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Automne 2010

Viol de guerre: non à l’impunité

Le droit international ne nie plus ce crime qui fait encore des ravages.

Pas besoin de remonter aux calendes grecques pour constater que les violences sexuelles font intimement partie des périodes de conflit dans le monde. Quand le droit prend le bord, les coups pleuvent, la mort rôde et les belligérants violent leurs victimes.

Cependant, un changement s’opère depuis peu. Le droit international ne nie plus ce crime si longtemps occulté. Les législations évoluent, comme le constate Fannie Lafontaine, professeure de droit international à la Faculté de droit, à qui Contact a posé ses questions.

Quand a-t-on décidé que la violence sexuelle en temps de guerre était un crime?
Il a fallu attendre l’arrivée des tribunaux ad hoc, créés au milieu des années 1990: Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et Tribunal pénal international pour le Rwanda. Même lors des procès de Nuremberg, toute de suite après la Seconde Guerre mondiale, aucune accusation pour violence sexuelle n’a été portée. Pas plus qu’au tribunal de Tokyo mis sur pied à la même époque où certaines poursuites concernaient pourtant les femmes de réconfort (ndlr: 200 000 femmes esclaves sexuelles pour 7 millions de soldats), mais on parlait alors de violations contre la dignité… la dignité des hommes, les vaincus, dont on violait les femmes! Ce n’est que récemment que la notion de crime de viol, reconnu comme un crime contre l’humanité, a été introduite. On l’a ensuite élargie à d’autres violences sexuelles: grossesse forcée, prostitution forcée, stérilisation forcée, nudité forcée… La Cour pénale internationale, mise sur pied en 1998, a une liste beaucoup plus explicite de crimes de violence sexuelle.

Quel a été l’élément déclencheur de cette prise de conscience internationale?
En ex-Yougoslavie et au Rwanda, les actes de violence sexuelle ont été captés par des caméras, en direct. Il devenait presque impossible de ne pas s’y attarder, même si au départ cela a demandé beaucoup de pression pour que les procureurs, hommes et femmes, s’y intéressent. En ex-Yougoslavie, on recense près de 40 000 viols durant le conflit. Au Rwanda, 250 000 à 500 000 femmes, surtout des Tutsies, ont été violées, et les deux tiers ont contracté le virus du sida. Ce sont des chiffres vraiment atroces. Sans parler du Sierra Leone, où de 50 000 à 60 000 femmes ont été violées durant la guerre civile. Les chiffres viennent d’ONG ou de l’ONU, mais ils restent largement sous-estimés.

Que signifient les violences sexuelles pour ceux qui les commettent?
C’est un crime comme un autre, en temps de guerre. On tue, on viole, on torture. Parfois, cela représente aussi un butin pour l’armée victorieuse qui considère que les femmes appartiennent aux soldats vainqueurs. C’est une démonstration de puissance: on domine la femme de l’ennemi. Il peut aussi y avoir des objectifs plus précis, par exemple le nettoyage ethnique: on viole pour qu’un certain groupe fuie une région.

Cela va aussi jusqu’au viol pour exterminer un peuple. Dans le premier jugement du Tribunal pénal international pour le Rwanda en 1998, l’affaire Akayesu (ndlr: reconnu coupable d’avoir exhorté au génocide), on a défini le viol comme un acte de génocide lorsque commis avec l’intention de détruire un groupe. En effet, le viol peut notamment rendre les femmes «non mariables» ou leurs enfants «hors-lignée».

Le viol en temps de guerre se limite-t-il aux femmes?
Le viol des hommes est encore plus tabou que celui des femmes. Il existe tout de même certains rapports sur des actes de guerre de nature sexuelle contre les hommes, par exemple lorsqu’on les oblige à rester nus 24 heures dans une cellule sous l’œil des tortionnaires, sans aller jusqu’au viol avec pénétration. En ex-Yougoslavie, on parle dans certains procès d’actes de violence sexuelle avec l’utilisation d’objets. Certains soulignent d’ailleurs qu’on néglige la violence sexuelle contre les hommes, mais l’échelle n’est pas du tout la même…

Quels sont les conflits récents où la violence sexuelle est la plus systématique?
La République démocratique du Congo (RDC) vient en tête, avec 30 000 femmes violées en six mois, en 2007. La majorité des conflits africains ont eu des graves problèmes de violence sexuelle, mais cela ne se limite pas à l’Afrique, loin de là. Par contre, l’ampleur des violations des droits de la personne en RDC est telle que la violence sexuelle prend une place immense, longtemps sous-évaluée. C’est aussi très grave ce qui se passe au Darfour (Soudan), de même qu’en Colombie où le conflit entre les rebelles des FARC et les groupes paramilitaires continue. Sans parler du Rwanda et de l’ex-Yougoslavie, dans un passé récent.

Les belligérants reconnaissent-ils désormais la violence sexuelle?
Le déni continue. Par exemple, certains soutiennent que les bons musulmans ne font jamais ça. Et je me souviens d’une réunion à laquelle j’assistais, de même que Louise Arbour, alors haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, et sa chef de cabinet. Deux interlocuteurs du gouvernement soudanais de haut niveau nous disent: «Oui, oui, la violence sexuelle au Darfour, nous sommes au courant. Mais entre vous et moi, les femmes au Darfour sont faciles…»! Et là, il faut bien comprendre que non seulement ils disent ça à une femme, mais en plus à la haute-commissaire des droits de l’homme! Ceci dit, je ne veux pas limiter cette réalité à l’Afrique, il s’agit d’une réalité mondiale en situation de conflit.

Que permet la reconnaissance judiciaire des violences sexuelles?
De lever le tabou. En décidant que ce crime ne serait plus oublié, la communauté internationale a accompli un pas de géant. Cela devient aussi grave que les autres crimes de guerre ou contre l’humanité, ce qui n’était pas le cas avant. D’autre part, les procureurs des tribunaux internationaux portent désormais plus d’attention à ces crimes pour les inclure dans les actes d’accusation.

Il a fallu beaucoup de travail des ONG qui militent pour le droit des femmes avant de convaincre les procureurs d’adopter un nouveau système. Un gros policier sans formation débarquant dans un village et exigeant d’une femme qu’elle lui raconte son histoire, ça ne marchera pas! Désormais, le personnel est formé en violence sexo-spécifique.

Cela empêchera-t-il la répétition de ce genre de violence?
Non, bien sûr, de la même façon que le droit criminel ici n’empêche pas les meurtres. Il ne faut pas penser que le droit pénal, international ou non, a une visée de prévention absolue. Cependant, le message passe: la violence sexuelle est intolérable. Par conséquent, si on en constate, ce crime va être jugé au même titre que la torture ou le meurtre. Autre impact, cela modifie les droits nationaux, en particulier dans des États comme le Soudan où le viol n’était pas reconnu comme crime de guerre.

En fait, la violence sexuelle en temps de conflit armé, c’est un symptôme d’une maladie plus grave, celle de l’inégalité hommes-femmes en temps de paix. En temps de guerre, tout est exacerbé: on tue plus facilement, on viole plus facilement.

Quel rôle joue l’Organisation des Nations unies qui, récemment, a désigné une envoyée spéciale pour les violences faites aux femmes et aux enfants dans les conflits?
L’ONU est un organisme gigantesque qui se préoccupe des droits des femmes de différentes manières. La nouvelle envoyée spéciale, Margot Wallström, va travailler avec les missions de paix et coordonner les actions en cours. Sa nomination est un geste politique qu’il faut saluer. Tout comme il faut applaudir les récentes résolutions du Conseil de sécurité adoptées sous le chapitre 7 de la Charte de l’ONU, concernant les situations qui menacent la paix et la sécurité internationales. Ces résolutions condamnent les violences sexuelles.

En plus d’envoyer un signal fort de la communauté internationale, cela a des répercussions sur le terrain. Un travail de fond s’accomplit aussi avant et après le conflit. Quand la reconstruction démarre avec les changements constitutionnels, les droits des femmes prennent plus de place sur papier.

Par ailleurs, il y a quelques années, des casques bleus de l’ONU en mission en Haïti et en RDC ont été accusés d’avoir commis des crimes sexuels…

C’est absolument horrible! Toutefois, l’ONU a une politique de tolérance zéro, mise en œuvre dans chaque mission de paix. Un soldat de n’importe quel pays ne devient pas un saint parce qu’il porte un casque bleu… L’institution, elle, doit s’assurer que ce genre d’acte ne soit pas toléré et que les États d’appartenance des soldats mènent des poursuites.

Quelle sera la prochaine étape juridique à franchir après la reconnaissance des violences sexuelles comme crime?
Il va falloir qu’il y ait aussi des poursuites systématiques au niveau national, en parallèle avec les procédures internationales. L’action menée par la communauté internationale doit faire tomber les tabous dans le système pénal des États, et ça, c’est loin d’être gagné.

Le Canada a-t-il un rôle important à jouer dans ces dossiers?
Oui, car c’est un pays qui a une histoire intéressante en matière de poursuites contre les violences sexuelles, ainsi que pour la mise en place de tribunaux internationaux. Le Canada devrait continuer d’être un leader en matière de droits de la personne. Lorsqu’il a poursuivi un Rwandais, Désiré Munyaneza, pour crimes contre l’humanité, les chefs d’accusation comprenaient le viol, mais pas les autres violences sexuelles… C’est un cas où le Canada aurait pu aller plus loin. Contribuer à établir la jurisprudence est fondamental.
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