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Hiver 2018

Soigner par les gènes, c’est demain?

La médecine en fonction du code génétique connaît de grandes avancées, mais se fait rare dans la pratique.

Illustration Marianne Chevalier

Nous sommes en 2049. Vous entrez dans le bureau de votre médecin de famille. À l’écran de son ordinateur, il consulte déjà votre dossier électronique: histoire familiale, historique médical, habitudes de vie, derniers résultats de prise de sang et… votre profil génétique. D’emblée, il sait que vous faites partie des gens à risque de souffrir de dépression et que votre organisme ne réagit pas à certaines classes d’antidépresseurs. Par contre, bonne nouvelle, votre prédisposition à développer une maladie cardiovasculaire n’est pas inquiétante. Un scénario utopique?

Pas vraiment. Plusieurs experts de l’Université Laval pensent que l’avenir des soins de santé repose sur la prévention et les traitements médicaux ciblés en fonction des caractéristiques génétiques de chacun. Mais la patience s’impose. Malgré les avancées en génomique –l’étude du génome entier, codé dans l’ADN, dont les gènes font partie–, le même traitement pour tous domine encore beaucoup les soins de santé. L’information génétique n’est utilisée que dans certains domaines. Les nouveaux tests qui exploitent le génome pour diagnostiquer ou traiter une maladie tardent à faire leur entrée en clinique. La médecine sur mesure, basée sur votre ADN, est bien réelle, mais elle a encore besoin de temps avant de livrer toutes ses promesses.

Génomique pour tous?
«La génomique reste le lot de la recherche et de certaines spécialités comme l’oncologie, estime France Légaré, médecin de famille et professeure au Département de médecine familiale et de médecine d’urgence. Le dépistage génétique n’est pas prescrit dans les bureaux de soins de première ligne, à part pour identifier des maladies génétiques chez le fœtus.» 

Avec son collègue François Rousseau, du Département de biologie moléculaire, de biochimie médicale et de pathologie, la Dre Légaré a passé en revue 3000  études s’attardant aux bonnes pratiques médicales de la bibliothèque Cochrane. À noter que celle-ci comporte six  bases de données en santé, dont les fameuses revues systématiques Cochrane, l’une des meilleures sources de données probantes sur les interventions en santé. Résultat: seulement 24 des études recensées traitent de l’utilisation de la génomique! Selon une enquête en ligne menée par des chercheurs de l’Université Laval, dont le professeur au Département de médecine moléculaire Jacques Simard, les deux tiers des 47  médecins de famille et des 375 médecins spécialistes du Québec interrogés n’ont pas recours aux tests pharmacogénomiques, qui cherchent à prédire comment votre génome réagit à certains médicaments. Manque d’intérêt? Non, puisque la presque totalité d’entre eux reconnaît le lien entre les gènes, les réactions à un médicament et les maladies. Les médecins avouent plutôt être mal formés en génétique et en pharmacogénomique. Ils seraient plus enclins à faire parler l’ADN de leurs patients si la génomique se trouvait dans le guide des bonnes pratiques de leur spécialité et s’il y avait davantage de données probantes sur ses bénéfices pour mieux soigner.

Cela dit, France Légaré affirme que sa médecine est déjà personnalisée. «On voit chaque patient comme un cas unique. On le traite selon ses antécédents familiaux et son mode de vie, des paramètres qui ont une grande influence sur la santé», précise-t-elle. Ainsi, une femme dont l’arbre généalogique regorge de cas de cancer du sein sera suivie de très près, dès un jeune âge. Un fumeur invétéré aura un drapeau rouge sur son dossier médical.

Les données génomiques d’un individu viennent ajouter une couche de données à ces informations pour amener plus loin sa prise en charge. «En connaissant les anomalies et les variations génétiques d’un patient, on peut déterminer s’il a besoin d’un dépistage précoce pour une maladie donnée, ou encore déterminer les meilleurs traitements adaptés à ses gènes», précise Yves Fradet, professeur au Département de chirurgie et chercheur en oncologie au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval. Il préfère donc parler de soins de santé de précision, plutôt que de médecine personnalisée.

Jacques Simard abonde en ce sens: «L’idée n’est pas de développer des médicaments ou des traitements différents pour chacun, mais d’établir des sous-groupes de personnes plus à risque de contracter certaines maladies ou de moins bien répondre à certaines approches thérapeutiques.» Selon ce spécialiste du cancer du sein et directeur adjoint à la recherche fondamentale du Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval, quantité de données génétiques et de découvertes sont prêtes pour l’implantation en clinique. Il y a déjà quelques exemples de réussite. Depuis une dizaine d’années, les oncologues peuvent utiliser des tests pour tracer le profil génomique d’une tumeur afin d’ajuster les traitements. Il existe aussi des tests génétiques de prédisposition à plusieurs cancers et autres maladies.

La prévention par les gènes
Dans le cas du cancer du sein, par exemple, on sait depuis la fin des années 1990 que les porteuses de mutations sur les gènes BRCA  1 et BRCA  2 sont environ 10 fois plus à risque de contracter la maladie. Une simple prise de sang permet de déceler ces femmes. Le recours à ce test de dépistage a d’ailleurs doublé losque l’actrice Angelina Jolie, porteuse du gène BRCA  1, a décidé de subir une double mastectomie à titre préventif.

Depuis quelques années, la science s’intéresse aussi aux variations génétiques qui altèrent le rôle de certains gènes. Dans le cadre de deux études publiées par Nature et Nature Genetics en octobre 2017, le Dr  Simard et une équipe d’experts ont analysé les profils génétiques de 275  00 0 femmes, dont 146  000 étaient atteintes du cancer du sein. Ils ont trouvé 72  nouveaux marqueurs en lien avec la maladie, qui s’ajoutent aux 108 déjà découverts. «Chacun de ces marqueurs fait augmenter légèrement le risque de cancer du sein, explique-t-il. Mais si une femme possède plusieurs de ces marqueurs, son risque d’avoir un cancer du sein augmente substantiellement.» En combinant la présence de ces marqueurs à d’autres facteurs de risque, comme la densité mammaire, l’âge, le système hormonal et les habitudes de vie, il est possible de déterminer le niveau de risque individuel et de prévoir un suivi adapté.

Le Dr Yves Fradet favorise la même approche pour le cancer de la prostate. Il utilise le profil génétique des patients pour cibler les variants génétiques qui mettent à risque de cancer. «Le but est d’utiliser cette information pour éviter des tests inutiles aux hommes qui présentent un faible risque et mieux cibler ceux qui ont besoin d’intervention rapide», précise-t-il. Le chercheur regarde aussi du côté de la tumeur. Il a ainsi séquencé 477 tumeurs afin d’associer certaines signatures génomiques à un risque plus élevé de récidive et de propagation de la maladie. «Il n’y a pas un cancer de la prostate, mais plusieurs, signale Yves Fradet. Les tumeurs réagissent différemment aux thérapies comme la chirurgie ou la radiothérapie. Dans 30% des cas, les cellules cancéreuses sont plus agressives et migrent à l’extérieur de la prostate, ce qui cause des récidives à la suite des traitements.»

Avec Chantal Guillemette, professeure à la Faculté de pharmacie et directrice du laboratoire de pharmacogénomique, et d’autres collègues, Yves Fradet a déposé des demandes de brevet pour des tests de prédiction du risque de récidive du cancer en faisant appel aux marqueurs génétiques découverts.

Traitements sur mesure
La génomique vient également répondre au besoin criant de traitements personnalisés. Par exemple, «aussi peu que 25% des gens répondent bien aux médicaments anticancéreux», révèle Chantal Guillemette. Dans le cas du traitement de la dépression, plusieurs patients expérimentent de nombreux médicaments avant de trouver celui qui leur convient le mieux. De tels essais-erreurs se font à grands coups d’effets secondaires et de manque d’efficacité pour le patient, et de dollars dépensés en vain pour la société. «Les tests pharmacogénomiques pourraient d’emblée éliminer les prescriptions inefficaces ou néfastes pour un individu et ainsi accélérer sa prise en charge», affirment Chantal Guillemette et sa collègue Isabelle Laverdière, également professeure à la Faculté de pharmacie.

Pour les deux chercheuses, la médecine de précision consiste à optimiser le médicament pour diminuer les effets secondaires et augmenter les bénéfices en utilisant l’information génétique sur le patient et sa maladie. «Neuf personnes sur dix ont au moins un gène qui a le potentiel d’interagir négativement avec un médicament. Idéalement, il serait judicieux de tester génétiquement chaque patient avant de lui prescrire un traitement», mentionne Chantal Guillemette.

Jusqu’à ce jour, on connaît quelque 200  médicaments sur lesquels les gènes peuvent avoir de l’influence. «La génomique est un outil de plus permettant au corps médical de trouver le meilleur médicament pour chaque individu, réitère Isabelle Laverdière. Un tiers des effets secondaires pourraient être évités par l’analyse des interactions entre les gènes et les médicaments.»

Du labo au patient
Mais pour que ces tests pharmacogénomiques se rendent jusqu’aux médecins, puis aux patients, il faut pousser le transfert de ces technologies vers la clinique. Or, selon Jacques Simard et Yves Fradet, les compagnies pharmaceutiques s’intéressent peu à la mise en marché des tests, qui sont financièrement moins intéressants que les médicaments. Les instances gouvernementales attendent des données probantes démontrant les bénéfices de la médecine de précision dans le contexte de notre système de santé. Plusieurs études sur les enjeux liés à l’utilisation des tests basés sur le génome –faisabilité, implantation, acceptation– sont en cours au Canada et dans le monde, mais peu au Québec. Leur coût –des dizaines de millions de dollars– limite les possibilités de subvention.

«Il faut croire en l’innovation québécoise et faire le saut, pense Yves Fradet. On pourrait être des leaders mondiaux dans ce domaine. Cette nouveauté doit être vue comme un investissement et non comme une dépense supplémentaire.» Surtout que les tests qui «interrogent» notre génome sont de moins en moins coûteux et les bénéfices sont très importants, d’ajouter Chantal Guillemette et Isabelle Laverdière.

Par ailleurs, le Dr Simard préconise d’éviter d’inonder les patients d’information génétique. Il suggère d’introduire ces données dans le dossier médical de façon ciblée. Si un médecin suspecte qu’une femme, par son historique familial, est à risque de cancer du sein, il ira scruter ses gènes sur cette question seulement.

«Il faut ensuite encadrer les gens de façon à ce qu’ils utilisent leur génétique pour se prendre en main», soutient Jacques Simard. Par exemple, une femme à haut risque de cancer du sein d’après ses gènes peut mettre les chances de son côté en surveillant sa consommation d’alcool, en faisant plus d’activité physique et en mangeant sainement. Inversement, il faut empêcher celles qui sont à faible risque d’abandonner leurs bonnes habitudes de vie.

«Pour que la médecine de précision ait du succès, il faut s’assurer que l’information génétique soit couplée à des actions et à des bénéfices pour le patient», ajoute le chercheur. Il cite l’exemple du nouveau Réseau ROSE. Crée par des chercheurs de l’Université Laval, ce réseau encadre des femmes à risque élevé de cancer du sein ou de l’ovaire. France Légaré est tout à fait d’accord. Connaître le patient sous toutes ses coutures génétiques ne change rien si cela n’améliore pas sa prise en charge. L’ADN dans le dossier médical, oui, mais pas à n’importe quel prix!

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Lisez le témoignage d’une donatrice de la Faculté de pharmacie.

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  1. Publié le 23 février 2018 | Par Monique Labelle

    Bravo! La génomique est sous-utilisée, par peur, par manque de connaissances, par manque de généticiens pour appuyer les médecins spécialistes.

    La génomique, l'avenir de la médecine personnalisée...
  2. Publié le 23 février 2018 | Par Carol Chouinard

    Il est à espérer que le Québec se dotera de l’infrastructure informatique nécessaire à la gestion des dossiers patients qui contiendront sans cesse plus d’informations: profil génétique et du microbiome, et données provenant des appareils personnels.

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