La 3D presque à portée de main
Les chercheurs du campus contribuent à faire entrer les représentations tridimensionnelles dans tous les aspects du quotidien.
Par Nathalie Kinnard
La 3D n’est plus seulement réservée aux jeux vidéo et au cinéma. Elle sort lentement des laboratoires et des mains des spécialistes, se démocratise et pénètre les foyers du monde entier. Par exemple, avec le stylo 3Doodler, elle devient littéralement à la portée de tous. Au lieu de faire couler de l’encre, ce stylo futuriste fait jaillir du plastique qui se solidifie instantanément pour créer des objets en trois dimensions. Il «imprime» en quelque sorte le dessin dans les airs.
Plusieurs projets de recherche réalisés à l’Université contribuent à mettre la 3D entre les mains du public. Les chercheurs repoussent sans cesse les limites des applications de la technologie et réinventent les façons de faire dans plusieurs domaines. Selon les spécialistes du campus, la 3D virtuelle sera un jour présente partout, jusque dans nos cellulaires. Ce n’est qu’une question de temps…
L’obsession de la troisième dimension
La 3D est-elle donc la prochaine vague technologique? Non, s’accordent à dire différents chercheurs de l’Université. Tout simplement parce que la 3D n’est pas un concept nouveau en soi.
La restitution du relief a toujours été une obsession technologique. Dès l’invention de la photographie, en 1839, on cherche à mettre au point des techniques de prise de vue dédoublées pour faire ressortir le relief, ce qui peut être observé grâce à des visionneuses appelées stéréoscopes. En 1935, les frères Lumière appliquent une technique semblable pour tourner un court-métrage dont le relief sera perçu par les spectateurs munis de leur invention: des lunettes comportant un verre jaune et un verre mauve, ancêtres des lunettes polarisantes 3D actuellement utilisées par les cinéphiles.
Alors, quoi de neuf? «Depuis 20 ans, on connaît un boum du côté des applications de la 3D parce que la puissance de calcul de nos ordinateurs et les différentes technologies de numérisation nous permettent de visualiser l’effet de profondeur», observe Denis Laurendeau, professeur au Département de génie électrique et génie informatique et directeur du Laboratoire de vision et systèmes numériques.
Le stylo 3Doodler fait partie des récentes applications 3D à entrer dans nos vies quotidiennes. Il vient rejoindre le capteur 3D Kinect de la console XBox, un système qui a révolutionné le monde du jeu vidéo, en 2009, en substituant les manettes par le corps humain. Il rejoint également Google Earth qui, depuis 2006, permet aux internautes de regarder des villes et des bâtiments modélisés en 3D. On peut aussi mentionner la télévision 3D, apparue en 2010, et le logiciel gratuit Google SketchUp, qui permet à tous de s’initier à la création de modèles 3D de façon conviviale. «Pour le moment, le public est surtout spectateur de la 3D, et non acteur», remarque Sylvie Daniel, professeure au Département des sciences géomatiques.
S’imprimer en 3D?
Cette situation pourrait changer avec l’essor de l’imprimante 3D. L’impression tridimensionnelle sera peut-être la troisième révolution industrielle, soutenait Barack Obama, lors d’un discours, en 2013. Professeur au Département des sciences géomatiques et vice-doyen à la recherche et aux études de la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique, Stéphane Roche abonde dans le même sens: «L’imprimante 3D pourrait révolutionner nos vies quotidiennes, de la même manière que l’a fait la musique numérique. On pourra un jour acheter en ligne des licences d’utilisation d’objets quotidiens afin de les imprimer.»
L’imprimante 3D fonctionne comme une imprimante conventionnelle sauf qu’au lieu de l’encre, elle projette des couches successives de plastique. Plus précisément, elle convertit des images numériques en centaines ou en milliers de tranches de l’épaisseur d’un cheveu qu’elle matérialise pour construire le modèle. Selon Denis Laurendeau, on pourra d’ici quelques années s’imprimer une orthèse de chaussure personnalisée, une robe ou une pièce d’automobile. Et, pourquoi pas, s’imprimer soi-même! Il suffira de prendre un selfie 3D et de le transmettre à l’imprimante ! Plusieurs spécialistes sont formels: ce périphérique 3D deviendra l’usine du futur.
Son utilisation reste limitée, pour l’instant, puisque les objets sont généralement imprimés avec du plastique. Par contre, les modèles haut de gamme, comme ceux qu’on trouve en industrie, peuvent imprimer avec de la cire, du métal, du plâtre ou des céramiques. Mais l’opération est beaucoup plus coûteuse. D’ailleurs, l’industrie et les laboratoires de recherche limitent l’impression 3D à la réalisation de prototypes, à cause du prix élevé de la technologie. L’École d’architecture ainsi que la Faculté des sciences et de génie possèdent chacune une telle machine. «Les imprimantes 3D de base sont de plus en plus accessibles financièrement, observe toutefois Jean-François Lalonde, professeur au Département de génie électrique et de génie informatique. Plusieurs étudiants s’en procurent après avoir utilisé celle de leur faculté.»
Numériseurs 3D: l’outil de base
Selon Denis Laurendeau, pour que ce type d’imprimantes envahisse nos foyers, il faut d’abord démocratiser les capteurs 3D. En effet, la 3D regroupe un ensemble de technologies de pointe qui permettent d’acquérir, de modéliser, de visualiser et d’exploiter des données qui décrivent la géométrie des objets: largeur, hauteur et profondeur. Sans ces données, pas de 3D. «Ces dernières années, la recherche a permis de développer des scanners de plus en plus performants, mais aussi plus faciles à utiliser et disponibles à des prix qui deviennent abordables», signale Sylvie Daniel.
En 2004, l’entreprise Creaform, de Lévis, a lancé un numériseur 3D portable qui repose sur une technologie mise au point dans les laboratoires de l’Université. «Le HandyScan numérise les objets par balayage laser et les reconstruit en temps réel à l’écran d’un ordinateur, explique M. Laurendeau. L’appareil effectue plusieurs centaines de milliers de mesures à la seconde, et le fichier qui en résulte peut être utilisé ou modifié par l’usager pour des applications industrielles, médicales ou muséales.» En avril 2015, la plus récente version du HandyScan a remporté un prix international, le Red Dot Product Design Award, considéré comme «l’Oscar» des designers de produits innovateurs.
Par ailleurs, on trouve sur le campus un système de télédétection aérien par laser, ou LiDAR, surtout utilisé en géomatique, aménagement du territoire et architecture. Selon Stéphane Roche, la cartographie par LiDAR est un moyen économique, rapide et précis de numériser en 3D la surface terrestre ou les objets. Cette technologie produit rapidement une impressionnante densité de points, positionnés selon leurs coordonnées géographiques. «Dans l’avenir, la numérisation 3D sera omniprésente, particulièrement dans le domaine industriel, pour l’inspection des pièces d’appareil ou pour le contrôle de la qualité», croit Denis Laurendeau. Le secteur médical ne sera pas en reste. Le chercheur travaille d’ailleurs avec un collègue de l’École de technologie supérieure de Montréal sur une façon d’utiliser la numérisation 3D, en remplacement du gabarit manuel, pour mesurer la surface de peau atteinte chez les grands brûlés. Cette donnée est importante pour connaître le dosage de réhydratation à donner au patient.
Si la numérisation 3D est encore une affaire de spécialistes, elle pourrait vite se retrouver entre les mains du public. En effet, une équipe de recherche américaine a présenté dernièrement une puce nanophotonique capable de numériser en 3D. Cette puce pourrait éventuellement être incorporée dans les téléphones intelligents.
Les limites de la 3D
Encore faut-il savoir exploiter les données tridimensionnelles facilement: un des défis à surmonter afin de pousser plus loin la 3D. «Ça prend souvent plusieurs logiciels spécialisés pour réaliser un modèle, nuance Jacynthe Pouliot, professeure et directrice du Département des sciences géomatiques. Et le partage des modèles pose problème, car il n’y a pas de standards pour le stockage et la diffusion des données 3D. Il va falloir des normes semblables à celles qui existent pour les cartes 2D sur le Web.»
Ensuite, il faut apprendre aux gens à travailler avec la 3D. Mme Pouliot cite l’exemple des notaires avec qui elle a mené un projet pilote pour voir comment ils composaient avec des plans cadastraux en trois dimensions. «La 3D permet notamment de mieux visualiser les copropriétés superposées», note-t-elle. Au début de l’expérience, les notaires se perdaient facilement en naviguant dans les modèles 3D mais, dès que l’équipe les a aidés, ils ont apprécié toutes les possibilités offertes. Conclusion: ils sont d’avis que d’ici 10 ans, les plans 3D feront partie de leur quotidien.
«Il faut amener les professionnels à penser en trois dimensions, lance Mme Pouliot. La formation de spécialistes est donc un enjeu important. Il existe actuellement trop peu de programmes de formation spécialisés en modélisation de données géospatiales 3D.» Mais attention! Une plus grande utilisation de la 3D pose certaines questions d’éthique. Dans le cas des projets immobiliers, par exemple, elle peut conduire à une certaine manipulation de l’opinion publique. Certes, la 3D facilite la compréhension des enjeux d’aménagement pour les citoyens. Elle offre un plan réaliste et dynamique qui permet de se promener dans la version virtuelle d’un projet. En outre, on peut afficher plusieurs paramètres comme la lumière, les couleurs, les textures. Autant de possibilités que le plan 2D n’offre pas. Cependant, la 3D peut présenter une vision partisane. «En jouant avec l’esthétisme, il est facile de faire perdre l’enjeu général, rapporte Stéphane Roche. Un projet comme celui de l’îlot Irving, dans le quartier Saint-Jean-Baptiste de Québec, a clairement montré comment promoteurs, citoyens et élus ont, chacun à sa façon, “manipulé” les modèles 3D à leur avantage.»
Un comité d’éthique international de la 3D a ainsi été instauré en 2011. Y siègent professionnels, politiciens et chercheurs, dont Jacynthe Pouliot. Le comité élabore une charte d’éthique de la 3D, un outil de gestion transparente du territoire tridimensionnel. «Rien n’arrêtera la progression de la 3D dans les prochaines années», estime Denis Laurendeau. Un indice: dernièrement, la compagnie Apple a acheté une entreprise de capteurs 3D. On peut donc s’attendre à encore plus de 3D dans notre quotidien.
***
Prostate 3D
Les pilotes ont des simulateurs de vols. Les médecins ont des simulateurs de chirurgie. Depuis 2014, les radio-oncologues peuvent s’initier à la curiethérapie dans un environnement de réalité virtuelle en 3D. Cette intervention demande précision et assurance pour introduire, à l’aide d’une longue aiguille, des particules radioactives dans les tissus cancéreux de la prostate.
Denis Laurendeau et son équipe ont développé des algorithmes poussés qui contrôlent un modèle numérique 3D de prostate, en lien avec un montage robotisé faisant intervenir une vraie aiguille et des images d’échographie réelle. Grâce à ce modèle, le chirurgien apprend à poser les bons gestes avant de réaliser la vraie opération!
***
Éclairer avec de la lumière virtuelle
Aujourd’hui, les utilisateurs de 3D s’attendent à plus de réalisme dans les jeux vidéo ou les films. L’éclairage des objets virtuels 3D est un moyen privilégié pour mieux simuler la réalité, car notre œil a besoin de la lumière pour percevoir la position, la forme et la matière des corps qui nous entourent. Au cinéma, cet éclairage virtuel se fait manuellement, moyennant des centaines d’heures d’ajustements des paramètres. Le défi actuel: éclairer les objets virtuels de façon intuitive et rapide.
En partenariat avec Disney Research, Jean-François Lalonde a pour ce faire conçu un algorithme qui propose un éclairage virtuel adapté à l’environnement dans lequel l’objet se trouve. Ce professeur au Département de génie électrique et de génie informatique travaille également à la conception d’un logiciel qui crée des ciels virtuels. «Pour simuler l’éclairage d’un bâtiment virtuel inséré dans un décor réel, par exemple, c’est important de capter les effets de réflexion selon la forme, la couleur et la position de ce bâtiment et selon les matériaux avec lequel il a été conçu», précise le chercheur. M. Lalonde a notamment pris quelque 10 000 photos du ciel à partir du toit du pavillon Adrien-Pouliot pour mieux comprendre la composition de la lumière naturelle et la façon dont différents ciels éclairent ou créent des ombres sur toute une gamme d’objets.
***
Réinventer le musée
Visiter un musée lorsqu’il est fermé? C’est possible avec les musées virtuels. Et s’ils sont en 3D, la visite sera des plus interactives. C’est ce qu’a prouvé l’équipe du Laboratoire de muséologie et d’ingénierie de la culture avec le projet de captation numérique de la chapelle intérieure du monastère des Ursulines de Québec.
Depuis peu, sur le site du Musée virtuel du Canada, on peut se promener dans la chapelle, bien assis devant son ordinateur. Le visiteur entend le plancher de bois qui craque, comme s’il y déposait vraiment le pied, et la musique de l’orgue Casavant. Il déambule dans tous les recoins de la chapelle, même dans la portion autrefois réservée aux sœurs cloîtrées, et peut se rapprocher de certains éléments ou faire apparaître un texte qui raconte leur histoire.
«Les Ursulines ont tout de suite vu l’intérêt pédagogique d’une telle visite 3D, rapporte Philippe Dubé, directeur du laboratoire. Elles y ont également vu une manière d’ouvrir en permanence ces lieux sacrés au public, notamment lorsque la chapelle est fermée pendant l’hiver.»
Depuis 2009, ce bâtiment au décor de bois sculpté, classé monument historique, a été numérisé par la firme québécoise MCG3D, puis modélisé par le laboratoire de Denis Laurendeau. Pour rendre l’expérience virtuelle immersive –comme si on y était–, on a intégré la modélisation au Panoscope 360°, un système de projection panoramique mis au point par le directeur du projet, Luc Courchesne, chercheur à l’Université de Montréal. Sylvie Daniel et son équipe se sont chargées d’incorporer le tout dans l’application Unity3D, qui permet de se promener dans la chapelle virtuelle et d’interagir avec les éléments. Même si le modèle demande encore des ajustements, le résultat est déjà épatant!
***
Jouer avec l’abstrait
La physique de niveau collégial n’est pas simple. Plusieurs notions sont abstraites et difficiles à comprendre. Et si on pouvait concrétiser et démystifier le tout par le jeu virtuel en 3D? Grâce à la technologie de la réalité augmentée, les étudiants de physique peuvent maintenant voir les concepts abstraits liés à l’électromagnétisme. Les éléments habituellement intangibles et invisibles à l’œil nu se matérialisent dans l’espace 3D du jeu Parallèle, disponible gratuitement sur l’App Store de Apple.
Lorsque l’utilisateur lance l’application, il découvre un mystérieux coffre flottant au centre d’une mer nordique. Les parois intérieures de cette vieille malle opaque cachent des inscriptions énigmatiques. L’objectif du jeu: découvrir trois symboles qui serviront de clé pour ouvrir une porte secrète.
Parallèle est basé sur la réalité augmentée qui permet d’ajouter, en temps réel, un modèle virtuel au flux vidéo d’une caméra. Ainsi, armé de sa tablette électronique, l’étudiant filme un carton présentant une série de symboles qui agissent comme marqueurs pour déclencher différentes scènes du jeu. À l’écran, le joueur voit plus que ces symboles : un canon virtuel de particules apparaît. Par balayage des parois, ce canon agit comme une caméra capable d’imager l’intérieur du coffre à l’endroit frappé par le faisceau, et de trouver les symboles recherchés. La trajectoire des particules est contrôlée par l’étudiant qui ajuste les champs électriques et magnétiques sur les cloisons du coffre. Mais encore faut-il bien comprendre comment ces champs affectent le comportement des particules chargées. C’est pourquoi l’application Parallèle sert également de simulateur qui permet à l’utilisateur de s’entraîner à configurer les champs et de comprendre les principes de l’électromagnétisme.
Développée par Sylvie Daniel –en collaboration avec Sylvie Barma –professeure à la Faculté des sciences de l’éducation, avec le Centre en imagerie numérique et médias interactifs ainsi qu’avec le Cégep de Sainte-Foy, cette application a été testée et utilisée depuis 2 ans par quelque 250 étudiants dans les cours de physique du Cégep de Sainte-Foy. Les jeunes du Cégep Garneau l’ont, eux aussi, expérimenté. Professeurs et étudiants sont formels: cet outil novateur aide à mieux comprendre l’électromagnétisme et, par le fait même, à rendre la physique plus concrète. «Étonnamment, même si la technologie de réalité augmentée existe depuis une douzaine d’années, il existe encore très peu d’applications éducatives où elle est exploitée», remarque Mme Daniel. Parallèle fait don partie des précurseurs.
Haut de page
Publié le 18 septembre 2015 | Par Doriane
www.realfournier.com
Note : Les commentaires doivent être apportés dans le respect d'autrui et rester en lien avec le sujet traité. Les administrateurs du site de Contact agissent comme modérateurs et la publication des commentaires reste à leur discrétion.
commentez ce billet