La musique populaire décryptée
Alors qu’elle se consomme plus que jamais, la musique populaire livre sa nature profonde à la science.
Par Matthieu Dessureault
Elles propagent leurs décibels sur les ondes des radios, au cinéma, à la télévision, sur Internet et dans les salles de spectacles. De LMFAO à Lady Gaga, en passant par les Rolling Stones et Justin Bieber, les stars de la musique populaire misent sur une diffusion massive. Derrière leurs plans de marketing sophistiqués se trouvent souvent des artistes de grand talent. C’est l’avis de Serge Lacasse, musicologue et professeur à la Faculté de musique. Ce mélomane insatiable enseigne l’analyse, l’histoire, l’écriture et la théorie de la musique populaire; il est également chercheur à l’Observatoire international sur la création musicale et au Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises.
Quelle est votre définition de la musique populaire?
C’est impossible d’en donner une définition précise. On peut faire référence aux styles musicaux qui pourraient en faire partie, comme le rock, la soul ou le hip-hop, mais ça ne dit pas tout. Par exemple, la musique populaire exclut le jazz et le classique, quoique certains artistes jazz se rapprochent du populaire et bien que Vivaldi, Beethoven et Mozart, entre autres, aient pénétré la culture populaire. On peut aussi se baser sur les ventes de disques, mais encore là, la ligne est difficile à tracer. Radiohead et Björk sont considérés par certains comme des artistes expérimentaux, l’opposé de la musique populaire, même s’ils vendent des millions de disques. Ils font du populaire, on peut le dire, mais leur popularité est différente de celle de Britney Spears.
D’où vient le concept de musique populaire?
La musique populaire est née à New York à la fin du XIXe siècle, avec l’arrivée de la Tin Pan Alley. L’expression désigne un regroupement d’éditeurs musicaux qui, visant le marché spécifique de la classe moyenne, vendaient des chansons sous forme de musique en feuilles. C’est ainsi que sont entrées dans des milliers de foyers les œuvres de Cole Porter et d’Irving Berlin. Peu à peu, des artistes de différents styles se sont associés à ce courant, utilisant la radio puis le cinéma parlant comme moyens de diffusion de leur musique. Barbara Streisand et Céline Dion sont directement issues de ce mouvement.
Existe-t-il un âge d’or de la musique populaire?
Non. Chaque période et chaque culture entretiennent, avec leur musique, des échanges vigoureux et significatifs dans toutes les étapes de leur trajectoire.
Pour plusieurs, la musique populaire est avant tout mercantile. Êtes-vous de cet avis?
C’est un préjugé. Tous les artistes de tous les domaines désirent être connus par leur public. La musique populaire n’est pas nécessairement un lieu de facilité. Certains artistes pop font preuve d’une grande habileté technique. Rodney Jerkins, qui a réalisé des enregistrements pour Britney Spears et les Spice Girls, a travaillé longtemps pour construire sa signature sonore, entre autres en combinant la voix de Spears et des enregistrements de portes qui ferment.
Certes, les artistes populaires visent un marché spécifique lorsqu’ils composent, mais qui ne le fait pas ? Quand Beethoven composait des ritournelles ou des symphonies, il visait deux publics différents. Chaque genre musical, peu importe qu’il soit destiné à la grande consommation ou non, demande énormément de travail. La musique populaire, ça ne se fait pas en cinq minutes. Daft Punk, pour ne nommer que ce groupe, a pris sept ans avant de sortir un album!
Qu’est-ce qui fait la qualité d’une pièce?
Plusieurs éléments font qu’une chanson est bonne ou pas: sa structure, l’utilisation de l’espace sonore, le respect des conventions du genre musical et le fait qu’on y trouve, ou non, une part de nouveauté. C’est une question de dosage. Si un artiste va trop loin dans l’innovation, il sera qualifié d’underground.
La valeur de la musique a fait l’objet de beaucoup de controverses, mais aussi de recherches fort intéressantes. En général, les chercheurs établissent une distinction entre une valeur qui serait «intrinsèque» à la musique et la valeur que lui attribue, par exemple, le public. Une autre confusion qu’ils tentent de dissiper concerne les critères d’évaluation eux-mêmes, en particulier la tendance à juger un style musical à l’aide de critères associés à un autre courant musical. On ne peut pas évaluer une chanson populaire en fonction des critères de la musique classique. Ce sont deux modèles complètement différents.
Est-ce que la qualité d’une pièce entraîne forcément le succès?
Non. Il existe des milliers de compositeurs que l’histoire a complètement oubliés même si leurs œuvres répondaient aux critères du genre musical. Dans la commercialisation de la musique, il y a une grosse part d’inconnu, de spontanéité et d’intuition, en plus du contexte de mise en marché. C’est souvent une question de feeling. S’il y avait une recette, les gens de l’industrie l’appliqueraient et tous les palmarès des stations de radio seraient les mêmes.
Quel est votre palmarès, à vous?
Ça change continuellement! Pour l’instant, je dirais que mon numéro 1 est With or Without You, de U2. Cette chanson s’appuie sur une structure classique hyper-reconnue, la même qui fut utilisée pour le Canon de Pachelbel, avec une signature rythmique 4/4, qui se construit et se déconstruit tout au long de la pièce.
J’ajouterais à mon palmarès n’importe quelle balade de Diane Warren réalisée dans les années 90. Cette dame a composé des «hits de malade», que ce soit pour Céline Dion, Whitney Houston ou Tina Turner. Elle est la Irving Berlin d’aujourd’hui!
Enfin, j’ai été frappé dernièrement par une chanson de Coldplay, A Sky Full of Stars. J’adore le mixage de cette pièce, qui comprend une multitude de détails, et sa structure non conventionnelle. C’est surtout une chanson joyeuse, qui fait du bien. Cet avis n’engage que moi, car ma blonde, qui est musicologue elle aussi, déteste cette chanson! Cela en dit long sur le caractère subjectif de la valeur de la musique.
D’où vient votre intérêt pour la musique populaire?
Ça remonte à loin. Dès l’âge de 12 ans, je jouais de la pop et du rock dans différents groupes. On participait à des concours, on enregistrait des disques. En parallèle, je m’intéressais à la théorie de la musique. Je m’étais inventé un système de notation et je faisais des effets de déphasage électronique dans des pièces de Beethoven. Un jour, je suis tombé sur un article de la revue Popular Music qui analysait de façon détaillée un solo de guitare de Jimi Hendrix. J’ai su, dès lors, que je pouvais marier la théorie à mon amour de la musique populaire. C’est pourquoi, après avoir obtenu un baccalauréat en jazz de l’Université McGill, j’ai fait une maîtrise en musicologie à l’Université Laval. Mon rapport de maîtrise portait sur la chanson Digging in the Dirt, de Peter Gabriel.
Et vous avez poussé plus loin les études?
Oui, je suis parti en Angleterre en 1995 pour faire un doctorat sur la mise en scène de la voix dans la musique enregistrée. Je me suis demandé pourquoi les artistes intègrent des effets dans leur voix, comme la réverbération, la saturation et l’écho, pour me rendre compte que cette pratique trouve ses origines, en fait, dans la préhistoire. À cette époque, j’ai réalisé que très peu de chercheurs s’intéressaient à la voix comme communicatrice d’émotions en musique populaire. J’en ai fait le sujet de mes recherches.
En 2000, j’ai obtenu le premier poste au Canada consacré à la musicologie de la musique populaire, à l’Université de Western Ontario. Plusieurs chercheurs avant moi s’étaient intéressés au phénomène de la musique populaire, mais là, c’était officiellement reconnu par le milieu universitaire.
La musique populaire a maintenant acquis ses lettres de noblesse dans les universités. Qu’en est-il de l’Université Laval, où vous enseignez depuis 2002?
Sur le plan de la recherche, nous avons établi de nouveaux programmes innovants, en particulier les concentrations «recherche-création», qui sont dirigées par Sophie Stévance. Chercher, créer, réfléchir et innover sont au cœur de ces programmes. Tous les étudiants que je dirige, que ce soit à la maîtrise ou au doctorat, travaillent sur la musique populaire, en recherche ou en recherche-création.
Du côté de la pratique, en 2011, nous avons créé la concentration auteur-compositeur-interprète de la maîtrise en interprétation, qui a permis de faire entrer davantage la pop dans les salles de cours. Puis, nous avons fondé le LARC (Laboratoire audionumérique de recherche et de création), une infrastructure consacrée principalement à des projets de recherche et de recherche-création. Muni d’équipements à la fine pointe de la technologie, ce studio permet aux étudiants comme aux professionnels de pousser plus loin leur démarche en musique populaire. Nous avons accueilli des artistes tels que Tanya Tagaq, une collaboratrice de Björk, et Michael Malih, qui a réalisé la chanson Superstar, de Madonna.
Le LARC n’est pas uniquement au service de la musique populaire ; on l’utilise aussi pour du classique, du jazz, etc. Et bientôt, nous lancerons Les Productions LARC, dont l’un des mandats sera de soutenir la recherche, la création, l’exploration et l’innovation chez les artistes de la relève. Aussi à surveiller: la sortie prochaine de Remixer la chanson québécoise, un album qui regroupe 15 chansons québécoises parues avant les années 60. Toutes ont été remixées dans différents styles, allant de la pop aux courants plus expérimentaux. Je suis super content du résultat!
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Publié le 23 septembre 2015 | Par Louis Robitaille
Je ne me souviens plus quel jazzman reconnu avait répondu ça à une question sur la source de son inspiration. Bref, je me souviens de la réplique. C'est ma tirade favorite en ce qui concerne la musique.
Ça et une discussion il y a longtemps avec une amie américaine ayant une formation musicale en composition, dans laquelle elle me répétait que tous les grands courants musicaux essayaient systématiquement de briser les règles établies par leurs prédécesseurs. Les Beatles n'on rien inventé, en termes d'attitude ou de processus: c'est l'habituelle et prévisible révolte contre la vieille garde, la même qui a animé Bach, Palestrina, Stravinsky ou Cole Porter.
La musique contient, à tout le moins, un mystère, si ce n'est plusieurs. Mais elle connecte, rassemble, met en phase, crée un lieu, un moment. C'est de l'espace-temps géré selon un principe transcendant, qui traverse semble-t-il tous les étages de l'expérience humaine.
Bouder la musique, c'est bouder cette conjonction de l'âme et de l'esprit humain qui se mettent à danser ensemble dans nos têtes, comme Fred et Ginger.
Publié le 23 septembre 2015 | Par Richard Baillargeon
Pour ce qui est de la préhistoire, l'objet de la recherche peut remonter assez loin, comme en témoigne la découverte récente de «lithophones» au Sahara.
Pour compléter sur une préhistoire plus rapprochée, nous apprenions le décès d'un pionnier rockabilly d'origine québécoise la semaine dernière: Hal Willis (né Léonald Gauthier), décédé le 4 septembre 2015.
Il avait fait partie d'une des premières tournées d'Elvis Presley. Son 45 tour «My Pink Cadillac» était paru en 1956 sur étiquette Atlantic 45-1114, mais il a été plus connu pour son «Lumberjack» une dizaine d'années plus tard.
J'adore l'archéologie musicale!!
Publié le 19 septembre 2015 | Par Rodrigue GAGNON
Publié le 18 septembre 2015 | Par Richard Fournier
J'ai travaillé à la radio dans les année 50!
Auteur de poèmes et de nouvelles, je n'ai qu'un texte parlant d'un album rock... inventé.
La nouvelle fut néanmoins remarquée aux Obsédés textuels du Printemps des poètes de Québec 2010 par un prix spécial du jury composé de membres de... 20 à 35 ans.
Mais c'est un texte de sociologue et d'écrivain. Je suis intéressé à d'autres pistes, et en connaître plus à propos des structures que j'ignore sur des musiques... je n'écoute pas.
Salutation cordiales,
Richard Fournier
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