Bâtir des écoles pacifiques
Se mobiliser contre la violence, c'est nécessaire… mais insuffisant. Et si l'école devenait l'endroit rêvé pour apprendre aux enfants comment bien vivre ensemble?
Par Brigitte Trudel
Fléau, ravages, menaces, souffrance: les mots relayés dans la sphère publique lorsqu’il est question de violence scolaire ne manquent pas de force d’évocation. Régulièrement, des exemples de cas qui attristent et bouleversent sont rapportés par les médias. En 2016, les écoles primaires québécoises seraient-elles le lieu de tous les dangers?
Non, démontre une étude de la Chaire de recherche sur la sécurité et la violence en milieu éducatif. Et on peut encore améliorer la situation, bâtir des écoles plus pacifiques. Titulaire de cette chaire et professeure à la Faculté des sciences de l’éducation, Claire Beaumont est formelle: «Ce qui émane des médias ne donne pas un portrait juste de la réalité. Cela renforce l’idée que les écoles sont des endroits insécurisants au Québec, alors que notre enquête prouve le contraire.»
Cette enquête, que la chercheuse dirige, est menée à l’échelle québécoise. Elle vise à dresser un portrait de la violence en milieu scolaire au fil des ans. Les premières données ont été recueillies en 2013, puis en 2015, dans 204 écoles, dont 74 primaires (4e, 5e et 6e années). Ainsi, en 2013 comme en 2015, il en ressort que le climat dans les écoles, tel que perçu par les élèves, le personnel et les parents, est plutôt bon. «C’est la source la plus fiable pour juger de ce qui va bien ou non», souligne Claire Beaumont.
En outre, les données de l’enquête montrent que, entre 2013 et 2015, la majorité des comportements violents n’ont pas augmenté ou ont chuté légèrement. Quant à la cyberintimidation qui inquiète, elle ne serait pas si répandue, touchant 1% des élèves.
D’où vient alors cette perception grandissante que les écoles sont violentes? «C’est qu’on manque de nuance, croit Claire Beaumont. Il ne s’agit pas de nier qu’il existe des problèmes, mais de faire des distinctions. En premier, il faut voir la violence pour ce qu’elle est, c’est-à-dire comme un phénomène relationnel et social. L’école est une microsociété. Dès lors, conflits, jeux de pouvoir et négociation vont survenir parce que ça fait partie des relations interpersonnelles.»
À partir de là, on fait quoi? On apprend aux enfants à socialiser. Car négocier, dialoguer et résoudre des conflits sont des habiletés qui se développent, comme la connaissance du français ou des mathématiques. L’objectif se trouve d’ailleurs au cœur de la triple mission de l’école québécoise: éduquer, socialiser, qualifier. «Transmettre ces habiletés ne veut pas dire se limiter à réagir aux situations de violence, note Claire Beaumont, mais bien guider tous les enfants dans leur apprentissage de la socialisation, et ce, dès le plus jeune âge.»
Vous avez dit civilité?
Professeur à la Faculté des sciences de l’éducation, Denis Jeffrey s’intéresse aux interactions sociales en lien avec la violence scolaire. Selon lui, l’outil de base pour assurer la socialisation des enfants se nomme «civilité». «La civilité renvoie aux bonnes conduites à adopter dès que nous partageons un espace commun, souligne-t-il. Cela comprend la politesse, le respect des règles et des personnes, les rites de salutation, les bonnes manières, etc.»
Mais comment la civilité peut-elle servir de pare-feu à la violence? «Lorsque l’enfant utilise ces règles, il apprend à se décentrer de lui et à donner de l’importance à autrui, explique Denis Jeffrey. Ces règles appelant des comportements réciproques, elles créent, au bout du compte, un climat pacifique et sécurisant où chacun peut faire confiance à chacun et d’où découle le fameux “ne pas faire aux autres ce que je ne veux pas qu’on me fasse”.» Une solution simple, mais essentielle, selon le chercheur qui s’étonne que le programme d’éthique au primaire n’inclut pas cet enseignement. Cela dit, tient-il à préciser, la civilité est cruciale, mais ne résout pas tout: certaines interactions agressives requièrent des interventions beaucoup plus ciblées.
Claire Beaumont établit elle aussi des distinctions entre les formes que peut prendre la violence à l’école. Tous les comportements n’ont pas la même portée, rappelle-t-elle: «Chaque situation doit être considérée au cas par cas, selon sa sévérité. Y a-t-il répétition? Blessure morale? Blessure physique? En général, les écarts de conduite intimidants n’ont pas les incidences graves qu’on leur suppose.» En général… car 10% des enfants en conserveront des séquelles. Et à ces écoliers qui souffrent, il est primordial d’offrir des interventions appropriées, tranche la professeure.
Une position qu’approuve Égide Royer, psychologue et professeur associé de la Faculté des sciences de l’éducation. Ces 10%, qu’il appelle son «noyau dur», sont formés de victimes, d’agresseurs et d’enfants qui sont tantôt l’un, tantôt l’autre. Pour eux, le soutien au comportement positif et l’harmonisation des rapports de force ne suffisent pas, confirme le spécialiste. Les aider nécessite de passer à un deuxième niveau. Notamment, offrir une aide pointue aux élèves dont le profil laisse penser qu’ils sont vulnérables.
«Mon jeune qui présente un handicap ou un trouble de l’apprentissage est 10 fois plus à risque de vivre ce genre de problématique, illustre M. Royer. Même chose pour les enfants qui, dès l’âge de 4 ou 5 ans, possèdent un tempérament d’agresseur ou de victime. D’autres viennent d’un milieu familial qui ne leur a pas permis de développer leur compétence sociale.» Tenir compte de ces facteurs, insiste Égide Royer, signifie s’adjoindre l’aide de psychologues et de psychoéducateurs, entretenir un rapport étroit avec les parents et assurer la présence, dans l’école, d’adultes qui servent de point de contact solide.
Valorisation pour tous
Voilà qui renvoie à la question de la formation du personnel scolaire. À ce titre, l’enquête menée par Claire Beaumont révèle que 80% des membres de ce personnel estiment ne pas avoir reçu de formation pour faire face à des situations de violence. La donnée vaut pour 2013 et pour 2015.
Professeure à la Faculté des sciences de l’éducation, Nancy Gaudreau reconnaît que le besoin d’outiller le personnel scolaire est réel. Cela dit, pour cette spécialiste en formation et perfectionnement du personnel éducatif, le grand défi demeure le passage de la théorie à la pratique. «C’est une chose de proposer des méthodes aux enseignants, mais encore faut-il qu’ils se sentent capables de les utiliser. D’où l’importance de travailler sur leur sentiment d’efficacité personnelle. En revanche, certains se sentent efficaces, mais n’emploient pas les bonnes méthodes: ils restent dans le punitif. Or, nous savons qu’en cas de conflits, il faut s’assurer que l’enfant sait ce qu’on attend de lui, s’opposer aux comportements déviants et, surtout, ne pas oublier de nommer le comportement attendu: “tu ne dois pas faire ça, mais plutôt ça”.»
La question s’avère encore plus corsée avec les futurs professeurs. D’abord, durant leurs études, trop peu de temps est consacré à la formation sur l’intervention auprès d’élèves en difficulté de comportement. Une situation qui s’améliorera dès l’an prochain, à l’Université Laval, alors qu’un cours sur le sujet, obligatoire au baccalauréat en éducation au préscolaire et en enseignement au primaire, passera de 30 à 45 heures.
Autre chose: «La gestion des comportements difficiles comporte une dimension relationnelle qui ne se développe vraiment qu’en situation réelle», soutient Nancy Gaudreau. Le vrai travail se fait donc plus facilement avec les enseignants en exercice. Selon elle, il conviendrait de miser davantage sur le mentorat et sur le transfert de connaissances entre collègues, novices et expérimentés. «Ce sont des formules courantes dans le milieu médical, mais pas dans celui de l’enseignement», constate-t-elle. La raison? Le métier d’enseignant n’est pas valorisé. Difficile de faire part de ses bons coups quand la fierté n’y est pas.
Et puisqu’il est question de valorisation, qu’en est-il de celle, tout aussi précieuse, des enfants? «La réussite scolaire est négligée quand on parle de violence à l’école, affirme Égide Royer. Prévenir et solutionner la violence est impossible sans considérer la réussite, ce vecteur phare. Un jeune qui ne se sent pas valorisé aura tendance à s’exclure ou à adopter des conduites agressives pour se valoriser autrement. Comment peut-il percevoir que le climat est bon dans un milieu où il échoue en permanence?»
Microsociété dans la société
L’école aura beau afficher la meilleure des qualités de vie, reste qu’elle n’est pas seule responsable de la socialisation des élèves. «Famille, entourage élargi, quartier, communauté, culture: tout cela a une influence sur les enfants, indique Claire Beaumont. Or, regardons-nous comme société. Quels modèles offre-t-on à la télé, dans les sports, dans les réseaux sociaux? Quels messages à propos des luttes de pouvoir et du règlement des conflits? La violence prédomine, la plupart de temps.»
Ce constat s’applique même à ceux qui statuent sur l’avenir des écoles, renchérit Égide Royer: «Si on administrait nos tests de climat scolaire aux élus en session parlementaire, on obtiendrait de curieux résultats…» Bref, l’équation pour garantir une école non violente ne se trouve pas qu’entre ses murs. Pourtant, tous les spécialistes s’entendent : l’école peut, et doit, offrir un milieu exemplaire aux enfants qui ne trouvent pas les bons modèles plus près d’eux.
Comment y parvenir? «En instaurant un climat positif où toute l’équipe-école se mobilise pour créer un environnement qui prône le vivre-ensemble, affirme Claire Beaumont. Prévenir la violence et s’attaquer aux problèmes dès qu’ils surviennent sont des visées importantes. Mais permettons-nous de les asseoir sur du solide.» En cela, la chercheuse propose le modèle de promotion de la santé au Québec. Lorsqu’il y a maladie, on traite, bien sûr; mais un large pan du travail se fait en amont, à savoir la promotion de comportements préventifs comme bien manger ou faire de l’exercice. «Appliqué en milieu scolaire, cela correspond à promouvoir des valeurs garantes de bien-être, partagées par toute l’école: accepter et célébrer les différences, mettre l’accent sur les forces de chacun, instaurer une saine communication axée sur le respect de soi et des autres», énonce-t-elle.
Ce climat positif n’empêche pas les adultes responsables d’être directifs et d’avoir des exigences envers les enfants, assure la chercheuse, mais toujours sous le sceau de la bienveillance. «Les parents sont des acteurs incontournables de cet exercice, ajoute Nancy Gaudreau. Établir les meilleures conditions pour ce partenariat parents-école n’est pas une mince tâche compte tenu des horaires chargés et des obligations de chacun, mais en tant qu’éducateurs, cette responsabilité nous incombe.»
Quant à éliminer la violence complètement, ce n’est pas réaliste, lance Claire Beaumont: «Notre rôle, c’est d’en réduire les conséquences néfastes au minimum, en nous attardant au bien-être général des élèves. Les enfants ne viennent pas en classe dans le but de régler des problèmes, mais dans celui d’apprendre et d’avoir du plaisir à le faire, de découvrir et de développer leur potentiel. En orientant nos actions sous cet angle, nous leur donnons la chance de réussir leur parcours scolaire et toute leur vie. Au contraire, s’inspirer d’une expression comme “lutter contre la violence” nourrit une forme de non-sens, vous ne trouvez pas?»
Lisez les témoignages de trois diplômés sur la manifestation de la violence dans les écoles en France, aux États-Unis et en Belgique.
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Publié le 7 octobre 2016 | Par Sylvie Côté
À retenir de cet article, la violence, ce n'est pas que l'affaire de l'école. Cette dernière est un reflet de la société dans laquelle nous vivons. Il serait souhaitable que tous les adultes soient interpellés par cet article, ne serait-ce que pour prendre conscience que nos jeunes se modèlent d'abord et avant tout sur nos agirs.
Bonne lecture !
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