grande sensibilisation à la maltraitance et à ses conséquences au sein de la société au fil du temps a favorisé cette prise de conscience.

Cette sensibilisation accrue à la violence envers les enfants peut-elle laisser croire que le problème est à la hausse?
Oui, car cette plus grande sensibilité s’accompagne d’un nombre croissant de cas rapportés. Au cours des 10 dernières années, le Québec a enregistré une hausse de 30% des signalements à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) ou à la police. Parallèlement, l’Institut de la statistique du Canada révélait une baisse des corrections physiques parentales. En 1999, 48% des parents, en majorité des gens qui n’étaient pas malintentionnés mais qui croyaient que c’était la façon de faire, admettaient en donner à leurs enfants. En 2004, cette proportion est passée à 43% et, en 2012, elle a baissé à 35%. Notre population est conscientisée au fait qu’on n’a pas à battre un enfant pour l’éduquer, mais cela n’exclut pas que certains le font encore, derrière les portes closes. Toutefois, le Québec et le Canada font bonne figure sur le plan légal et dans l’application des lois, notamment en ce qui a trait aux corrections physiques. Nous sommes même en avance par rapport aux États-Unis. Cela dit, bien que tous les moyens mis en place pour lutter contre la maltraitance soient infiniment supérieurs à ce qui existait dans le passé, ils sont loin d’être satisfaisants.

Quelles sont les plus grandes failles?
D’une part, les effectifs voués à cette lutte n’ont pas connu une croissance comparable à celle des signalements, ce qui a engendré des listes d’attente. D’autre part, la réforme du réseau de la santé par l’ex-ministre Gaétan Barrette a entraîné une réduction de l’autonomie des centres jeunesse. Les exigences envers les intervenants ont changé. Ceux-ci doivent désormais respecter une politique de quotas. Par ailleurs, l’encadrement des démarches d’intervention leur laisse très peu de latitude pour agir. Ces gens sont déjà aux prises avec des situations épouvantables, ils doivent en plus subir la critique. Leur travail n’est pas valorisé, ce qui génère un grand roulement de personnel et beaucoup d’épuisement. Enfin, malheureusement, il y a trop peu de professionnels spécialisés en maltraitance. Ce type de ressources humaines se trouve encore surtout dans les grands centres. Déjà, durant mes années de pratique, nous avions bien essayé de bâtir un réseau pan­québécois d’intervenants spécialisés en formant davantage de médecins pour agir comme experts en maltraitance des enfants, mais ça n’a pas fonctionné. J’ai perdu en cours de route presque tous ceux que j’ai tenté de former. Ils se sont découragés.

Comment expliquer ce revers?
Intervenir en protection de l’enfance est extrêmement difficile. Le côté émotionnel est très sollicité. On travaille avec des petits qui sont vulnérables et souffrants. Parfois, ça nous prend à la gorge tellement c’est éprouvant. Dans ma pratique, devant des blessures sur un enfant, je savais que, si cette situation s’était rendue jusqu’à moi, c’était souvent que d’autres avaient fermé les yeux, avaient laissé passer. Personnellement, j’ai pu trouver ma gratification dans le fait de me sentir utile, d’avoir pu changer des vies. Mais plusieurs quittent ce domaine parce qu’ils trouvent tout cela trop dur à supporter.

L’inconfort devant ce sujet si délicat vient aussi du fait qu’il faut démêler le vrai du faux dans les histoires qui nous sont rapportées. Puisque ce sont des humains qui gèrent ce système, des erreurs importantes sont parfois faites, entraînant une éventuelle tragédie. À l’inverse, on peut aussi être blâmé pour avoir cru, à tort, être devant un cas de maltraitance, ce qu’on appelle les situations de «faux positifs». Bref, la maltraitance infantile induit beaucoup de malaises pour plusieurs raisons.

Quelles sont les pistes pour améliorer la situation?
Notre système est essoufflé, il a un urgent besoin d’être réajusté. Le réseau doit être soutenu davantage, il doit être mieux organisé en termes d’encadrement. Le personnel a aussi besoin de plus d’autonomie, de plus de reconnaissance. Il faut également mettre en place des conditions de travail plus favorables pour faciliter son recrutement, mais aussi sa rétention. Autre chose, à tous les niveaux, les intervenants doivent être mieux formés, non seulement les intervenants sociaux, mais aussi les médecins, les policiers, les juges et les procureurs. Rassurons-nous, on ne part pas de zéro, il existe déjà des équipes formées pour traiter les cas de maltraitance des enfants, entre autres chez les policiers, mais il est question ici de bonifier ces formations, d’actualiser les connaissances. Par exemple, j’ai pu constater que bien peu de temps est consacré à la formation en maltraitance des enfants chez les futurs médecins.

Arrivera-t-on un jour à éradiquer la maltraitance des enfants?
L’éradiquer? Non, c’est utopique, mais il est certes possible de la diminuer. En mai dernier, le gouvernement Legault a mis sur pied une commission d’enquête sur la protection de la jeunesse. Je souhaite que cette commission permette d’améliorer le système et réduise davantage la maltraitance des enfants. Il s’agit d’un problème majeur de santé publique et le fait qu’il ne reçoive pas encore toute l’attention qu’il mérite est difficile à accepter pour moi.

La maltraitance infantile brise des vies. Ses conséquences sont énormes, tant physiquement que psychologiquement. Elle altère le développement cognitif des enfants, et son incidence sur la criminalité et sur les maladies physiques et mentales est réelle. À juste titre, des experts français estiment que 25% des sans-abris, 20% des prisonniers et 50% des patients adultes hospitalisés en psychiatrie sont passés par les services de protection de l’enfance. Également, il faut savoir qu’un parent sur trois ayant vécu de la maltraitance dans l’enfance risque de faire subir le même sort à ses propres enfants.

Outre les professionnels, qui peut agir pour contrer la maltraitance et comment?
La maltraitance des enfants nous concerne tous. Beaucoup de situations de maltraitance infantile demeurent dans le secret des familles. Toutefois, le fonctionnement de notre système est basé sur les signalements; c’est le nerf de la guerre. Il faut donc tous demeurer vigilants et agir lorsqu’il le faut. N’oublions pas qu’un signalement peut être fait de façon anonyme: la loi protège les gens afin qu’ils n’aient pas à porter le poids de leur dénonciation auprès des agresseurs et de l’entourage. Car la protection de l’enfance exige plus qu’une prise de conscience. Des lois, ainsi que des personnes qui ont le courage de les appliquer, sont nécessaires pour réaliser des changements.

NDLR: L’annonce faite le 4 juillet dernier par le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, à l’effet d’une somme supplémentaire de 47 millions injectée dans le système de protection de la jeunesse n’avait pas encore été faite au moment de réaliser cet entretien.

***
Les droits de l’enfant
Plusieurs facteurs sont associés à la diminution de la maltraitance infantile au fil des siècles, explique Jean Labbé dans son livre La maltraitance des enfants en Occident, une histoire d’hier à aujourd’hui, paru en début d’année aux Presses de l’Université Laval. Parmi eux, l’amélioration des conditions de vie et de l’hygiène publique ainsi que le degré plus élevé de scolarité de la population. Les mentalités aussi ont changé, explique l’expert. À preuve, le travail des enfants est réglementé. Également, l’autorité paternelle a été remplacée par l’autorité parentale, exercée par les deux parents, dans le respect des intérêts des enfants sous supervision de l’État, qui peut désormais intervenir pour assurer leur sécurité. Aujourd’hui, les enfants sont perçus et reconnus comme des personnes à part entière, ayant des droits encadrés par des conventions internationales, dont la plus importante est la Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée des Nations Unies le 20 novembre 1989.

Si à ce jour 55 pays dans le monde ont interdit les corrections physiques aux enfants, il n’en demeure pas moins qu’il reste du chemin à faire, note Jean Labbé. «Par exemple, l’article 43 du Code criminel canadien (1872) donnant le droit aux parents et aux enseignants d’infliger une correction physique “modérée et raisonnable” est toujours en vigueur», mentionne-t-il. Ce droit autorise l’usage de la force pour corriger un enfant «pourvu que la force soit raisonnable dans les circonstances». Au Québec, l’article du Code civil à ce sujet a été retiré en 1994.

 

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  1. Publié le 4 novembre 2019 | Par Jean-Pierre Lanouette

    Je suis infirmier en milieu carcéral et je confirme la présence de jeunes adultes issus de la DPJ. C'est anormal que le système forme des toxicomanes, des itinérants et des criminels quand, au départ, ces enfants devenus adultes étaient des victimes d'abus. Alors la question est : Pourquoi les victimes se retrouvent en prison et pourquoi leur bourreaux, eux, demeurent en liberté? Il y a un manque dans la chaîne des répercussions. Au départ, si l'enfant victime de sévices demeure à la maison et que le parent fautif (la menace) est retiré de son entourage, les chances de faire de l'enfant un toxicomane, un prostitué, un fugueur, un dépressif, un itinérant, un prisonnier, etc., sont diminuées de façon majeure.
    Si le parent fautif est pris en main, par de la thérapie, de l'éducation, des cours sur le développement de l'enfant etc., on risque de diminuer les comportements malsains de la part de l'agresseur. Si le parent refuse de se soumettre à ces interventions, des moyens de coercition (centre d'accueil, foyer de groupe, prison, enfin tout ce que la société offre aux enfants victimes de mauvais traitements) peuvent au moins retirer le parent fautif de l'entourage de l'enfant le temps que celui-ci passe les différents stades de développement qui en feront un adulte. Ici, je ne parle pas d'un parent qui abuserait sexuellement de l'enfant, car celui-ci ne devrait plus jamais se retrouver en présence de l'enfant, même adulte.
  2. Publié le 21 septembre 2019 | Par Sonia Garneau

    Très pertinent et véridique. Je m'appelle Sonia Garneau. Boursière de l'Université Laval en service social.

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