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Automne 2018

Quel avenir pour les proches aidants?

Si certaines mesures semblent se mettre en place, beaucoup reste à faire pour venir en aide aux proches aidants.

Marianne Chevalier

Ils apportent un soutien essentiel à leur enfant handicapé, à leur conjoint atteint de cancer, à leur parent âgé en perte d’autonomie. Les cas de figure sont multiples, et se multiplient. Les données de l’Enquête sociale générale 2012, citées par l’Institut de la statistique du Québec (2015), montraient qu’une personne sur quatre, âgée de 15 ans et plus, est une proche aidante ou un proche aidant. Actuellement, près de 80% de toute «l’aide aux bénéficiaires» prodiguée au Québec l’est par des proches aidants, sur une base volontaire. L’État évalue à plus de cinq milliards de dollars la valeur de leurs services.

Depuis longtemps, les proches aidants réclament des gouvernements une reconnaissance qui refléterait cette valeur. De récentes initiatives semblent pointer vers cette direction. Par exemple, l’annonce, en décembre 2017, d’un assouplissement, par le gouvernement fédéral, des règles de prestations d’assurance-emploi auxquelles certains proches aidants pourraient devenir admissibles. Mais, au-delà des politiques, ce rôle, par ailleurs davantage féminin que masculin, est-il le reflet d’un choix fait en toute liberté par celles et ceux qui l’endossent, malgré toute leur bonne volonté?

La proche aidance, une question de choix?
«On ne peut pas se dissocier facilement de la proche aidance lorsqu’un membre de notre famille se retrouve en situation de maladie ou d’invalidité, note d’entrée de jeu Sophie Éthier, professeure agrégée à l’École de travail social et de criminologie. Pour la plupart d’entre nous, veiller aux soins de nos proches, c’est dans nos gènes! Les gens le font sans se poser de question, spontanément en quelque sorte.» Or, précise-t-elle, si protéger et prendre soin de sa famille est une prédisposition somme toute innée, ce n’est pas le cas pour tout ce qui en découle. Là s’arrête la limite d’une capacité qui serait «naturelle». Professeur titulaire et directeur de l’École de psychologie, Jean Vézina abonde dans le même sens. «Si aider est un élan naturel, l’ampleur de la tâche à assumer lorsque la situation se prolonge, parfois même au détriment de sa propre santé, ne l’est pas». Cette figure des soins apportés aux proches comme allant de soi découle d’une vision historique, explique-t-il. La proche aidance ayant toujours existé, elle est perçue comme étant normale.

D’ailleurs, la dénomination «aidant naturel» était utilisée dans les premières recherches sur la question, menées dans les années 1990. Désormais, pour éviter l’ambiguïté, on parle de «proche aidant». Ce terme demeure toutefois vaste et imprécis, car cibler à partir de quand une personne est considérée comme proche aidante relève d’un exercice ardu, note Jean Vézina. Le professeur donne pour exemple le cas d’un jeune qui va tondre la pelouse chez son oncle aux prises avec une maladie dégénérative. «Doit-on le considérer comme un proche aidant? Il n’est certainement pas aussi impliqué dans les soins que l’est la conjointe du malade quotidiennement, mais il aide, à sa mesure. Les membres de la famille qui se relaient pour s’occuper d’un malade ne se partagent pas tous la tâche à parts égales… alors qui est proche aidant et qui ne l’est pas?»

Par conséquent, encore aujourd’hui, la grande majorité des proches aidants ne s’identifient pas comme tels, soutient le professeur. «Ils estiment simplement qu’ils font ce qu’ils doivent pour la famille. C’est une tâche complexe de les reconnaître avec précision, de les dénombrer et, donc, de leur venir en aide.»

Aider au-delà du possible
Travailleuse sociale spécialisée en gérontologie et assistante auxiliaire d’enseignement à l’École de travail social et de criminologie, Carolanne Lauzer observe dans son travail au quotidien que la proche aidance se conjugue parfois difficilement avec les nouveaux modèles familiaux. «Chez certains, on voit une belle mobilisation de tous les membres, précise-t-elle. Mais la réalité d’aujourd’hui, c’est que les familles sont souvent peu nombreuses, recomposées ou dispersées. Il est fréquent que les enfants et les proches d’une personne qui a besoin de soins vivent à l’extérieur de la région où celle-ci habite. La prise en charge est alors moins évidente, indique la travailleuse sociale, et c’est là que l’offre de services prend tout son sens.»

Quant au statut de proche aidant, Carolanne Lauzer constate qu’il se révèle trop souvent avec l’alourdissement de la maladie. «Plusieurs personnes ne savent pas qu’elles sont proches aidantes jusqu’à ce que la situation soit très avancée. C’est alors qu’elles réalisent l’importance de leurs responsabilités et du rôle qu’elles jouent dans la vie du malade, qui n’y arriverait pas sans elles.»

Avant cette phase critique, beaucoup de proches aidants sont portés par la valorisation qu’ils retirent de leur engagement auprès du malade, même s’ils s’y sentent obligés par le lien qui les unit, mentionne Mme Lauzer. Cependant, à mesure que la situation prend de l’ampleur, la tâche devient plus lourde à porter. La perte d’autonomie qui s’accentue et le comportement du malade qui change entraînent immanquablement de l’épuisement physique et mental chez le proche aidant. La charge émotive devenant beaucoup plus grande, un déséquilibre psychologique survient. «Malheureusement, au moment de demander de l’aide, les proches aidants ne sont pas intégrés au réseau où ils pourraient en recevoir rapidement alors qu’ils sont déjà au bout du rouleau.»

Manque de soutien et conséquences
Les spécialistes sont unanimes, les proches aidants sont hautement à risque de présenter de sérieux problèmes de santé comme l’anxiété, la détresse psychologique, l’isolement, la fatigue, etc. «Ils s’investissent tellement dans leur rôle qu’ils ne se soucient plus d’eux-mêmes, explique Jean Vézina. J’ai étudié le niveau de détresse chez les proches aidants au fil de l’évolution de la maladie d’Alzheimer. C’est à l’arrivée des problèmes comportementaux que la situation devient vraiment dérangeante pour le proche aidant. L’aspect fonctionnel du malade, sa perte d’autonomie progressive, c’est déjà très demandant, mais la fatigue mentale et physique s’ajoute lorsque les problèmes comportementaux entrent en ligne de compte. Et là, c’est la goutte qui fait déborder le vase! C’est souvent l’élément déclencheur des demandes d’aide extérieure ou de placement du malade en établissement.»

«On sait depuis 25 ans que le vieillissement de la population s’accélère rapidement, mais on ne s’y est pas bien préparé», ajoute Sophie Éthier. Celle-ci mentionne qu’au tournant des années 2000, il existait un service de répit-gardiennage offert par les CLSC. «Mais l’État s’est désengagé de cette responsabilité. Depuis, des entreprises d’économie sociale ont essayé de combler le vide par des services d’entretien ménager et d’aide à domicile pour les aînés. Mais puisque ces services ne sont pas offerts par des gens avec une formation spécialisée, on ne peut pas parler de répit.»

Cela dit, la professeure souligne que de nombreuses études ont démontré que malgré l’aide qu’ils reçoivent pour l’entretien ménager, l’hygiène du malade ou un répit, les proches aidants ne voient pas pour autant diminuer leur sentiment de responsabilité. «Ils sont constamment inquiets, soucieux de leur proche qui est dans une situation de vulnérabilité, surtout lorsqu’ils en confient les soins ou la garde à quelqu’un d’autre. Ils s’épuisent inévitablement, malgré l’aide dont ils bénéficient.»

Mme Éthier ajoute que la perte d’autonomie, de dignité et d’intégrité de leur proche touche profondément les aidants et les affecte psychologiquement. «À travers tout cela, ils veulent préserver la relation, dont les bases ont complètement changé. Il en résulte une réalité de plus en plus difficile à vivre, à la fois pour le malade et son proche aidant.»

Quand aider a un prix
Malgré cette double problématique, Sophie Éthier estime que le réseau de la santé est conçu uniquement en fonction du bénéficiaire et exclut le proche aidant. «Le système de santé québécois «instrumentalise» le proche aidant en quelque sorte, dit-elle. Ce dernier comble des besoins importants et allège le réseau et les services communautaires de manière considérable. Pourtant, l’aide de l’État ne lui est offerte que lorsqu’il a épuisé toutes ses ressources en termes d’énergie ou d’argent. Bref, le système actuel appauvrit le proche aidant!»

Jean Vézina met lui aussi en lumière l’impact socioéconomique de la proche aidance. «Cette situation entraîne des demandes de congé de tout ordre, maladie, vacances, arrêt de travail, pour assurer les soins au malade. Les pertes de revenus qui en résultent génèrent souvent des problèmes financiers chez les proches aidants. Une situation de maladie temporaire nécessitant quelques semaines de congé, c’est une chose, mais un cancer, une maladie dégénérative ou incurable qui se prolonge sur plusieurs mois, voire plusieurs années, c’est très pénalisant!»

Sans compter qu’au bout du compte, l’État aussi s’appauvrit, renchérit le directeur de l’École de psychologie. Car ce que le gouvernement économise grâce à l’apport des proches aidants, il le perd en raison de leur baisse de productivité et de la réduction de leur pouvoir d’achat, détaille le professeur. Ainsi, les cinq milliards économisés en soins de santé ne se transposent assurément pas en un gain net.

Des pistes de solution
Jean Vézina mentionne qu’il existe bien quelques mesures fiscales qui s’adressent aux proches aidants, mais leurs conditions d’admissibilité sont très limitées. «Et il n’y a pas assez de services disponibles», fait-il remarquer. Or, le professeur en est convaincu, le développement de services adéquats et adaptés à leurs besoins passe inévitablement par une meilleure compréhension du rôle des proches aidants. «Mais, pour cela, il faut débuter à la base du problème. Les proches aidants doivent d’abord pouvoir se reconnaître comme tels afin de contribuer à la mise en place d’un système adéquat. C’est primordial.» Cet exercice, admet-il, s’échelonnera sur une longue période. «On en a encore pour quelques années à bien cerner leur réalité an de mieux répondre à leurs besoins.»

Pour l’heure, le chercheur continue de mener un projet auprès des proches aidants de malades atteints d’Alzheimer. Appelé PIANO (Portail intégré d’applications numériques pour ordinateur), ce projet leur offre un accès au soutien d’experts et d’autres proches aidants, à partir de leur domicile.

Quant à Sophie Éthier, elle a déposé, à l’automne 2017, un mémoire dans le cadre de la consultation sur le plan d’action gouvernemental 2018-2013 de la politique Vieillir et vivre ensemble, chez soi, dans sa communauté, au Québec. Elle y propose une stratégie nationale concrète incluant la mise sur pied d’un comité interministériel sur le sujet, lequel touche plusieurs aspects. «Le Regroupement des aidants naturels du Québec a fait la même chose, souligne-t-elle. Les leviers que nous proposons pourraient dès maintenant servir de base aux travaux gouvernementaux. Des pistes, il y en a.»

Parmi elles, l’importance de sensibiliser la population à la proche aidance et à tout ce qu’elle implique. «Car malgré sa prévalence, fait valoir Sophie Éthier, cette réalité, en constante augmentation, demeure malheureusement méconnue. Également, il nous faut établir une structure de prise en charge préventive, pour agir en amont du problème.» Par exemple, selon Mme Éthier, pour qu’on puisse bien les répertorier et les accompagner adéquatement dans leur rôle évolutif, les proches aidants devraient être identifiés par le médecin sitôt que le malade qu’ils accompagnent reçoit son diagnostic. «Les services qui existent actuellement sont sous-utilisés parce qu’il n’y a pas d’arrimage au moment adéquat entre le système et les proches aidants», note-t-elle.

Puis un suivi régulier des besoins psychosociaux du proche aidant, en parallèle avec les traitements reçus par le bénéficiaire, devrait être maintenu. «Au début, le proche aidant a tendance à affirmer que tout est correct, qu’il tient bon. La régularité du suivi permettra de noter l’évolution de sa situation personnelle face à son rôle.» Autrement dit, soutenir davantage les proches aidants passe par une méthode mieux organisée et structurée. «C’est tout le système qui est à revoir, même sur le plan de l’éducation.»

Dans cette optique, Mme Éthier proposera, cet automne, un nouveau cours de premier cycle, Proche aidance, enjeux théoriques et pratiques, qui figurera au programme de la Faculté des sciences sociales. «Les nouvelles générations sont plus instruites, plus exigeantes. Elles vont faire bouger les choses, croit-elle. Installées au pouvoir, elles vont voir la situation sous un angle différent. La conjoncture sera alors meilleure que jamais, et j’ai bon espoir que le dossier finisse par avancer.»

***
Définition du proche aidant
En 2012, dans le cadre de sa politique en matière de vieillissement, Vieillir et vivre ensemble, le gouvernement du Québec a défini le proche aidant comme suit: «Le proche aidant est une personne qui, au cours des mois précédant l’enquête, a fourni de l’aide ou des soins à un ou plusieurs bénéficiaires en raison d’un problème de santé de longue durée (qui est censé durer ou qui a duré 6 mois ou plus), d’une incapacité physique ou mentale ou de problèmes liés au vieillissement. L’aide doit avoir été fournie pour au moins un des types d’aide suivants: le transport, les travaux domestiques, l’entretien de la maison, les soins personnels, les traitements médicaux, l’organisation des soins, les opérations bancaires et d’autres activités diverses. L’aide rémunérée auprès de clients ou bénéficiaires, ou l’aide fournie par l’intermédiaire d’un organisme, est exclue de cette définition.»

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  1. Publié le 23 août 2020 | Par sdmaintenance26@gmail.com

    C'est bien normal que les proches aidants réclament des gouvernements une reconnaissance qui refléterait cette valeur. Puisqu'ils font un travail qui sauve des vies, ils méritent les plus nobles gratitudes.
  2. Publié le 9 novembre 2018 | Par Yvon Bureau

    Le 1e proche aidant, c'est l'aidé.

    Pendant qu'il est apte, il se doit de dire et d'écrire qui il est, ses croyances, ses valeurs, ses directives, sa dignité, sa liberté.

    Apte, il doit avoir rempli et signé ses «Directives médicales anticipées». Par amour pour lui, pour ses proches et pour ses soignants. C'est un acte de grand civisme, de savoir-vivre et de compassion pour les autres.

    Si l'aidé a ses droits et ses libertés, il a cette responsabilité haute en amour des proches et des soignants.
  3. Publié le 25 septembre 2018 | Par Suzanne J

    Bonjour
    Comme aidante naturelle, j'étais intéressée par votre billet. À la mention de recherche associée aux proches aidants, je me suis connectée au site PIANO afin de m'inscrire. Malheureusement, cette étude n'est plus accessible.
    Salutations
  4. Publié le 25 septembre 2018 | Par Sandra

    C'est très encourageant de lire que des personnes s'intéressent à la situation globale des proches aidants. Je suis une proche aidante depuis des années et je me reconnais tout à fait dans les descriptions et exemples que vous donnez. Merci de poursuivre dans le développement d'approches qui prendront aussi soin de nous.
  5. Publié le 25 septembre 2018 | Par guy maranda

    Très bon article.
  6. Publié le 24 septembre 2018 | Par Claudine Nadeau

    Mes 2 derniers fils étaient atteints d’une nouvelle maladie orpheline (2 seuls cas connus au niveau mondial). Ils furent lourdement handicapés et souffrants. Philippe est décédé à 4 ans en 2010. Louis est décédé à 5 ans en 2017. Étant infirmière clinicienne, j’ai quitté mon emploi afin de prendre soin de mes fils à la maison, où ils sont décédés. Même mon ordre professionnel (OIIQ) considère tous les soins que j’ai donnés comme étant des soins infirmiers (non-rémunérés évidemment). Avec l’équipe médicale, nous avions calculé que je sauvais environ 500 000$/année à l’État, car j’assumais moi-même «l’hospitalisation» et tous les frais s'y rattachant, entre autres leur lourde médication. J’ai eu très peu d’aide de mon entourage comme de l’État.

    Et là, je lis votre texte, et je me rends compte que je ne cadre même pas dans la définition du proche aidant donnée par le gouvernement; mes fils n’étant pas « vieillissants »... Je ne suis qu’une maman qui a tout donné y compris sa santé. J’imagine que c’est ça la définition d’une maman, le don de soi...?
  7. Publié le 24 septembre 2018 | Par Pierre Carrier

    Très intéressant, mais nous n'avons pas encore trouvé les bonnes façons de soutenir les proches aidants adéquatement.
  8. Publié le 24 septembre 2018 | Par Chantale Tremblay

    Le Réseau des Appuis travaille fort pour sensibiliser la population à la proche aidance. De plus en plus d'ententes de référencement sont conclues entre un Appui régional et le réseau de la santé afin d'agir en amont et prévenir l'épuisement des proches aidants afin que le proche aidant soit vite pris en charge. La méthode de prévention de l'épuisement de Mmes Michelle Arcand et Lorraine Brissette est reconnue à travers le monde et les intervenants de différentes régions œuvrant auprès des proches aidants sont formés avec cette méthode. De plus, à lui seul le répit ne peut réellement donner une pause aux proches aidants sans que cela soit accompagné d'un soutien psychosocial. Visitez leur site Web pour obtenir des portraits statistiques à jour. lappui.org

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