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Automne 2015

Jeanne d’Arc Vollant, Innue libre

La diplômée mise sur l’éducation et l’empathie pour améliorer le présent et l’avenir du peuple innu.

DSIN/ C. Blaney

Avec son jeans percé, ses cheveux en bataille et son allure sautillante de jeune chevreuil, Jeanne d’Arc Vollant (Bac multidisciplinaire 2008; Développement des organisations 2014) ne ressemble pas à l’image classique de la gestionnaire en ressources humaines qu’elle est. Il faut dire que son parcours de vie décoiffe, lui aussi.

Originaire de la Côte-Nord, cette Innue a entamé des études dans la jeune vingtaine à l’Université Laval, pour obtenir son baccalauréat ès arts à… 51 ans. Une maîtrise en développement des organisations a suivi six ans après, sans oublier un programme d’études supérieures spécialisées en éthique de société, suivi dans une autre université. Entre-temps, Shan dak –son nom innu– a vécu intensément les blessures de son peuple. Elle a affronté ses démons, mais elle a aussi contribué à bâtir l’avenir des Innus. Un cheminement professionnel et personnel qui privilégie les chemins de traverse à la ligne droite, et la liberté de choisir ses défis à la permanence d’emploi.

Pour l’entrevue qu’elle accorde à Contact, la voici au bord du fleuve, large comme la mer. La quinquagénaire toujours en mouvement s’immobilise enfin sur un banc du Vieux-Poste de Sept-Îles, reconstitution d’un poste de traite des fourrures du XIXe siècle. Elle laisse le vent frais la caresser, tandis que le ballet bien synchronisé des hirondelles se charge de la bande sonore. Innue des villes autant qu’Innue des champs, Jeanne d’Arc Vollant a choisi de s’ancrer dans cette communauté de Uashat-Maliotenam, berceau de sa famille biologique. Un coin de terre qui lui rappelle ses racines, tout comme ce site historique qu’elle fréquente régulièrement pour écrire, se ressourcer ou simplement profiter du moment qui passe.

Il faut dire qu’elle a largement contribué à la réouverture de ce site, en 2013, qui présente un ensemble de maisons en bois, témoins des échanges formels entre les trappeurs innus et les Blancs, de 1780 à 1830. Trois ans durant, elle investit temps et énergie pour donner vie à un endroit qui symbolise le début d’une histoire commune, en plus de contribuer au recrutement et à la formation de jeunes employés innus. Son objectif: doter sa communauté d’un lieu historique significatif. Un objectif qu’elle réalisera peu à peu, d’abord à titre d’agente culturelle au Conseil de bande, puis d’adjointe administrative pour un institut culturel innu et, finalement, comme directrice en développement organisationnel et ressources humaines à la Société de développement économique de Uashat-Maliotenam.

C’est toujours avec d’aussi nombreux chapeaux qu’elle accomplit tout ce qui lui tient à cœur auprès de sa communauté, tantôt comme employée, tantôt à titre de consultante ou de bénévole. Pas question d’un boulot à vie pour elle: «Travailler comme contractuelle me donne la liberté de choisir mes propres défis, car la liberté est d’une extrême importance pour moi. Je négocie mes mandats, je veux avoir mon autonomie d’action et l’appui de mon employeur aussi.»

Retrouver ses racines
Très tôt, la jeune Innue a pris conscience de l’importance de l’histoire. Plus exactement sur les bancs de l’Université Laval, en fréquentant les cours d’anthropologie de Serge Bouchard. «C’est là que j’ai compris que je venais d’un peuple colonisé, et que je me suis impliquée notamment pour tenter de fonder une association autochtone étudiante», raconte-t-elle. En remontant le fil des origines de son peuple, elle dit avoir mieux cerné l’attitude de victimes endossée par certains membres de sa communauté. Le passé a laissé des traces indélébiles chez les Autochtones, et cette femme énergique en porte les stigmates comme ses frères et sœurs.

«Je suis née dans la douleur historique», a déjà écrit cette poète, dans un témoignage livré à la Fédération des femmes du Québec. Pendant les 18 premiers mois de sa vie, la jeune Jeanne d’Arc a connu la réalité d’un bébé anonyme dans une crèche de Québec, abandonnée par sa mère biologique. Jusqu’à ce que de nouveaux parents, des Innus de Pessamit, non loin de Baie-Comeau, l’adoptent et en fassent leur fille bien-aimée. Avec eux, elle a appris sa langue, sa culture, mais aussi l’importance primordiale de l’éducation. «Chez moi, personne ne passait à table tant que je n’avais pas libéré l’espace après avoir terminé mes devoirs, se souvient la quinquagénaire. Ma mère, même si elle ne savait ni lire ni écrire, croyait en l’instruction pour sortir de la pauvreté.» Pas de corvée de ménage ou de cuisine pour elle. Sa mère l’encourage à faire carrière, laisse sa drôle de fille vivre son excentricité et s’habiller selon son goût. Elle prend même en charge l’enfant que Jeanne d’Arc a à 17 ans pour que cette dernière puisse aller à Québec, d’abord au cégep, puis à l’Université Laval.

À 24 ans, cependant, la jeune femme arrête ses études et commence à travailler comme secrétaire. Elle a deux enfants, un conjoint, et la voilà de retour sur la Côte-Nord, à Baie-Comeau. Un troisième enfant naît mais, peu à peu, Shan dak se trouve aux prises avec plusieurs démons. Comme tant d’autres membres de sa communauté, elle subit la violence conjugale, en plus d’adopter la drogue et l’alcool comme béquilles pour supporter sa crise existentielle. Jusqu’au matin du 21 avril 1997, qui précède de quelques jours son 40e anniversaire. Devant sa bière à moitié bue, elle se rappelle soudain les paroles de sa mère, désireuse de la voir poursuivre une carrière et de développer son potentiel.

«J’ai réalisé que ma vie n’était pas ce que je voulais en faire, se souvient Jeanne d’Arc, les yeux dans le lointain. Je suis partie vers le fleuve, j’ai marché dans la neige et j’ai laissé ma bouteille partir au fil de l’eau.» Les jours, les semaines et les mois qui suivent n’ont rien d’un sentier pavé de fleurs. Il lui faut se débarrasser de ses dépendances, comprendre son identité, trouver des oreilles attentives pour surmonter sa souffrance. Les cérémonies de purification, la spiritualité autochtone et les rassemblements l’aident aussi à trouver en elle des forces pour traverser cette épreuve. Aujourd’hui, avec le recul du temps, elle constate que ce passage difficile lui a sans doute servi à devenir une meilleure personne, elle qui devait plus tard travailler en relation d’aide et en gestion des ressources humaines: «J’avais peut-être besoin de cette souffrance pour comprendre avec mes tripes ce que cela implique d’être toxicomane et monoparentale. Je suis peut-être plus empathique avec les gens…»

L’éducation comme pilier
Beaucoup d’eau est passée dans le fleuve depuis cet épisode difficile. Après avoir repris la barre de sa vie, Shan dak a décidé de reprendre aussi son rêve d’études. Elle a terminé son baccalauréat. Puis elle s’est inscrite à un programme de deuxième cycle offert par la Direction générale de la formation continue de l’Université Laval, jusqu’à l’obtention d’une maîtrise. Les cours se donnaient à Baie-Comeau; elle habitait Uashat. Entre 2009 et 2014, elle a ainsi parcouru 20 700 km, tout en conjuguant emploi, cours et travaux universitaires. «Je suis excessive, reconnaît cette éternelle jeune fille dans un grand rire. Mais au moins, en étant workaholic, je travaille et je rapporte de l’argent!»

Avec l’aide de ses professeurs et dans l’esprit de cette formation destinée aux adultes en emploi, la directrice en développement organisationnel et ressources humaines de la Société de développement économique, poste qu’elle occupait alors, a utilisé cet organisme comme laboratoire, histoire de mettre à profit ses connaissances toutes fraîches au service de sa communauté. Elle a, par exemple, défini de façon formelle les tâches de chaque employé. Une façon d’améliorer la productivité, tout en minimisant les conflits interpersonnels. Le code de conduite des employés et des dirigeants a aussi été revu, et certains collègues, formés à de nouvelles tâches au sein du conseil d’administration. Au passage, elle a eu l’occasion de constater que certains principes classiques de gestion passent mieux avec une pincée de sel autochtone quand ils s’appliquent à un milieu de travail innu.

«Je sais très bien, par exemple, que je risque de perdre tout le monde autour de la table si un plan comporte 16 étapes, entre la conception et la réalisation. Mieux vaut que je me casse la tête pour en prévoir moins et que les projets se fassent», explique la gestionnaire pragmatique. Parmi ses responsabilités à la Société de développement économique, elle «gère avec son cœur» l’équipe innue d’une trentaine de personnes déployée à Fermont, à 500 km de Uashat, pour l’entretien hôtelier. En clair, ses plans d’intervention se basent sur l’écoute, l’échange et, surtout, la qualité du lien développé avec les uns et les autres. Quitte à aller prendre un café avec le personnel pour mieux le connaître, en utilisant sa meilleure arme : son grand rire communicatif.

L’un de ses professeurs de l’époque, Dominique Morneau, se souvient encore exactement où Jeanne d’Arc était assise dans son cours, lui qui a pourtant rencontré des centaines d’étudiants à la maîtrise en développement des organisations. «Son engagement dans ses travaux de groupe et dans sa communauté m’a marqué, explique-t-il. Tout comme sa grande aisance à s’exprimer et son enthousiasme.» Il a apprécié à sa juste mesure la contribution d’une étudiante des Premières Nations aux débats en classe, observant au passage que la femme articulée était adepte de la pensée circulaire, où la relation de cause à effet occupait peu de place.

Parler avec son cœur
Sa différence et son extravagance, Shan dak les assument fièrement. Elle mise sur les valeurs communautaires, le respect et la prise en compte de l’autre, autant pour remplir ses fonctions professionnelles que pour apporter de l’aide informelle aux autres. Parfois, des connaissances lui demandent de raconter son parcours de vie, ce qui lui donne l’occasion de passer son message: «Si je m’en suis sortie, tu peux y arriver aussi.» Ou encore, on la questionne sur la façon d’accéder à un emploi. Son conseil: d’abord prendre conscience des sacrifices nécessaires pour obtenir un travail et, surtout, pour le garder.

Un pied chez les Blancs et l’autre chez les Innus, cette femme pragmatique connaît par cœur les stéréotypes liés aux Autochtones, souvent raillés pour leur inconstance au travail. Et elle est même prête à les combattre dans sa propre famille. Son fils a ainsi dû affronter les foudres maternelles quand il a décidé d’abandonner un travail peu intéressant sans donner de préavis à son employeur. Pas question que fiston contribue à renforcer les préjugés sur les travailleurs innus «peu fiables» en jetant aussi cavalièrement la serviette…

Consciente des difficultés économiques qu’affronte son peuple, Shan dak cherche à changer la réalité innue, étape par étape: «Aujourd’hui, je crois beaucoup à la théorie des petits pas, à la réussite d’une personne à la fois, note la diplômée. On n’est pas toujours obligé de bloquer les routes avec des pancartes pour que les choses évoluent…» Réaliste, elle considère par exemple que l’installation à Sept-Îles de Mine Arnaud, qui produirait de l’apatite comme fertilisant agricole, est une occasion d’emplois pour les Innus. Et peu importe que ce projet divise la population locale en deux camps retranchés. À ses yeux, il faut avant toute chose sortir sa communauté de son état de pauvreté chronique.

Le meilleur moyen d’y arriver reste cependant l’édu­cation, selon la double diplômée. Inlassablement, Shan dak cherche des moyens pour combattre les tristes statistiques sur le décrochage scolaire et pour favoriser la persévérance.

Son contrat comme consultante pour une entreprise en placement tout juste terminé, elle réfléchit déjà à un nouveau projet: implanter dans sa communauté un modèle d’école alternative testé avec succès dans le quartier montréalais de Verdun, depuis 1991. L’Ancre des jeunes mise sur des ateliers manuels et artistiques pour développer de nouveaux intérêts chez des jeunes décrocheurs et améliorer leur estime d’eux-mêmes.

Les mots à la rescousse
Actrice de changement au sein d’instances régionales ou d’organismes communautaires, cette femme libre cherche inlassablement à conjurer, en paroles et en écrits, les démons de sa communauté. Quitte à économiser ses mots pour mieux les affûter, elle qui a le verbe si facile. Il y a quelques années, elle a ainsi découvert l’art du haïku, une technique d’écriture japonaise. Depuis, ses compositions de trois vers constituent des instantanés de la réalité innue. Extraits choisis: «Territoire innu / Sous les pylônes d’acier / Des plantes rabougries» «Arrivée du fourgon / Au Palais de justice / Des Innus seulement» «Lit d’enfant / S’aggriper aux fleurs du drap / Avant la pénétration».

Ce dernier poème coup-de-poing donne d’ailleurs son titre au livre S’agripper aux fleurs (Éditions David, 2012), qui regroupe les haïkus de Shan dak, de Louve Mathieu et de Louise Canapé. Plusieurs lectures publiques en ont depuis été données. «Pour moi, ce livre est une façon de faire circuler la parole, de changer les choses de façon pacifique.»

Dans ses cartons, d’autres poèmes qui ne demandent qu’à fleurir sur papier et, à plus long terme, un projet de doctorat «pour le plaisir de me casser la tête». Un beau pied de nez à tous les colporteurs d’idées reçues qui s’étonnent tout haut, à son nez, qu’une femme comme elle «fasse des interventions intelligentes» ou, pire, «détienne une maîtrise»…

***
D’autres diplômés marquants du monde autochtone

Les salles de cours du campus reçoivent cha­que année de nombreux étudiants autochtones, dont certains sont devenus des figures connues. En voici quelques exemples.

D’abord, Naomi Fontaine (Enseignement au secondaire 2014), jeune auteure de Kuessipan, roman paru en 2011 et salué par la critique. Par ses écrits et ses apparitions publiques, Mme Fontaine crée des ponts entre les communautés, en plus d’être enseignante de français à l’école secondaire Manikanetish de Uashat.

Une autre femme: Suzy Basile (Anthropologie 1996 et 1998), qui enseigne à l’UQAT et se penche notamment sur les aspects éthiques des recherches touchant les Autochtones. Toujours en milieu universitaire, on remarque Georges Sioui (Histoire 1987 et 1991), coordonnateur du programme d’études autochtones et professeur à l’Université d’Ottawa, de même que Robert-Falcon Ouellette (Musique 2003 et 2007; Anthropologie 2011), directeur du Aboriginal Focus Programs et professeur à l’Université du Manitoba. Ce dernier a fait parler de lui l’an dernier alors qu’il a été candidat à la mairie de Winnipeg, portant les questions autochtones à l’avant-plan.

C’est aussi du côté sociopolitique qu’on trouve Konrad Sioui (Anthropologie 1979), Grand chef de la Nation huronne-wendat ainsi que membre des C.A. de l’Université Laval et de l’Association des diplômés, de même que Lisa Koperqualuk (Anthropologie 2011), co-fondatrice de l’Association des femmes inuites du Nunavit (Saturviit).

Et encore…
Voici d’autres diplômés autochtones dont les actions méritent d’être connues:

. Melissa Mollen Dupuis (Études internationales et langues modernes 2007), animatrice communautaire et cofondatrice du mouvement Idle No More-Québec (Montréal)
Sonia Basile-Martel (Arts visuels 2014), artiste multidisciplinaire originaire de la communauté atikamek de Wemontaci

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  1. Publié le 2 septembre 2018 | Par Joanne Lamoureux (w8bi megeso)

    Je suis profondément touchée par son parcours. Je crois en ses valeurs. Un pas à la fois, un petit pont à la fois, un coeur à la fois. ♥ Bravo !
  2. Publié le 15 juin 2016 | Par Marjolaine Pelletier

    Beau trajet de vie Shan dak. Félicitations pour ton beau travail! Je suis sensible à tout ce que nous pouvons faire pour l'avancement de la cause autochtone, encore une fois bravo.
    Je me permet d'ajouter le nom d'Émile, qui est tellement fier d'avoir partagé quelques moments avec toi à Baie-Comeau lors du festival de haïku.

    Marjolaine Pelletier
  3. Publié le 15 octobre 2015 | Par Danielle Descent

    Excellent article. Il n'est pas facile de saisir la complexité du personnage haut en couleur et en paroles! Sa lecture m'a rappelé plusieurs souvenirs, ayant été voisine de Shandak dans la communauté et par la suite collègue dans différentes organismes communautaires. Je suis d'accord aussi avec le sous-titre «innue libre», car on n'a pas idées de toutes les peurs dont doit s'affranchir une femme innue pour enfin se sentir libre...
    Longue vie à toi Shandak.
  4. Publié le 28 septembre 2015 | Par Francine Chaîné

    Sonia Basile-Martel est diplômée de la maîtrise en art avec la communauté (FAAAD) en 2014 dont le mémoire s'intitule: Expérience artistique d’une jeunesse atikamekw: l’art comme médiation favorisant le dialogue et la communauté comme lieu d’affirmation identitaire.
  5. Publié le 22 septembre 2015 | Par Robert HENRI

    Je pense tout de suite à Stanley Vollant...
  6. Publié le 19 septembre 2015 | Par Bernard Charest

    Émouvant, admirable!
    B
    +

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