Les migrants face aux frontières
Les études menées par les étudiants de la Chaire de recherche du Canada sur les dynamiques migratoires mondiales déboulonnent certains mythes.
Pascale Guéricolas
Il suffit de prononcer le mot «réfugiés» pour y voir associé des images de gens désœuvrés. En fait, le quotidien des 258 millions de personnes déplacées à travers le monde – selon les statistiques de l’ONU – a bien peu à voir avec ces stéréotypes. La plupart des gens partis pour fuir la guerre, des persécutions ou un climat de violence travaillent. Ils vivent dans des maisons ou des appartements en ville. Enfin, certains ont choisi volontairement de partir pour améliorer leur vie.
Myriam Ouellet, étudiante à la maîtrise en géographie, a plongé dans la grouillante Chatila, en banlieue de Beyrouth. Pas de tentes dans ce camp de 1 km2 créé en 1968 pour accueillir les Palestiniens expulsés de leurs terres, mais des édifices en briques blanches, reliés par une forêt de fils électriques! Beaucoup de Syriens nouvellement arrivés y habitent et s’insèrent dans une économie en grande partie informelle. «La grande diversité des situations des personnes déplacées m’a frappée, explique la jeune femme. Certaines ont le statut d’étudiant, d’autres sont parrainées par des employeurs. Elles attendent la fin de la guerre, sans trop rêver de partir comme réfugiés dans un pays du Nord, puisque cela ne concerne que 1% des personnes déplacées.»
Malaisie, Soudan, Liban… Ces Syriens ont souvent multiplié les pays de transit au cours de leur périple, car les frontières de nombreux États ne cessent de se fermer. C’est la même chose pour les Sénégalais, les Maliens et les Togolais, qui traversent une partie du continent africain avant d’être bloqués par la police et l’armée libyennes, qui les enferment dans des camps de travail. L’Union européenne finance ce genre de mesures pour se protéger des populations en déplacement. «Les pays du Nord ont tendance à déléguer aux autres la mise en place d’obstacles pour entrer chez eux», remarque Danièle Bélanger, professeure au Département de géographie et titulaire de la Chaire.
C’est une tendance qu’étudie Guillermo Candiz, doctorant en géographie, dont les recherches portent sur les trajectoires migratoires des immigrants irréguliers en Amérique centrale et au Maroc. «Les États-Unis financent en partie le plan Frontière Sud mexicain, qui vise à refouler les gens qui arrivent à la frontière entre le Mexique et le Guatemala ou le Belize, raconte-t-il. Les fonctionnaires, qui aidaient autrefois les migrants, deviennent des informateurs de la police mexicaine.» Le nombre de personnes expulsées du Mexique vers les pays d’Amérique centrale ne cesse d’augmenter, sans que la douane américaine ait même à intervenir.
Toutefois, constate Danièle Bélanger, la proportion de personnes déplacées à travers le monde ne bouge pas depuis plusieurs décennies. «Elle s’établit à environ 3,4% de la population mondiale. Il s’agit d’une réalité économique et sociale. Avant de constituer un problème politique, il faudrait davantage prendre en compte la contribution économique des migrants.»
Au Vietnam, le gouvernement restreint encore les déplacements de ses citoyens pour mieux les contrôler. Pour sa maîtrise en géographie, Guillaume Haemmerli s’intéresse à ces milliers de villageois qui quittent leur campagne pour les villes. «Les autorités n’ont pas le choix, cependant, de relâcher un peu leur contrôle, car les entreprises ont besoin de cette main-d’œuvre.» Ce phénomène de citoyens à deux vitesses, les uns migrant dans leur propre pays, les autres disposant d’un statut complet, illustre bien la complexité des personnes en mouvement sur une planète dite mondialisée.
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