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Hiver 2020

Malades de respirer

Bien qu'au Québec la pollution extérieure ait diminué, la qualité de l'air, dehors ou dans nos maisons, demeure un enjeu majeur de santé publique.

Illustration Marianne Chevalier

Par une belle journée d’hiver, vous décidez de sortir dans votre quartier pour prendre un bon bol d’air frais et profiter des rayons du soleil. Bien au chaud dans vos vêtements, vous commencez votre promenade. Vous inspirez profondément tout en marchant. Mais voilà que vous vous mettez à tousser. Votre respiration se fait un peu plus difficile, comme si vos poumons se refermaient. Vos yeux se mettent à picoter. Vous n’êtes pourtant ni allergique ni asthmatique. Pour un bon bol d’air frais, on repassera!

Vous constatez alors que les cheminées de vos voisins fonctionnent à plein régime. Selon le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC), le chauffage au bois est, au Québec, la principale source d’origine humaine responsable de l’émission de particules fines à la base du smog, ce brouillard constitué d’un cocktail de polluants. Ce type de chauffage émet également du monoxyde de carbone (CO), des composés organiques volatils (COV) et des oxydes d’azote (NOx), qui font partie des polluants atmosphériques les plus importants.

«Tous ces éléments chimiques affectent les bronches, les poumons et les muqueuses du nez», précise Jean-Nicolas Boursiquot, allergologue et immunologue au CHU de Québec-Université Laval et professeur à la Faculté de médecine.

Une variété de polluants
Cela dit, le chauffage au bois n’est pas le seul coupable. La combustion du pétrole, du charbon ou du gaz naturel par les véhicules et par certaines industries diffuse aussi plusieurs polluants dans l’air. Les feux de forêt, les volcans et même les plantes dégagent également des gaz et des particules. L’air de nos maisons n’est pas épargné: solvants, peintures, petits électroménagers, résidus de cuisson et meubles diffusent des éléments nocifs pour notre santé.

L’ensemble de ces éléments contribue à la pollution de l’air extérieur et intérieur qui entraînerait, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), sept millions de décès dans le monde chaque année.

En outre, contrairement à la croyance populaire, la pollution de l’air affecte deux fois plus le système cardio­vasculaire que l’appareil respiratoire. «Les particules fines et les gaz pénètrent dans les poumons et passent ensuite dans le sang, explique Pierre Gosselin, chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval et professeur à la Faculté de médecine. Ces composantes chimiques créent notamment un stress oxydatif et une réaction inflammatoire dans les artères, ce qui nuit à la circulation sanguine et augmente le risque de faire un arrêt cardiaque ou un AVC.»

La situation s’améliore, mais…
Sommes-nous condamnés à respirer un air vicié? Pas forcément. Si on se fie au dernier bilan de la qualité de l’air, publié en 2016 par le MELCC, la qualité de l’air extérieur au Québec s’est nettement améliorée. «La pollution de l’air dans la province a diminué de 75% depuis 25 ans, notamment à cause de la désindustrialisation et de la fermeture d’usines au charbon en Ontario et dans le Nord-Est américain, confirme Pierre Gosselin, qui est également médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Les niveaux moyens de pollution de nos villes québécoises sont bas par rapport à bien des villes sur la planète. Montréal et Québec, par exemple, respectent les normes de moyenne annuelle de l’OMS.»

La pollution de l’air reste tout de même un enjeu de santé publique majeur, particulièrement pour certains secteurs précis. «Les niveaux de polluants sont plus élevés près des boulevards, des usines et dans les quartiers qui chauffent au bois, signale Pierre Gosselin. Il y a davantage de problèmes respiratoires et cardiovasculaires dans ces milieux.»

Le mauvais ozone à surveiller
Toujours selon le bilan publié par le MELCC, l’ozone en basse altitude serait le seul polluant à avoir augmenté significativement en milieu urbain. Autre composante majeure du smog, il est l’un des grands responsables de la pollution de l’air et des problèmes de santé qui y sont associés.

«On ne parle pas ici de l’ozone en haute altitude, cette couche naturelle qui protège la terre en filtrant une partie du rayonnement ultraviolet, mais de l’ozone à hauteur d’homme, produite artificiellement par la pollution, explique Jean-Philippe Gilbert, doctorant en géographie sous la supervision de Nathalie Barrette, membre de l’Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société et professeure au Département de géographie. Ce gaz se forme lorsque des oxydes d’azote, rejetés surtout par les automobiles, et des composés organiques volatils, provenant principalement des industries, réagissent sous l’action des rayons du soleil et de l’air.»

Or, la concentration de ce gaz irritant aurait doublé en milieu urbain depuis 30 ans, entraînant une augmentation annuelle de 20% des visites à l’urgence pour des problèmes cardiaques et respiratoires. Malgré cela, les données météorologiques ne rapportent pas plus de jours de smog en 2016. «C’est parce qu’on a beaucoup moins de pics d’ozone qu’avant, soit des moments où les concentrations de ce gaz grimpent au-delà du seuil à ne pas dépasser selon le MELCC», explique Jean-Philippe Gilbert, qui a mené une étude rétrospective sur l’ozone entre 1974 et 2014. Néanmoins, nos étés plus secs et plus chauds en raison des bouleversements climatiques sont propices à la formation du mauvais ozone. Également, les modèles récents de voitures émettent moins d’oxydes d’azote. Ironiquement, de hauts niveaux d’oxydes d’azote contribuent à détruire le mauvais ozone. En rendant nos véhicules plus propres, on a perdu cet aspect!

Des arbres pour dépolluer?
Pour abaisser les niveaux d’ozone au sol, mais aussi ceux d’autres polluants, les villes fondent beaucoup d’espoir sur le pouvoir des arbres. «Les arbres absorbent les polluants gazeux par leurs feuilles ou leurs aiguilles, qui interceptent également les particules fines nuisibles à la qualité de l’air», explique Jean Bousquet, professeur à la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en génomique forestière.

Ainsi, les arbres qu’on trouve dans les villes du Canada éliminent annuellement environ 2,5 millions de tonnes de CO2. Ça peut sembler beaucoup, mais leur pouvoir dépolluant reste faible par rapport à celui des forêts naturelles. «Par exemple, aux États-Unis, le pouvoir dépolluant des forêts urbaines représente 4% de celui provenant de tous les arbres, forêts urbaines et naturelles confondues. Ce pourcentage est sûrement moindre au Canada, parce que l’étendue de nos forêts naturelles est particulièrement grande par rapport à nos forêts urbaines», souligne le professeur Bousquet.

Les conifères, avec leur feuillage persistant à l’année, demeurent les «dépollueurs les plus efficaces», ajoute le chercheur. Mais il y en a peu en ville, car ils y poussent plus difficilement. La plantation d’arbres en milieu urbain ne doit donc pas être perçue comme une panacée, prévient-il, ajoutant que la mesure la plus efficace pour diminuer le CO2 et les autres polluants dans l’air reste le contrôle à la source.

Surtout que, pour bénéficier du pouvoir des arbres, les villes ne doivent pas seulement en planter quelques-uns, mais plutôt développer une canopée urbaine, un genre de toit vert constitué de la cime d’une multitude d’arbres. «Ce couvert aide notamment à prévenir les effets d’îlots de chaleur et à atténuer les extrêmes de température durant l’été», mentionne Jean Bousquet. En «refroidissant l’air», la canopée permet donc de réduire certains risques de santé associés aux canicules, comme les complications cardiorespiratoires.

Malheureusement, beaucoup de plantations urbaines sont mal planifiées, surtout en bordure des artères. «Il faut choisir les bonnes espèces selon le milieu, mais aussi selon leurs caractéristiques et leur résistance au stress et aux changements climatiques», considère Jean Bousquet. Certaines espèces émettent des composés organiques volatils qui entrent dans la recette de l’ozone. Par exemple, le chêne en émet 10 fois plus que l’érable. Ses effets nocifs restent très faibles par rapport à celui des industries, mais quand même. Et certaines espèces sont très allergènes, comme le bouleau et le saule.

Atchoum!
D’ailleurs, les pollens produits par les végétaux sont aussi des polluants, biologiques ceux-là. La concentration de ces grains microscopiques augmente de façon marquée depuis 30 ans en Amérique du Nord. «L’augmentation du CO2 dans l’atmosphère agit comme un engrais pour les plantes», affirme Pierre Gosselin. La présence d’herbe à poux, notamment, a explosé, haussant les niveaux de pollen de 40%. «Sous l’effet des bouleversements climatiques, la période d’émission des pollens s’est allongée à Montréal, passant de 71 jours à 126 jours entre 1994 et 2002», ajoute Jean-Nicolas Boursiquot. Conséquences? Le nombre de cas d’allergies a doublé durant cette période et de plus en plus de gens sont facilement irrités – sans être allergiques – par différents éléments dans l’air. «La pollution fragilise les voies respiratoires et nous rend vulnérables aux allergènes que l’on respire, comme le pollen, mais aussi les poils d’animaux et les acariens», indique-t-il.

Et contrairement à ce que certains pensent, plus on est en contact avec un allergène, plus notre risque de développer une allergie augmente. Selon l’OMS, d’ici 30 ans, la moitié de la population mondiale souffrira d’allergies au lieu du taux actuel de 20 à 25%. À cause de la génétique d’abord, mais aussi des changements climatiques et de l’exposition aux allergènes.

Asphyxie au logis
Enfin, l’air de nos chaumières est aussi en contact avec des polluants. Poils d’animaux, acariens, virus, bactéries, moisissures et toxines peuvent causer des problèmes de santé comme de l’inflammation pulmonaire, des maladies infectieuses et des allergies. «Ces particules biologiques provenant d’un organisme vivant sont appelées bio­aérosols. Leurs effets sont peu documentés et peu réglementés, car complexes à mesurer», révèle Caroline Duchaine, professeure au Département de biochimie, de microbiologie et de bio-informatique.

En 2016, la microbiologiste a toutefois prouvé qu’il est possible de mesurer la présence du norovirus de la gastroentérite dans l’air des hôpitaux. Son étude a montré que le microbe était présent dans l’air de 54% des chambres des patients infectés et dans 38% des corridors, à des concentrations variant entre 13 et 2350 virus par mètre cube d’air. «Or, une dose d’une vingtaine de norovirus est suffisante pour provoquer une gastro», affirme la spécialiste. Elle suggère ainsi aux hôpitaux de ne pas seulement désinfecter les surfaces, mais aussi de «nettoyer» l’air ambiant. D’ailleurs, plusieurs virus, comme celui de la rougeole, s’attrapent par simple contact avec de l’air contaminé.

La qualité de notre air intérieur est loin d’être optimale, à cause, notamment, de notre obsession à rendre nos édifices étanches pour réduire la consommation d’énergie, ajoute Caroline Duchaine. «Plusieurs personnes utilisent mal l’échangeur d’air, en plus de ne pas être attentives à ce qui peut émettre des polluants», soutient-elle. De nombreux bâtiments souffrent ainsi d’un problème de moisissure, car ils sont mal ventilés. Sans échange d’air régulier, les foyers au bois – sauf les nouveaux foyers à combustion lente – peuvent aussi salir notre air intérieur. Tout comme la cuisson et la friture. Selon une étude de Santé Canada, les niveaux de particules fines peuvent être 65 fois plus élevés après qu’on a cuisiné.

«Tout ce qui libère du parfum et des huiles, comme les lampes à huile, constitue aussi d’importantes sources de particules», ajoute la chercheuse. Les vieux aspirateurs ou les petits malaxeurs libèrent également beaucoup de particules quand les composantes du moteur se désagrègent. «Si ça sent le plastique, ce n’est pas bon signe», prévient-elle. Caroline Duchaine rappelle également de nettoyer et de vider régulièrement les humidificateurs, qui sont de véritables nids de bactéries à cause de l’eau stagnante. «N’attendez pas d’avoir des symptômes respiratoires pour changer vos habitudes», conclut-elle.

Bref, une bonne santé cardiorespiratoire passe par une bonne qualité de l’air extérieur et intérieur. Et nous pouvons tous faire notre part pour continuer de l’améliorer.

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  1. Publié le 3 mars 2020 | Par Marie Elisabeth Défossez

    Bien d'accord avec le commentaire précédent. Que la Ville fasse aussi plus d'efforts pour combattre les îlots de chaleur en verdissant bien plus qu'elle ne le fait. Les terres des Soeurs de la charité devraient être employées à cette fin plutôt que de les laisser aller aux mains de promoteurs. À proximité de l'aéroport, on a coupé une bonne partie de la forêt ces dernières années, alors qu'on devrait planter plus d'arbres. C'est scandaleux ! À l'heure des changements climatiques, qui ne feront que s'amplifier dans l'avenir, c'est pourtant là qu'est la vraie richesse et non dans le béton.
  2. Publié le 29 février 2020 | Par Louise J Beaulieu

    Tout à fait d’accord avec ce que je viens de lire.
    L’hiver,dans mon quartier,l’air est irrespirable.
    Impossible de bien respirer tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
    On a des voisins qui chauffent continuellement avec du bois humide dans un quartier où les maisons sont très près, avec peu de vent.
    Si on pouvait avoir une loi qui ne permettrait de chauffer seulement que par grand froid ou par manque d’électricité...
    C’est cela faire de la prévention et c'est si facile à appliquer.
    Nous ne sommes plus dans l’ancien temps...

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