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Automne 2010

La sédentarisation forcée d’un peuple

Dans les années 1950, la petite communauté inuite des Ahiarmiuts a été déplacée à cinq reprises par le gouvernement fédéral.

«Je vais maintenant vous parler de la période la plus dure de ma vie.» C’est en ces mots que Job Muqyunnik, un aîné inuit de la communauté ahiarmiute, a commencé son témoignage, en mai 2006, alors qu’il participait à un atelier sur la transmission des savoirs, tenu dans le village d’Arviat, au Nunavut, sur la côte ouest de la baie d’Hudson. Cette réunion portait sur les cinq transferts dont sa petite communauté, une cinquantaine de personnes au total, a été l’objet entre 1950 et 1958.

Coorganisateur de cette réunion, Frédéric Laugrand explique que l’intention du gouvernement canadien était de sédentariser des chasseurs nomades, l’assimilation des peuples autochtones au mode de vie de la majorité étant la norme dans les années 1950. Ce professeur du Département d’anthropologie vient de signer un long article à ce sujet dans la revue Polar Record, avec Jarich Oosten de l’Université de Leyde aux Pays-Bas et l’Ahiarmiut David Serkoak du collège Nunavut Sivuniksavut.

Le campement de ces chasseurs de caribou était alors installé à Ennadai Lake, près d’une station météorologique du gouvernement canadien. Un jour, un bulldozer est venu détruire les tentes. Placés de force à bord d’un avion, les 47 Ahiarmiuts ont été conduits à Nueltin Lake, situé à une centaine de kilomètres de là, pour participer à des activités de pêche commerciale. Mais les installations prévues ne virent jamais le jour. Abandonnés à eux-mêmes, les Ahiarmiuts ont survécu à cet endroit pendant quelques mois grâce à l’aide d’Amérindiens. Ils sont ensuite revenus à Ennadai Lake à pied.


«Les archives du gouvernement fédéral relatent que les leaders ahiarmiuts auraient donné leur accord pour le transfert de leur peuple, indique Frédéric Laugrand. Or, aucun de la dizaine d’aînés présents à l’atelier n’avait souvenir d’un tel accord, du moins en ce qui concerne les deux premiers déplacements. En ces occasions, les Ahiarmiuts ont été carrément déportés. Le chercheur rappelle que les déplacements avaient comme but de remédier aux épisodes occasionnels de famine, causés par une absence de caribou. « Ces épisodes faisaient partie du mode de vie des Ahiarmiuts, dit-il. La communauté était habituée à ces aléas et en acceptait le prix. Mais les autorités fédérales considéraient cela inacceptable. On ne voulait pas d’une telle image pour un pays moderne.»



Le deuxième déplacement, effectué en 1957, a eu comme destination Henik Lake. «Cette fois, raconte Frédéric Laugrand, on voulait éloigner les Ahiarmiuts parce qu’ils étaient devenus dépendants en nourriture et en soins de santé auprès du personnel de la station météorologique.» Selon lui, un facteur aggravant était qu’on les présentait comme la dernière peuplade inuite nomade et primitive. En 1958, la majorité d’entre eux ont été transférés à Arviat. La même année, certains se sont retrouvés à Whale Cove, d’autres à Rankin Inlet pour travailler dans la mine.

«Marginalisés, les Ahiarmiuts ont été profondément méprisés par les Blancs, mais un peu aussi par d’autres Inuits, poursuit Frédéric Laugrand. Les transferts leur ont causé beaucoup de torts, notamment en minant leur structure sociale et leur culture. Aujourd’hui, les Ahiarmiuts souhai­tent qu’on saisisse mieux leur histoire et leurs traditions.»
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