Se nourrir, quel casse-tête!
Inondé d’information et influencé par ses gènes, qui veut bien se nourrir manque de repères. Les chercheurs en suggèrent trois: faim, satiété et plaisir.
Par Nathalie Kinnard
Au secours! J’ai la tête qui tourne! Un jour, le chou kale est LE superlégume aux multiples vertus, que je peux consommer à profusion. Le lendemain, j’apprends qu’il faut en manger avec modération, faute de quoi mon organisme risque de se rebeller. On me dit aussi que le chocolat est bon pour la santé, mais seulement s’il est noir et si je me limite à un petit carré par jour (tout un défi!). Car le sucre est mon ennemi, tout comme le sel et le gras, mais pas tous les gras. Certains sont essentiels à une bonne santé, comme les gras monoinsaturés des amandes. Attention cependant de ne pas trop manger de ce fruit à coque, car il est calorique! Difficile de s’y retrouver…
Comme pour tout comportement humain, la manière de s’alimenter est guidée par un ensemble de facteurs personnels, parmi lesquels figurent préférences, croyances, émotions, influences sociales, bagage génétique et… connaissances sur la nutrition. Malheureusement, au lieu de nous aider à faire les bons choix pour remplir sainement notre estomac, les conseils alimentaires diffusés de tous côtés nous rendent perplexes. Pas étonnant que se nourrir soit devenu un casse-tête!
Rassasié d’information
Professeure à l’École de nutrition et membre de l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (INAF), Simone Lemieux déplore notamment que beaucoup de personnes écrivent sur l’alimentation sans avoir de réelles connaissances ou de formation sur le sujet. Il n’y a qu’à penser à ces actrices américaines et québécoises qui s’improvisent nutritionnistes en donnant des conseils sur leurs blogues ou dans des livres. Elles se basent sur leurs croyances et leurs expériences personnelles pour vanter le jus de carotte ou le végétarisme, sans s’appuyer sur des données valides et vérifiées scientifiquement. Internet regorge ainsi de mauvaises recommandations alimentaires. Et puis, les médias adorent les nouvelles sexy et controversées, n’hésitant pas à titrer que les charcuteries «causent» le cancer ou que la baie d’acaï fait maigrir.
Ce chaos vient brouiller nos signaux innés de faim, de satiété et de plaisir. Pour plusieurs personnes, trop occupées à se faire une tête sur ce déluge d’actualités alimentaires, manger devient une corvée. Les autres tentent de simplifier leur assiette en banalisant l’alimentation. Et malgré l’omniprésence de messages nutritionnels, les habitudes à long terme ne changent pas pour le mieux. À preuve, le nombre de personnes obèses a explosé depuis 50 ans. Au grand dam des nutritionnistes et des scientifiques. «On n’arrivera pas à atteindre l’objectif mondial de freiner l’épidémie d’obésité d’ici 2025», se désole Louis Pérusse, directeur du Département de kinésiologie et membre de l’INAF.
Parmi les solutions, Vicky Drapeau, professeure au Département d’éducation physique et elle aussi affiliée à l’INAF, estime qu’il faudrait donner une meilleure tribune aux chercheurs pour leur permettre de transférer leurs connaissances au public. Un peu comme le fait le site Web de Contact en publiant le blogue La nutrition au menu, de Simone Lemieux1. Celle-ci y traite d’ailleurs régulièrement des facteurs qui influencent notre alimentation. Un sujet qu’elle connaît bien: elle dirige actuellement une vaste étude sur les déterminants d’une saine alimentation et les interventions pour en améliorer la qualité nutritionnelle.
Papilles gustatives et portefeuille
Simone Lemieux pense qu’on place toutefois trop d’espoir dans l’information pour convertir les gens à une alimentation santé. Devant l’abondance et la diversité des messages, les consommateurs confus finissent par s’en remettre à leurs goûts personnels (pas toujours synonymes de saine alimentation) et au prix des aliments (alors que le frais est souvent plus cher) pour remplir leur panier d’épicerie. Autre facteur en jeu: la facilité. Chacun veut du vite fait, bien fait. «Mais les mets préparés contiennent trop de sel, de gras et de sucre, rappelle de son côté Vicky Drapeau. Il faut se donner du temps et retrouver le goût de cuisiner, c’est meilleur pour la santé et pour le portefeuille, à long terme!»
Mme Drapeau souligne par ailleurs qu’il faut garder l’esprit ouvert et un œil critique pour ne pas tomber dans les clichés voulant que la nourriture servie dans les restos-minute soit meilleure au goût que les mets santé souvent dépeints comme fades et ennuyants. La nutritionniste et ses collègues ont concocté des recettes faibles en gras et en sel qui prouvent le contraire: des mets à la fois rassasiants –riches en protéines et en fibres– et savoureux. Certaines de ces recettes se retrouvent dans le livre Prenez le contrôle de votre appétit… et de votre poids d’Angelo Tremblay, spécialiste de l’obésité au Département de kinésiologie.
«Le goût pour les plats santé, ça se développe», assure Mme Drapeau qui coordonne avec Angelo Tremblay la Clinique de nutrition Équilibre-Santé, établie sur le campus, où divers spécialistes assurent le suivi nutritionnel d’athlètes et de personnes obèses. Elle a entre autres pu vérifier les vertus d’un menu rassasiant dans une étude d’intervention auprès de 70 hommes obèses. Après 16 semaines, ceux qui s’étaient nourris de ces mets ont vu leurs signaux de satiété augmenter davantage que les participants soumis à une alimentation équilibrée standard.
Alimentation génétique
Malheureusement, certains goûts ou dégoûts ne se discutent pas, car ils sont inscrits dans nos gènes. «Notre génétique contrôle une partie de ce qu’on aime ou pas, explique Simone Lemieux. Par exemple, la science a confirmé l’existence d’un gène associé à la coriandre.» Certains raffolent de cette plante aromatique, alors que d’autres la détestent d’emblée! Nous serions tout aussi programmés génétiquement à être des «bibittes à sucre» ou des maniaques de croustilles.
La production de certaines hormones régulatrices de l’appétit a, elle aussi, des fondements génétiques. Certaines personnes «héritent» d’une plus grande faim qu’elles assouvissent à coup d’assiettes bien combles. Rien à voir avec la gourmandise. Ces mêmes hormones guident également nos préférences pour certains aliments. C’est ce qui explique que les femmes enceintes ou en périodes menstruelles vont lever le nez sur du fromage au repas ou craquer pour un morceau de gâteau au chocolat en pleine nuit, choses qu’elles ne font pas habituellement.
D’autres naissent avec des gènes de susceptibilité à l’obésité qui s’expriment dans le cerveau et qui influencent les niveaux de dopamine. Ce messager chimique module notre système de récompense, notre perception du plaisir et de la satiété. Il joue donc un rôle important dans les comportements alimentaires. «Les personnes obèses surconsommeraient les aliments pour compenser leurs faibles niveaux de dopamine dans le cerveau et donc leur déficit en récompense, explique Louis Pérusse qui analyse depuis plusieurs années le lien entre génétique et obésité. Le plaisir associé à la nourriture diffère donc d’une personne à l’autre selon nos gènes.»
Dans une étude sur les comportements alimentaires menée auprès de plus de 200 familles de la région de Québec, Louis Pérusse et ses collègues ont identifié un premier «gène de la faim». Les personnes héritant de ce gène défectueux courent deux fois plus de risques de devenir obèses. Mais il y a plus. Un peptide sécrété par le système digestif peut embrouiller nos signaux de satiété et nous pousser à surconsommer des aliments. Gare à la prise de poids!
La génétique n’est pas une fatalité, précise cependant M. Pérusse. Une bonne éducation alimentaire nous permet de contrôler nos envies innées. «Et en augmentant les connaissances sur les gènes, la science ouvre la porte à la nutrition personnalisée», annonce le chercheur. Par exemple, en sachant qu’on possède le gène de susceptibilité aux effets du gras, on saura à quoi faire attention.
Se nourrir sous influence
Notre famille, nos amis et notre milieu de vie guident aussi nos choix alimentaires. «La famille encourage ou décourage la saine alimentation», indique Simone Lemieux. Si nos parents nous ont toujours servi des aliments frits et peu de légumes, nous risquons de continuer à nous alimenter de cette façon une fois adultes. De plus, si quelqu’un réside près d’une multitude de restos-minute, il aura plus tendance à manger le type de nourriture qu’on y vend. Ainsi, il n’est pas rare que les gens qui ont immigré aux États-Unis prennent du poids à cause de la surconsommation ambiante et de l’accès facile au fast-food. Des recherches récentes, dont celles menées par Mme Lemieux, démontrent d’ailleurs que la visibilité et le prix des aliments sains exercent une influence majeure sur nos décisions, ce dont les responsables de la promotion de la santé commencent à tenir compte.
Il faut également prêter attention à nos états d’âme. «Le stress, l’anxiété et les émotions influencent souvent notre alimentation, indique Vicky Drapeau. Il faut apprendre à écouter nos signaux de faim et de satiété pour ne pas surconsommer.» La restriction que s’imposent les accros de la balance n’est pas mieux. Plusieurs personnes s’empêchent de manger tout aliment sucré, gras ou trop salé. «La restriction rigoureuse est très exigeante et peut conduire à une prise de poids à long terme, affirme Mme Drapeau. Il est préférable d’être flexible, en se permettant des aliments plaisir sans culpabilité afin d’éviter des rages de sucre ou de sel.»
Plusieurs nutritionnistes recommandent l’approche de l’alimentation intuitive, axée sur nos préférences, sur le respect de nos signaux de satiété ainsi que sur le plaisir de manger de bons et de nouveaux aliments. «Il faut voir notre alimentation dans son ensemble, rappelle Mme Lemieux. Même si les gens aiment classer les aliments en deux clans, les bons et les mauvais, ça ne marche pas comme cela. Tout est question de quantité. Tout aliment peut être mauvais en trop grande quantité, comme le kale, le chocolat ou même l’eau.»
Bref, il faut faire un peu plus confiance à notre cœur et moins à notre tête: pourquoi se contraindre à consommer un aliment juste parce que les médias l’ont déclaré bon pour la santé? «Il faut faire attention aux articles de journaux qui interprètent mal ou extrapolent les résultats d’une seule recherche, prévient Vicky Drapeau. Ce n’est pas parce qu’une étude démontre quelque chose que cela devient une recommandation à suivre. Ça prend plusieurs études pour valider un bienfait ou un dommage pour la santé.»
Il faut être particulièrement vigilant avec les enfants, ajoute la spécialiste. Les obliger à manger parce que c’est bon pour la santé, ce n’est pas un argument. Mieux vaut les exposer de 5 à 10 fois à l’aliment, sans pression. Les forcer provoquera un dégoût au lieu de favoriser le développement de leur goût.
Alors, tout de même, quelques balises? Passer moins de temps sur Internet à la recherche du super aliment. Prêter moins d’attention à chaque information partielle. Se renseigner uniquement auprès de sources fiables et, pour le reste, faire confiance à ses signaux de faim et de satiété tout en ne boudant pas son plaisir. «De toute façon, si on suit à la lettre tous les conseils qui sortent, on ne mange plus rien», soupire Louis Pérusse.
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Publié le 20 février 2017 | Par Laura
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