La santé dans la boîte à lunch
À l’école comme au bureau, un sac-repas bien garni est synonyme de santé, en plus de réduire les tentations de la restauration rapide.
Par Serge Beaucher
Obésité, embonpoint, excès de poids… une tendance lourde dans notre société de malbouffe et de repas pressés! Le problème s’infiltre jusque dans la boîte à lunch des ados, qui y traînent souvent tous les ingrédients de leur surcharge pondérale, quand ils ne vont pas directement s’alimenter à la source du gras: les fast-foods autour des écoles. Mais tout n’est pas joué, nous dit Paul Boisvert, kinésiologue, spécialiste de la nutrition et coordonnateur de la Chaire de recherche sur l’obésité de l’Université Laval. Comme le démontre cette chaire à l’école secondaire De Rochebelle de Québec depuis 2004, on peut améliorer la situation à coups d’éducation et de changements progressifs. À commencer par le contenu de la boîte à lunch des élèves –et de leurs parents– qui peut être tout à fait sain et alléchant.
Vous insistez beaucoup sur la boîte à lunch santé des élèves. Pourquoi est-ce important?
Parce qu’une boîte à lunch saine fait partie d’une alimentation saine. Il y a des liens avec la santé en général, avec le surpoids –un problème important chez les jeunes– et avec la performance scolaire. Le repas du midi peut avoir un effet sur l’énergie et la concentration en classe. L’excès de sucre pris dans un petit gâteau et une boisson gazeuse grand format, par exemple, amène dans le sang une charge rapide de glucose qui redescendra vite, laissant l’élève en lutte contre le sommeil une partie de l’après-midi.
Les adolescents sont-ils capables de se préparer eux-mêmes des lunchs santé pour apporter à l’école?
Chose certaine, après plusieurs années de sensibilisation et d’information auprès des élèves, mais aussi de leurs parents, les boîtes à lunch se sont beaucoup améliorées à l’école De Rochebelle. Près des deux tiers (64%) des 367 boîtes dont nous avons analysé le contenu en 2011 passaient le test de la qualité, comparativement à un peu plus de la moitié les deux années précédentes. Cela prouve que l’éducation, ça fonctionne. Je ne sais pas si les ados en viennent à préparer eux-mêmes leurs lunchs; en tout cas, les parents doivent superviser l’opération et s’assurer qu’il y a ce qu’il faut dans le frigo pour confectionner un dîner santé.
Qu’est-ce qu’une boîte à lunch santé?
Un bon lunch contient au minimum une portion de légumes ainsi que des aliments, de préférence non transformés industriellement, provenant d’au moins trois des quatre grands groupes alimentaires (fruits et légumes, produits céréaliers, lait et substituts, viande et substituts). On peut avantageusement remplacer la viande par du poisson non pané, beaucoup trop rare dans les boîtes à lunch, ou par des légumineuses (pois chiches, lentilles, fèves rouges…), un aliment miracle qui est à la fois nutritif, goûteux et pas cher, mais tellement négligé dans la promotion alimentaire.
Il faut aussi choisir les grains entiers plutôt que le traditionnel pain blanc –qui compte encore pour 60% du pain tranché vendu dans les épiceries. Et pas de jus avec sucre ajouté; idéalement, un fruit frais plutôt que le jus. Comme boisson: de l’eau ou un petit contenant de lait, que peut aussi remplacer un lait de soya, bonne source de protéines, de calcium et de vitamine D ajoutée. Personnellement, c’est ce que je bois le midi.
Tout cela s’applique-t-il aussi à la boîte à lunch d’un travailleur adulte?
Tout à fait. Les règles sont les mêmes, autant pour le sucre que pour le sel et tous les autres composants d’un repas. À noter qu’un excès de sodium n’est pas plus recommandable pour un adolescent que pour un adulte. De plus en plus de jeunes ont une pression artérielle élevée à cause de leur surconsommation de sel par la voie des aliments transformés. Bref, le seul aspect sur lequel je ferais une différence entre élèves et travailleurs, c’est la couleur. Pour les jeunes, encore plus que pour les adultes, l’assiette doit être attrayante. Quoi de plus appétissant qu’un beau légume vert, des poivrons rouges et une salade de pâtes multicolore?
Les parents sont-ils bien outillés pour surveiller la boîte à lunch de leurs enfants?
Ils vont souvent vers la facilité eux aussi : sandwich de charcuterie, boisson sucrée et gâteau, pourvu que ce soit vite fait. Or, pour faire vite, on a le plus souvent recours à des produits transformés industriellement, avec le trop-plein de sel, de sucre et de gras que cela implique.
Comment en arriver à toujours avoir une boîte à lunch saine?
La clef, c’est la planification. Et c’est ce qui fait le plus défaut dans les familles, comme on l’a vu dans la récente enquête sur les comportements alimentaires des Québécois, Tout le monde à table. Il faut prévoir ce qu’on va manger au cours des prochains jours, préparer des repas à l’avance, en avoir des portions congelées qu’on sort la veille, et disposer des ingrédients nécessaires. Je conseille même de décider quelle journée on va manger tel ou tel repas, le poisson par exemple, qui ne fait pas partie de notre culture ; sinon on ne le fera pas. Et mieux vaut préparer son lunch la veille. On ne se met pas à couper des légumes juste avant de partir pour l’école ou pour le travail.
On doit aussi prévoir les collations?
Oui, les collations sont importantes, surtout l’après-midi, alors que plus de cinq heures peuvent séparer le dîner du souper. Un fruit, un yogourt ou une poignée de noix feront l’affaire… à condition qu’on les ait sous la main, pour éviter de courir au dépanneur acheter un chips ou du chocolat. Faute d’une collation appropriée, on arrivera au souper avec une telle faim qu’on risque de trop manger. Finalement, la collation, c’est une stratégie saine pour ne pas surconsommer.
Qu’est-ce qui vous a amené à l’école De Rochebelle?
En 2004, à la demande de cette école qui versait particulièrement dans la malbouffe, j’ai proposé un virage santé, avec l’appui de mes collègues de la Chaire de recherche sur l’obésité et ceux de la Chaire sur les comportements et la santé. Après avoir réalisé un portrait de la situation, nous avons suggéré la mise sur pied d’un comité appelé Action santé dans l’école, l’adoption d’une politique alimentaire et la modification progressive de l’environnement alimentaire. Le contenu des machines distributrices a été revu, des changements ont été apportés au menu, au fonctionnement et à la décoration de la cafétéria, une sandwicherie santé– pour concurrencer les Subways de ce monde –et un comptoir à salade, très populaire, y ont été ajoutés. Tout cela soutenu par des activités d’éducation et de promotion.
En 2008, nous avons commencé à mesurer les effets de nos interventions, par l’analyse du contenu des boîtes à lunch ainsi que par des sondages sur le taux de «désertion» des élèves vers les restaurants du secteur. Les résultats ont été probants: outre l’amélioration significative de la qualité des lunchs, la proportion des élèves qui dînent à l’école tous les jours a augmenté de presque 5% et les désertions vers les restos au moins une fois aux 10 jours ont diminué de près de 7%. Nos interventions à Rochebelle ont d’ailleurs en bonne partie inspiré la politique cadre du gouvernement du Québec, Pour un virage santé à l’école, adoptée en 2007.
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