L’intelligence émotionnelle au travail
Les émotions devraient-elles être gardées en dehors du bureau? Et si les laisser y entrer, tout en sachant mieux les gérer, était plutôt gage d’efficacité?
Renée Larochelle
Compétitivité, révolution numérique, économie mondialisée, les transformations du monde du travail exercent une forte pression en entreprise, tant sur les dirigeants que sur les employés. Dans ce contexte, comment maintenir la motivation et le mieux-être des troupes? Une réponse circule de plus en plus dans le monde du management: l’intelligence émotionnelle, pressentie comme une compétence clé pour relever ce défi. L’intérêt pour cette tendance grandit. Si bien qu’elle apparaît, selon le Forum économique mondial, parmi les 10 outils essentiels pour soutenir l’avenir des organisations.
Psychologue du travail et professeur titulaire au Département de management, Charles Baron s’intéresse à la question. Spécialisé en leadership et en innovation collective, il a fondé le programme LEADERS qui s’emploie à soutenir le développement d’un leadership plus authentique chez les gestionnaires. Il trace ici les grandes lignes du concept d’intelligence émotionnelle et de ses applications au travail.
Qu’est-ce que l’intelligence émotionnelle?
L’intelligence émotionnelle, c’est la capacité d’écouter et de mettre en commun ce que notre tête et notre cœur nous disent et d’agir en tenant compte des deux à la fois. Dans la vie de tous les jours, nous posons des gestes en nous basant sur des informations dont certaines sont transmises par notre tête et d’autres par notre cœur. Souvent, nous avons tendance à opposer ces deux parties, rationnelle et émotionnelle. Pourtant, chacune prise séparément nous donne accès à une analyse partielle et biaisée d’une situation donnée. Faire appel à notre intelligence émotionnelle permet de concilier les deux et, donc, de prendre de meilleures décisions et de poser des gestes plus justes et à propos.
Quels renseignements utiles peut-on tirer de nos émotions?
Les émotions nous renseignent généralement sur le degré de satisfaction de nos propres besoins et de ceux de notre entourage. C’est une forme d’analyse très rapide, ressentie dans le corps. Plusieurs recherches démontrent que nous disposons de suffisamment de neurones dans le cœur et les autres viscères pour considérer qu’ils incarnent un cerveau en soi. Nos émotions sont donc porteuses d’intuitions et de savoirs, et peuvent nous aider à y voir plus clair, à faire preuve de discernement dans une situation donnée.
Par ailleurs, nos émotions influencent nos battements cardiaques et le champ électromagnétique qu’ils suscitent. Or, ce champ magnétique altère le battement cardiaque et l’expérience émotionnelle des personnes autour de nous. Ce phénomène s’appelle la résonance émotionnelle. Cette résonance est particulièrement critique et importante lorsqu’un groupe est soumis à des émotions fortes. Ces émotions ont alors tendance à s’accorder, pour le meilleur et pour le pire. Ainsi, être sensible à soi-même et aux autres permet d’avoir des contacts beaucoup plus harmonieux avec notre entourage.
Comment ces notions s’appliquent-elles en milieu de travail?
Selon le psychologue américain Daniel Goleman, ayant popularisé le concept de l’intelligence émotionnelle, les dirigeants ou gestionnaires qui en sont dotés vont non seulement déceler les moments où leurs employés sont aux prises avec des émotions dites destructrices, comme la peur ou la colère, mais ils vont aussi tout mettre en œuvre pour les aider à s’en extirper. Pour ce faire, ces mêmes gestionnaires gagneront à reconnaître ces émotions lorsqu’elles les tenaillent eux-mêmes.
Ainsi, un gestionnaire préoccupé par la réalisation d’objectifs stratégiques sera beaucoup plus en phase avec ses collaborateurs et son environnement en reconnaissant et en remettant en perspective ses propres craintes de ne pas réussir à atteindre ces objectifs. Loin de le poser en victime, la juste interprétation de son expérience émotionnelle lui permet d’endosser un rôle d’allié désireux de changer les choses, dans une ambiance de saine collaboration.
Dans ce contexte, diriger est donc bien différent de contrôler…
«Diriger, ce n’est pas dominer, c’est savoir persuader les autres de travailler pour atteindre un but commun», affirme Daniel Goleman. Cet énoncé renvoie à la distinction qu’on peut faire entre autorité et leadership. Souvent, lorsqu’on est en position d’autorité, il est tentant d’utiliser des stratégies de contrôle et de coercition. Or, les membres d’une organisation donnent rarement le meilleur d’eux-mêmes à des dirigeants contrôlants ou autoritaires. Le plus souvent, ces membres vont travailler juste ce qu’il faut pour ne pas être pénalisés, se limitant à répondre aux attentes de façon à assurer leur sécurité et à maximiser leurs intérêts personnels à court terme. Adieu alors la mobilisation et le bien commun! Par contre, dans une logique de sain leadership, le gestionnaire se mettra à l’écoute des aspirations et des besoins des gens autour de lui pour mieux les aligner sur une mission commune. Quand un leader semble pouvoir répondre à ces aspirations, ses collaborateurs vont être prêts à le suivre. D’ailleurs, dans sa plus noble expression, le leadership est compris comme le pouvoir d’influence qu’on prête à une personne qui nous aide à répondre à nos besoins de sens, de maîtrise et de solidarité.
Y a-t-il des pratiques concrètes qui aident à appliquer cette approche dans les organisations?
Il y a un lien très important à faire entre l’intelligence émotionnelle et cette capacité désignée comme la présence attentive (mindfulness) aussi appelée méditation pleine conscience. Inspiré par Mario Cayer, également professeur au Département de management, j’ai commencé à enseigner la méditation aux gestionnaires, il y a une quinzaine d’années. À l’époque, nous n’osions pas prononcer le mot «méditation» considéré comme trop ésotérique! Aujourd’hui, la présence attentive est reconnue comme ayant de multiples vertus. Entre autres, elle permet de suspendre notre «pilote automatique» pour mieux lire le contexte dans lequel on intervient et les besoins qui en découlent. Quand on commence cette pratique, on réalise à quel point on contrôle peu notre mental et comment les idées se bousculent parfois dans notre esprit. Comment aussi nos pensées, nos émotions et nos intentions sont conditionnées par des automatismes. En étant plus présent à soi-même, on est plus à même de prévoir les particularités d’une situation et d’agir en conséquence.
Cette capacité peut avoir des effets très bénéfiques en contexte de travail. Grâce à elle, un gestionnaire qui a l’impression qu’un employé ne donne pas son plein rendement pourra, plutôt que lui mettre de la pression, se placer en mode écoute et s’apercevoir que celui-ci, par exemple, fait face à un drame dans sa vie personnelle. En reconnaissant avec bienveillance le vécu et les besoins de son employé, ce gestionnaire sera beaucoup plus à même de faire alliance avec lui. Ainsi, il est fort probable que les choses s’amélioreront.
Pourquoi dit-on de l’intelligence émotionnelle qu’elle est plus que jamais cruciale dans les organisations?
Actuellement, les réalités organisationnelles changent à un rythme effréné. Les organisations sont face à des défis technologiques, économiques et sociaux sans précédent. Le fait de prendre appui sur d’anciennes habitudes pour composer avec de nouveaux défis n’aide certainement pas à atteindre les buts fixés. Les organisations sont donc appelées à les dépasser pour s’adapter aux réalités d’aujourd’hui tout en se transformant sur une base continue. Or, l’intelligence émotionnelle et la présence attentive permettent de prendre conscience de nos habitudes de pensée et de les revoir. Une organisation gagnera donc à cultiver ces capacités pour que ses acteurs reconnaissent et dépassent les limites de leurs stratégies habituelles afin d’en développer de nouvelles, plus adaptées. En fait, notre aptitude à apprendre et à innover dépend de notre capacité à accueillir et à investiguer nos expériences avec bienveillance, qu’elles soient agréables ou non. Et un véritable leader aidera les membres de son équipe à reconnaître que, si agir d’une certaine façon a pu être efficace dans le passé, désormais, la solution réside ailleurs. Nous entrons donc dans une ère où les acteurs organisationnels gagnent à se voir, les uns les autres, comme des partenaires d’apprentissage et d’innovation.
Cette approche encourage donc la force du groupe?
Tout à fait. Et plus on aura conscience de ne pas détenir seul la vérité, plus on reconnaîtra qu’on a besoin les uns des autres, plus on aura des organisations viables, agréables et productives. La clé du succès n’est pas dans la recherche de performance comme but premier. En revanche, la performance découle de la maîtrise de soi et du respect d’autrui. La beauté de l’affaire, c’est qu’en reconnaissant leurs limites et leurs besoins de soutien mutuel pour réaliser leur mission commune, les membres d’une organisation peuvent se dépasser en contribuant au bien commun. C’est là une des plus grandes satisfactions qu’on puisse espérer vivre au travail. C’est un peu le message qu’a voulu transmettre le président John F. Kennedy à ses compatriotes quand il a dit: «Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous plutôt ce que vous pouvez faire pour votre pays.»
Comment enseigne-t-on l’intelligence émotionnelle aux cadres et aux dirigeants?
À la Faculté des sciences de l’administration, un nouveau programme – intitulé LEADERS – prend place cet automne. S’adressant à des dirigeants et à des gestionnaires, il vise à favoriser le développement d’un leadership plus authentique, sage et courageux. L’accent est mis sur les façons de soutenir les transformations des gens autour de soi. Basé sur l’expérience, LEADERS invite ses participants à des pratiques de présence attentive et de développement personnel. Ces pratiques leur permettent d’être plus conscients et de s’affranchir des limites de leurs modèles mentaux, de leurs attachements à certaines idées ou habitudes, etc. Les participants sont aussi initiés à l’utilisation d’une communication dite non violente. Cette méthode s’articule autour des besoins de chacun et permet d’arriver à une compréhension et à des solutions mutuellement satisfaisantes. Enfin, les participants sont invités à élaborer un projet de développement personnel autour du pouvoir, du leadership, de l’autorité ou des habiletés politiques. L’exercice d’une autorité saine est ainsi abordé. Comme je l’ai mentionné précédemment, on associe trop souvent, à tort, l’autorité à l’autoritarisme, à l’abus de pouvoir, au contrôle, alors que l’autorité saine ne peut être dissociée de la bienveillance.
Publié le 16 février 2019 | Par Suzanne
Publié le 21 novembre 2018 | Par frederic
Publié le 13 novembre 2018 | Par Guillaume Coudray
On se retrouve sur Parlons-nous ! Le portail de la résolution amiable des litiges...
... et de la communication - www.guillaumecoudray.fr -
Publié le 3 octobre 2018 | Par catherine
Publié le 1 octobre 2018 | Par Denise Bilodeau
Et surtout le temps de prendre le temps de
capter l'émotion à cueillir.....comme une fleur...!
Et la humer en souriant selon sa FORME.....
Publié le 25 septembre 2018 | Par Véronique D'Amours
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