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Hiver 2014

Livres pour enfants: une porte ouverte sur le monde

Devant l’abondance des livres pour enfants et l’importance cruciale de la lecture, l’adulte est investi d’un rôle délicat: choisir! Voici quelques repères.

Marie-Eve Tremblay, colagene.com

Les livres permettent aux enfants de s’ouvrir au monde et à la fantaisie, mais aussi de mettre des mots sur ce qu’ils perçoivent autour d’eux et en eux

Il était une fois au royaume de l’enfant, un objet magique. Un objet de taille et d’allure variables, mais aux qualités universellement reconnues: le livre. Dans ce royaume, il suffisait d’ouvrir un livre pour voyager, rire, pleurer, tisser des liens avec les autres, apprendre des mots et même, s’endormir…

Pas étonnant que les objets magiques de ce royaume gagnent en popularité! Peu présents dans les rayonnages jusqu’aux années 1950, les livres pour enfants se taillent aujourd’hui une place de choix. Un titre sur 9 qui sort chaque année au Québec s’adresse aux moins de 12 ans, c’est-à-dire plus d’un millier de livres –contre 666 en 2001. Au point que parents, grands-parents et éducateurs trouvent parfois difficile de faire un choix parmi la multitude des titres documentaires, de fiction, d’illustrations, de conseils de vie et de produits dérivés de dessins animés donnant à certaines librairies des allures de jungle de papier.

«La richesse de cette littérature reste largement sous-estimée, assure Brigitte Carrier. Chaque fois que j’ouvre une boîte de nouveaux livres, je tombe sur des œuvres d’une grande intelligence et d’une rigueur exceptionnelle dans l’écriture. Plus le temps passe, plus on parle vraiment aux enfants!» Amoureuse du genre depuis ses premiers Martine dans les années 1960, la chargée de cours et professionnelle de recherche à la Faculté des sciences de l’éducation transmet sa passion aux étudiants et les guide dans cet univers extrêmement diversifié. 

Comment choisir un bon livre?
Brigitte Carrier fait plus encore. Depuis six ans, elle est impliquée dans l’aventure Sentiers littéraires pour enfants, un site Web qui permet à tous de s’orienter dans le flot des publications destinées aux 0-12 ans. L’outil est né en 2008 à l’initiative de Charlotte Guérette, une pionnière de la didactique de la littérature pour enfants, aujourd’hui décédée, qui a enseigné à la Faculté plus de trois décennies.

Parents, bibliothécaires, libraires et enseignants y trouvent déjà plus d’un millier de titres et de l’information pour exercer un choix bien adapté aux enfants ciblés. À chaque album correspond un résumé ainsi que quelques lignes de commentaires émis par des enseignants spécialisés. Des commentaires qui passent à travers une grille d’analyse très serrée, comportant pas moins d’une vingtaine de critères. Jugez-en: en plus de la présentation visuelle de l’album, les critiques analysent la puissance dramatique du récit, la force des personnages, les procédés littéraires utilisés et le degré de recherche de la langue.

Dans cette sélection sans pitié des meilleurs albums disponibles, on ne trouve pas de «livres trop brillants», comme les qualifie Brigitte Carrier. Autrement dit, il ne suffit pas d’arborer une couverture colorée, d’offrir en prime une mascotte, d’aligner des phrases faciles et de présenter une structure très linéaire pour procurer au petit lecteur un voyage enrichissant. Pour Mme Carrier, un bon spécimen de littérature jeunesse, comme un bon livre tout court, se distingue en quelques éléments: un récit enlevé plein de révélations, au service de l’évasion et de la réflexion, une belle langue, une pluralité des destins humains et une qualité d’illustration.

Crotte de carotte
Le meilleur juge reste l’enfant, affirme la passeuse de livres. Un enfant ravi de revenir de nombreuses fois vers ses titres préférés, qui se fait lire et relire un livre chouchou avant de se perdre dans ses illustrations. Un enfant qui grandit avec les livres qu’il aime, sans les abandonner trop rapidement «parce qu’ils font bébé». 

«C’est une des caractéristiques de la littérature jeunesse de ces dernières années, constate Brigitte Carrier. Les livres suivent les enfants longtemps. Certains abécédaires, un genre qu’on réservait aux tout-petits, sont vraiment géniaux, avec des illustrations qui accompagnent l’enfant à l’âge de l’apprentissage de la lecture.» Un exemple parmi tant d’autres? Sans le A, l’anti-abécédaire, de Michaël Escoffier et Kris Di Giacomo, où l’enfant réalise qu’il suffit d’une lettre pour passer de carotte à… crotte!

Adepte des récits littéraires qui surprennent, décoiffent et secouent les idées reçues, la responsable de Sentiers littéraires apprécie les livres qui ouvrent le petit lecteur au monde, l’emmènent en voyage. Un bon exemple: l’album L’oiseau des sables, de Dominique Demers et Stéphane Poulin, qui permet à l’enfant de comprendre l’importance d’entretenir ses rêves. «Au départ très proche de la réalité québécoise, la littérature jeunesse d’ici évolue, affirme Mme Carrier. L’écriture est plus dégagée et les romans-miroirs, qui présentent le quotidien des jeunes du Québec, plus divers. Je crois qu’il est important d’aller graduellement, avec l’enfant, vers des récits plus complexes, de ne pas rester aux phrases conjuguées au présent.»

Un temps d’arrêt et de partage
Les enseignants le répètent souvent aux parents, tout au long du primaire: la lecture constitue un outil privilégié pour enrichir le vocabulaire de l’enfant, structurer son récit et améliorer sa syntaxe en se frottant à d’autres textes. Certaines études soulignent d’ailleurs la richesse de vocabulaire des petits de 18 mois qu’on a mis tôt en contact avec le livre. Sauf qu’il ne faut pas oublier en chemin le côté affectif de cette activité, particulièrement lorsque l’adulte se saisit d’un livre pour le partager avec les plus jeunes. 

Elle-même mère de quatre enfants, Ginette Dionne insiste sur l’importance de ce temps d’arrêt. «La lecture oblige le parent à rester assis et centré sur le tout-petit, souligne la professeure à l’École de psychologie. C’est un lien vraiment privilégié.» 

«Pour se préparer à faire des apprentissages, l’enfant doit d’abord être en lien avec l’adulte; la lecture permet justement d’avoir des inter-actions de qualité», renchérit Caroline Bouchard, professeure en sciences de l’éducation au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage.

Au personnel des garderies et aux enseignants, les deux professeures recommandent donc de simplement ouvrir un livre pour se rapprocher des enfants. Quels livres? Pour les tout-petits, ceux qui permettent de nommer les objets et les êtres du quotidien, un chien, une pomme, une maman, puis d’agrandir le cercle des connaissances. Tiens! voici un lion, une montgolfière! L’enfant apprend alors qu’il existe ailleurs d’autres réalités. Un apprentissage tout en douceur, par petites bouchées, pour s’assurer que l’auditoire enfantin y trouve toujours son intérêt.

Dans ses cours, Brigitte Carrier n’hésite pas à réunir ses étudiants en enseignement autour d’elle et d’un bon livre, exactement comme on le ferait avec un groupe d’enfants. Le but : les initier aux meilleurs moyens de rendre la lecture la plus interactive possible, en préparant soigneusement cette activité. Quelques suggestions? Donner des voix différentes à chaque personnage, poser des questions ouvertes à son jeune auditoire, demander aux élèves d’imaginer ce qui a précédé l’histoire pour mieux cerner les motivations des protagonistes, parler de l’auteur ainsi que des liens entre sa vie et son livre.

Des sujets sensibles
Ces différents moyens permettent d’aborder la lecture de la façon la plus ouverte possible, et de ne pas négliger les ouvrages qui abordent des sujets plus délicats, même avec les bambins: deuil, colère, chicane, arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur. «L’avantage avec les livres, c’est qu’ils constituent un filtre pour vivre des moments plus difficiles, note Caroline Bouchard. Avec leur aide, les enfants mettent des mots sur une réalité qu’ils ne sont pas capables de nommer.» Et de citer l’exemple de Grosse colère, de Mireille d’Allancé, où un petit garçon très fâché tente de maîtriser la tempête qu’il a fait naître lui-même.

De son côté, Brigitte Carrier remarque que les auteurs et les éditeurs jeunesse prennent un grand soin, depuis quelques années, à traiter des sujets sensibles avec délicatesse. À ses yeux, une œuvre comme Une maman pour Khadir, d’Andrée Poulin, traite avec honnêteté, tendresse et vérité du chagrin d’une femme en deuil de son mari, qui retrouve l’espoir en prenant soin d’un orphelin. «Aucun thème ne semble plus vraiment tabou, c’est dans la manière de l’aborder que l’auteur s’adapte à son public cible», estime-t-elle.

Bienvenue à la Didacthèque
Conscientes des bénéfices que peuvent tirer les enfants de ce trésor de papier, plusieurs garderies et écoles aménagent des coins-lecture douillets pour accueillir les amateurs d’histoires. Sauf que beaucoup n’ont pas les moyens de profiter de la diversité des titres sur le marché. Pour combler cette lacune, la Didacthèque située à la Bibliothèque de l’Université met à leur disposition l’une des plus importantes collections d’ouvrages en littérature jeunesse de toute la francophonie avec 40 000 albums, contes, ouvrages de poésie et de théâtre, bandes dessinées, romans et ouvrages documentaires. Des abonnements d’école sont possibles.

«Nos livres sont très empruntés par les étudiants en sciences de l’éducation qui profitent de l’abondance et de la richesse de ce fonds, souligne France Bilodeau, responsable de la Didacthèque. Parfois, des stagiaires en enseignement viennent chercher des livres pour bâtir des activités pédagogiques relatives à la didactique du français et à la lecture, à l’univers social, aux sciences et aux mathématiques.»

Nichée au quatrième étage du pavillon Jean-Charles-Bonenfant, à deux pas des collections pour enfants, la grande salle colorée Charlotte-Guérette s’ajoute aux atouts de la Didacthèque. Le lieu résonne souvent des voix enfantines d’enfants des CPE du campus ou de classes primaires de la région. Des auteurs jeunesse, des diplômés en enseignement, des éditeurs et des libraires spécialisés viennent aussi y partager leur passion lors de conférences et d’ateliers. France Bilodeau, qui y travaille depuis 18 ans, constate une véritable effervescence pour cette littérature encore trop souvent ignorée des grands médias.

Genre littéraire en pleine expansion, la littérature jeunesse souffre pourtant d’un paradoxe. Destinée aux enfants, elle a besoin de médiateurs adultes pour atteindre son public. En pratique, cela veut dire que les grands décident quels livres devraient procurer le plus de bonheur aux petits. Consciente de l’importance de ce rôle d’intermédiaire, Brigitte Carrier élabore depuis plusieurs années les activités d’animation de Sentiers littéraires, en collaboration avec la Didacthèque. De telles rencontres pourraient bientôt se tenir aussi en dehors de Québec. En outre, d’ici quelques semaines, le site Web proposera une trentaine d’activités littéraires, sortes de modes d’emploi destinés aux enseignants désireux d’utiliser les livres en classe: prolonger une histoire, transformer un récit en pièce de théâtre, s’inspirer d’un conte pour faire un atelier de dessin, etc. 

Quelle que soit la forme que prend la rencontre entre le livre et l’enfant, l’essentiel est que les perles de la littérature jeunesse parviennent jusqu’à leurs destina-taires et que la magie de la lecture opère sans entraves.

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Des diplômés sur le sentier

Hébergé sur le site Web de la Bibliothèque universitaire, Sentiers littéraires pour enfants regorge de bonnes suggestions de lecture. Parmi les quelque 1200 romans, contes, albums et même recueils de poésie, figurent les livres de nombreux diplômés de l’Université. Six de ces anciens étudiants comptent plus d’un titre dans le répertoire.

Le nom de Michel Noël (Français 1971 ; Arts et traditions populaires 1971 et 1979) paraît dans cette bibliographie critique à cinq occasions, dont trois pour des livres que l’auteur cosigne avec Sylvie Roberge (Enseignement au préscolaire et au primaire 1980 ; Didactique 1995), par exemple Eskoumina: L’amour des petits fruits, paru en 2008. Ce livre destiné aux enfants de quatre ans et plus met en scène un couple qui se chamaille puis se réconcilie. Un sujet inapproprié pour les bambins? Le commentaire qui paraît dans Sentiers littéraires laisse plutôt croire le contraire:
–    le conte amérindien porte sur l’amour et les difficultés de la vie de couple, ce qui est actuel et éclairant pour des jeunes enfants;
–    la source du conflit entre les protagonistes s’inscrit dans un cadre de vie traditionnellement amérindien, mais est aisément transposable dans la vie moderne;
–    la morale est toute en finesse et le symbole des petits fruits est touchant;
–    les illustrations sont enveloppantes et toutes remplies de tendresse.
Ces deux diplômés cosignent également La citrouille reine des courges et Les Masques. Michel Noël présente en solo La Ligne de trappe et Hush! Hush!

Finalement, quatre diplômés paraissent deux fois dans Sentiers littéraires. Il s’agit de Lucie Bergeron (Français 1981 et 1984), avec Le magasin à surprises et Solo chez Mama Marmita, de Denis Côté (Français 1977 et 1991) avec Porthos et les tigres à dents de sable et Porthos et la menance aux yeux rouges, de Martine Latulippe (Français 1993 et 1996) avec Lorian Loubier: Vive les mariés! et Julie et le feu follet ainsi que d’Andrée Poulin (Français 1980 ; Journalisme 1982) avec Une Maman pour Kadhir et Qui sauvera Bonobo?

L’adresse du site: http://sentiers.bibl.ulaval.ca/web/guest/accueil

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Pour choisir le meilleur
Caroline Bouchard, professeure à la Faculté des sciences de l’éducation, est la responsable locale du programme La lecture en cadeau de la Fondation sur l’alphabéti-sation. Il s’agit d’une initiative bé-névole pour offrir des livres neufs aux enfants de milieux défavorisés. Cet exercice, associé à sa connaissance de la littérature jeunesse, lui permet d’y aller de quelques conseils pour reconnaître un bon livre.
–    Vocabulaire riche et diversifié
–    Histoire qui favorise l’éveil au monde
–    Récit qui permet de faire des prédictions
–    Illustrations de qualité, ouvrant par exemple le lecteur à l’art comme le fait le dessinateur (et auteur) britannique Anthony Browne

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  1. Publié le 2 mars 2016 | Par dancoisne

    Bonjour,
    Je suis assistante maternelle depuis 21 ans et je trouve que votre article résume parfaitement ce monde merveilleux qu'est le monde des livres. Le titre a lui seul veut tout dire; quand à votre entrée dans le sujet: «il était une fois au royaume de l'enfant...», ça m'a parlé de suite, donné envie de lire votre article. Je suis moi-même à la recherche de nouveautés, d'albums pour les tout-petits. J'anime parfois des ateliers au relai assistante maternelle de ma ville et c'est vrai que c'est un réel plaisir de constater à quel point le livre est important pour l'enfant, cela lui procure beaucoup de plaisir lorsqu'il entre dans ce monde du livre, c'est un véritable partage de joie, d'émotion. J'ai toujours mon panier à histoires et, chaque jour, les enfants le réclament et ils prennent même plaisir à m'imiter en tenant le livre vers les autres enfants. Les livres jeunesses sont indispensables! Merci
  2. Publié le 1 mars 2014 | Par Josée

    Je vais mettre le lien internet de ce «blogue» en favoris. Je crois que c'est vraiment bien.

    xxxxxxxxxxxxxxxxx
  3. Publié le 1 mars 2014 | Par Pierre Beaulieu

    Merveilleux article qui nous rappelle l'importance capitale de la lecture, nous révèle les qualités d'un bon livre pour enfant et nous présente une vaste sélection de livres et de ressources disponibles. Cela constitue une aide fort précieuse pour un enseignant à l'élémentaire comme moi qui oeuvre dans un milieu anglophone et qui recherche souvent la meilleure littérature jeunesse possible. Merci!
    Pierre
    Cornwall (Ontario)

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