Changement de garde dans les PME
Maripier Tremblay étudie le transfert d'entreprise, un moment délicat pour tous ses acteurs: propriétaires actuels et potentiels, employés et famille.
Propos recueillis par Louise Desautels
Inutile de chercher l’affiche «À vendre» sur le terrain de cette compagnie de transport, de cette usine de meubles ou de ce motel… Pourtant, les propriétaires de ces trois PME approchent de l’âge de la retraite. Ce qui est le cas de quelque 38 000 entrepreneurs québécois. Pour eux comme pour ceux qui prendront leur relève, le chemin à parcourir risque d’être cahoteux… Un chemin qu’étudie Maripier Tremblay, professeure au Département de management, spécialiste de l’entrepreneuriat et… fille d’entrepreneur.
La perspective que de nombreuses PME changent de mains prochainement représente-t-elle une menace?
Un grand nombre d’entrepreneurs du Québec Inc. doivent passer le flambeau ces années-ci, c’est vrai. Et une étude a sonné l’alarme en 2005, prédisant que ce phénomène allait mettre l’économie en danger. Mais le tsunami n’est pas survenu! Toutes les PME ne sont pas à vendre en même temps, entre autres parce que leurs propriétaires ne partent pas tous à la retraite à 60 ou 65 ans comme s’ils étaient des employés. La période d’étalement est donc beaucoup plus grande que redouté. Et puis, la relève est au rendez-vous… si on sait la préparer.
Ceci dit, transmettre son entreprise est une opération complexe et délicate qui, justement, se prépare longtemps d’avance, ce que peu de propriétaires réalisent. C’est loin d’être une simple transaction commerciale et, malheureusement, il n’y a pas de recette miracle pour garantir que la PME survive sans trop écorcher la personne qui vend et celle qui achète, sans compter les employés.
Pourquoi dites-vous que la vente d’une PME n’est pas une simple transaction?
Parce qu’il ne s’agit pas seulement de vendre! Bien sûr, une PME peut être rachetée par un pur étranger, juste au moment où le propriétaire est vraiment prêt à partir. Dans ces circonstances, le transfert se fait assez rapidement, et le vendeur ne garde pas de responsabilités financières dans l’entreprise. Mais le cas de figure n’est pas celui-là. On parle généralement d’un entrepreneur qui souhaite transmettre ce qu’il a bâti à un de ses enfants. Ou, de plus en plus, à un petit groupe d’acheteurs, par exemple à deux enfants et un employé, ou à quelques employés. Et lorsque je dis que l’entrepreneur souhaite transmettre, je ne dis pas qu’il est prêt à le faire.
Parlez-nous de cette personne désireuse de céder son entreprise.
Sans vouloir verser dans les stéréotypes, la génération des entrepreneurs qui approchent de l’âge de la retraite est surtout composée d’hommes propriétaires uniques, très attachés à la PME qu’ils ont créée de toutes pièces et n’ont jamais quittée. C’est leur bébé. Leur statut d’entrepreneur définit souvent leur identité et leur mode de vie. Par contraste, le portrait-type des jeunes créateurs d’entreprises de la génération Y, les 25-35 ans, nous montre des personnes de l’un ou l’autre sexe, qui démarrent leur entreprise à plusieurs et conservent une diversité de centres d’intérêt.
Ceux qui rachètent les PME font-ils partie de cette génération Y?
Non, pas la majorité d’entre eux. Les acquéreurs ont plutôt atteint la quarantaine, un âge où l’on a davantage d’expérience et de ressources pour financer l’achat d’une PME déjà prospère.
En fait, celui qui reprend une entreprise a un profil-type différent de celui qui veut démarrer sa PME. Ce dernier sera stimulé par la perspective de partir de zéro et de mobiliser des gens autour d’un projet. Le repreneur, lui, aura souvent d’autres forces: il sera un bon planificateur, à l’aise dans les opérations de gestion.
Il faut dire aussi que les PME à vendre ne sont pas toutes parvenues au même stade de maturité et ne présentent pas toutes le même potentiel de développement: il y a donc place pour une grande diversité de profils de repreneurs. Par contre, et c’est un des avantages de la relève en général, le repreneur apporte habituellement un nouveau souffle à l’entreprise, de nouvelles perspectives.
Comment font entrepreneurs et repreneurs pour s’apparier?
Souvent, la relève est déjà sous le nez de l’entrepreneur puisqu’il s’agit de membres de sa famille ou d’employés. Mais lorsque ce scénario ne s’avère pas, le maillage est plus compliqué: le propriétaire ne peut pas afficher publiquement ses intentions. S’il le faisait, il risquerait d’affoler ses employés et ses clients, de semer l’émoi chez ses partenaires d’affaires et ses fournisseurs.
Des deux côtés, cédants et repreneurs, la clé est dans le réseau de contacts. La plupart du temps, l’entrepreneur commencera par parler de ses intentions à sa firme comptable et à son conseiller juridique, ne serait-ce que parce que la valeur de l’entreprise et les aspects légaux sont des préoccupations centrales lorsqu’on envisage de vendre. Déjà là, ça fait une petite poignée de personnes bien réseautées qui garderont l’œil ouvert. Certains entrepreneurs vont plus loin, allant jusqu’à s’adresser à un chasseur de tête. Il y a aussi une quantité croissante de ressources pour favoriser le maillage cédant-repreneur, par exemple le Centre de transfert d’entreprises du Québec et sa plateforme Index1 –un répertoire de cédants et de repreneurs potentiels, où l’on n’a accès qu’à une partie de l’information dans un premier temps; un genre de site de rencontres, quoi!
Y a-t-il des conditions gagnantes pour un transfert réussi?
En fait, plus la réflexion des deux parties sera avancée avant la conclusion de la vente, mieux ça vaudra. Le cédant doit déjà avoir démêlé ses motivations: veut-il simplement récupérer ses billes ? Souhaite-t-il plutôt que ses employés gardent leur boulot, que le nom et les valeurs de l’entreprise subsistent? Tient-il à faire une transmission familiale? Quant au repreneur, il doit entre autres savoir si la PME convoitée représente pour lui un tremplin vers autre chose de plus gros ou s’il pense à long terme.
Le cédant doit aussi tester ses intuitions à l’égard de la relève. A-t-il bien exploré la piste des personnes qui travaillent dans l’entreprise? Perçoit-il depuis toujours un de ses enfants comme son successeur? Il pourrait en parler à son conseil d’administration, qui aura un regard plus détaché sur les besoins réels de l’entreprise et les forces de cette relève potentielle: peut-être la fille ou le fils est-il un très bon enfant plein de belles qualités, mais n’a pas ce qu’il faut pour reprendre seul l’entreprise. Ça peut aussi être un comité de relève qui joue ce rôle de conseiller, ou un mentor qui est passé par là. D’ailleurs, des programmes commencent à voir le jour au Québec pour accompagner les dirigeants dans ce processus.
Et une fois le processus d’acquisition entamé?
La transmission d’une entreprise se fait normalement sur une période assez longue, plusieurs mois ou, parfois, quelques années. C’est un exercice très émotif, et le respect des personnes est primordial. Dans une étude menée en 2013 et 2014, nous avons rencontré 20 hommes et femmes de moins de 45 ans qui avaient repris une PME au cours des dernières années. Les transmissions qui se sont le mieux déroulées sont celles où il y avait une relation forte entre le cédant et le repreneur, où la confiance s’est développée d’un côté comme de l’autre.
Lorsqu’il s’agit d’une transmission à l’interne, le grand défi du repreneur est de prendre sa place, d’affirmer sa conception des choses –comme gestionnaire, mais aussi comme personne. Qu’ils soient de la famille ou de l’entreprise, les propriétaires en devenir doivent graduellement imposer leur modèle de gestion, souvent plus participatif que ce qui existait, et démontrer l’efficacité de leur mode de fonctionnement, où il y a une plus grande place pour la conciliation travail–vie personnelle, par exemple. Ils peuvent aussi avoir un plus grand appétit pour la croissance que leur prédécesseur.
Je dis souvent à mes étudiants qu’ils ont le devoir d’acquérir une légitimité et de s’affirmer, même lorsque l’ex-propriétaire conserve un rôle important dans l’entreprise –ce qui arrive quand les conditions de financement impliquent un rachat graduel d’actions.
De quels étudiants parlez-vous?
En 2010, j’ai mis sur pied le cours Transmission et relève d’entreprise, offert aux étudiants de tout le campus, qu’ils proviennent d’un programme d’administration, de pharmacie, de médecine dentaire, d’agriculture ou autre. Plusieurs d’entre eux seront amenés à racheter une entreprise, notamment familiale. Un autre aspect que nous abordons est l’importance d’une communication efficace pour prévenir l’apparition de conflits : les séquelles sur la famille peuvent être profondes. D’ailleurs, dans la plupart des cas de transfert d’entreprise, la famille est un acteur qu’on néglige trop souvent, que ce soit son influence sur la décision de vendre et sur le soutien qu’elle apportera au nouveau retraité, ou encore sur la place qu’elle aura dans l’horaire et les préoccupations du repreneur.
Envisagez-vous la relève des PME avec optimisme?
Certainement! Il faut cependant prendre certaines précautions. On a passé beaucoup de temps à alerter le milieu sur les enjeux économiques: je crois qu’il est temps de changer d’étape. Depuis quelques années, des professionnels offrent leurs services pour venir en aide aux cédants et aux repreneurs. Il faut maintenant améliorer la qualité de cette offre, en outillant davantage les consultants et en développant des équipes multidisciplinaires où il y aurait une place pour des médiateurs, des coachs et des conseillers stratégiques. Depuis quelques années, je m’implique dans un organisme appelé Groupe Relève Québec, qui poursuit justement cet objectif.
Comment voyez-vous le rôle des consultants?
Ils doivent faire équipe avec le vendeur et les acquéreurs dans le but de minimiser les conséquences négatives du transfert sur l’entreprise elle-même, mais aussi sur tous les acteurs en place, ce qui inclut les employés et la cellule familiale.
Publié le 18 septembre 2016 | Par L.C.
Après près de 10 ans d'expérience dans la vente et la représentation d'autres entreprises, PME et grande entreprise, je me consacre à faire ma place au sein de l'entreprise familiale. Malgré les connaissances apprises durant mes années d'expérience, il n'est pas évident d'obtenir la reconnaissance de mes idées au sein de l'entreprise familiale. Est-ce parce que je suis de la famille? Est-ce parce que je vois différemment les choses? Ou est-ce simplement parce que derrière l'idée véhiculée de passation se trouve un directeur-propriétaire encore incapable de se voir ailleurs? J'ai tenté d'imiter leur modèle de gestion (soit de gros horaire de travail et travail durant mon arrêt de maternité), mais je me suis vite rendu compte que, puisque ça ne rejoignait pas mes valeurs, je n'obtenais pas les reconnaissances espérées et j'étais épuisée. Maintenant que j'y vais davantage à mon rythme, on se retrouve devant des différences générationnelles qui sèment le doute quant à mes capacités à reprendre la compagnie.
Je compte bien prendre le cours dont vous faites mention dans mes prochaines sessions. Il m'a fait plaisir de constater qu'il existe. Je prends présentement le cours Harmonisation travail-vie personnelle afin de m'outiller lorsque vient le temps de négocier. Cet article fera certainement partie de mes outils pour mes futures rencontres. Merci :)
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