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Automne 2010

L’autre vie des plaquettes sanguines

La coagulation du sang n'est pas la seule fonction vitale des plaquettes, découvrent les chercheurs.

Elles naissent dans la moelle osseuse et, après une petite semaine de travail, s’en vont mourir dans la rate ou le foie. Pendant plus d’un siècle, on a cru que leur courte vie était consacrée tout entière à la coagulation sanguine. Point. Un rôle simple pour le plus simple élément du sang. Mais voilà que depuis deux décennies, elles se révèlent comme de véritables micro-usines à protéines, capables de faire la pluie et le beau temps dans le corps humain. C’est grâce à elles que nous ne mourrons pas au bout de notre sang à la suite d’une simple coupure, mais c’est à cause d’elles que 30% des gens décèdent. Les plaquettes sèment la vie et la mort sur leur passage.

La multiplicité de leurs fonctions étonne parce qu’au sens strict du terme, les plaquettes ne sont pas des cellules. Elles proviennent des cellules souches du sang –les mêmes qui donnent les globules rouges et les globules blancs–, mais leur différenciation conduit à une cellule-mère, le mégacaryocyte, ainsi nommé parce qu’il contient jusqu’à 32 fois plus d’ADN que la normale. À la fin du processus de maturation, le mégacaryocyte éclate et libère entre 5000 et 10 000 plaquettes de forme discoïdale, quatre fois plus petites qu’un globule rouge. Un adulte en bonne santé produit ainsi 100 milliards de nouvelles plaquettes chaque jour.

Bien qu’elles soient dépourvues de noyau et d’ADN, les plaquettes sont aussi actives que les autres cellules sur le plan métabolique. Elles fabriquent au bas mot 1100 protéines qui interviennent dans des mécanismes indispensables au bon fonctionnement et à la guérison du corps. Ainsi, dans les secondes qui suivent la rupture d’un vaisseau sanguin, les plaquettes qui entrent en contact avec les tissus adjacents libèrent des protéines qui jouent un rôle essentiel dans la formation du caillot. En quelques minutes, la barrière qui jugule le saignement est dressée.

Leur travail ne s’arrête pas là. Dans les 24 heures qui suivent, les plaquettes produisent des protéines qui attirent vers la blessure des cellules sanguines spécialisées dans la destruction des tissus endommagés et des microorganismes. Puis, pendant plusieurs jours, elles libèrent des facteurs de croissance qui facilitent la formation de nouveaux vaisseaux sanguins et la réparation des tissus.

Mais les plaquettes n’apportent pas que du bon. Elles sont impliquées dans les infarctus, les accidents vasculaires cérébraux, les embolies pulmonaires et l’athérosclérose, des maladies qui ont un dénominateur commun: l’inflammation. «Leur effet pro-inflammatoire nous a donné l’idée de vérifier si elles intervenaient dans le développement de l’arthrite rhumatoïde, une maladie des articulations qui s’accompagne elle aussi d’inflammation», explique Éric Boilard, professeur à la Faculté de médecine.

Lors de son stage postdoctoral à l’Université Harvard, le chercheur a découvert que le liquide qui entoure les articulations des personnes atteintes de cette maladie contient d’abondantes quantités de microscopiques vésicules libérées par les plaquettes. Lorsqu’on ajoute ces vésicules à un milieu de culture contenant des cellules provenant des articulations, elles induisent la synthèse de molécules caractéristiques de la réponse inflammatoire. À l’inverse, on parvient à atténuer les symptômes arthritiques chez des souris en réduisant leur taux de plaquettes. «Il serait intéressant de vérifier si ces vésicules sont également impliquées dans les autres maladies inflammatoires», suggère le chercheur.

Ni trop, ni trop peu
La concentration sanguine des plaquettes est déterminante pour la santé. Trop élevée, elle ouvre la voie aux thromboses et aux maladies inflammatoires; il faut alors recourir à des médicaments antiplaquettaires. Trop basse, elle augmente les risques d’hémorragies mortelles; il faut alors accroître l’abondance des plaquettes, notamment en procédant à des transfusions lorsque l’état du patient l’exige.

Les personnes atteintes de cancer, qui subissent des traitements destructeurs pour la moelle osseuse et les cellules souches du sang, en savent quelque chose! Elles doivent patienter plusieurs semaines, et dans certains cas faire appel à une greffe de moelle osseuse, avant que leur production de cellules sanguines redevienne normale. Dans l’intervalle, elles reçoivent des transfusions de concentrés plaquettaires.

Comme la demande est élevée et que les plaquettes ne se conservent que cinq jours, les scientifiques tentent de mettre au point des méthodes pour assurer un approvisionnement d’urgence advenant un manque de donneurs. L’équipe de Nicolas Pineault, professeur associé au Département de biochimie, de microbiologie et de bio-informatique et chercheur chez Héma-Québec, a réussi à produire des plaquettes in vitro à partir de cellules souches du sang provenant de cordons ombilicaux. Le rendement est toutefois 100 fois plus faible que dans le corps humain.

«Nous tentons maintenant de cultiver les cellules souches in vitro jusqu’au stade de mégacaryocytes puis de les greffer dans la moelle osseuse où ils compléteront leur maturation, explique-t-il. Nous espérons ainsi induire des effets à court et à long termes sur l’abondance des plaquettes.»

Les études de ce type pourront désormais profiter d’une méthode d’imagerie développée par une équipe à laquelle est associé Daniel Côté, professeur au Département de physique, génie physique et optique. Grâce à la biophotonique, ce groupe de chercheurs a réussi à suivre l’implantation et les déplacements de cellules souches du sang dans la moelle osseuse de souris vivantes. Ses images, publiées dans Nature il y a quelques mois, indiquent que les cellules souches appelées à donner des plaquettes utilisent une niche qui leur est propre dans la moelle osseuse.

Plaquettes médicamenteuses
La médecine fonde l’espoir d’utiliser le pouvoir régénérateur des plaquettes à des fins thérapeutiques. La première retombée de cette quête, le plasma riche en plaquettes (PRP), montre toutefois que la chose risque d’être plus compliquée qu’il n’y paraît. Le principe du PRP est séduisant. On prélève un petit échantillon de sang chez un patient, on en sépare les composantes par centrifugation et on réinjecte la fraction du PRP –qui contient jusqu’à huit fois plus de plaquettes que le sang– dans la partie du corps où la régénération est souhaitée.

Cette procédure gagne rapidement en popularité, mais les preuves de son efficacité se font attendre. Ainsi, le recours au PRP pour accélérer la guérison après une chirurgie buccale ou pour traiter les maladies parodontales a livré des résultats contradictoires. Une étude publiée en début d’année par Daniel Grenier, professeur à la Faculté de médecine dentaire, et ses collaborateurs Marie-Pierre Bertrand-Duchesne et Guy Gagnon apporte toutefois de l’eau au moulin de ceux qui préconisent cette approche. Les chercheurs ont montré que l’ajout de PRP à un milieu contenant des cellules qui tapissent la paroi interne des vaisseaux sanguins stimule leur multiplication.

«La production de vaisseaux est une étape cruciale de la régénération parce qu’elle permet le transport de l’oxygène et des éléments nutritifs vers les nouveaux tissus, précise Daniel Grenier. Cette méthode a du potentiel, mais il reste à mieux en définir les conditions d’application pour produire des effets bénéfiques constants chez les patients.»

Le même constat s’applique au traitement des problèmes articulaires à l’aide du PRP. Plus de 500 centres médicaux américains offrent déjà cette procédure et de nombreux athlètes professionnels, dont Tiger Woods, y ont eu recours. Pourtant, une étude publiée en début d’année par des chercheurs des Pays-Bas concluait que cette thérapie avait une efficacité comparable à une solution d’eau salée pour traiter les douleurs chroniques au tendon d’Achille. «Il y a fort à parier que chaque tissu se comporte différemment, avance Jérôme Frenette, professeur au Département de réadaptation. Pire encore, chaque tendon pourrait réagir spécifiquement selon le type d’enveloppe qui le recouvre.»

Le chercheur, qui a lui-même étudié le rôle des plaquettes dans la régénération des tendons, estime que le PRP pourrait être utile après une lésion ou une lacération. «Pour qu’une réparation tissulaire soit complète, il doit y avoir successivement inflammation, prolifération cellulaire, synthèse de matrice et remodelage tissulaire. Sans inflammation, le processus de réparation ne peut s’amorcer. Or, ce que les gens nomment tendinite est bien souvent une tendinose, causée par une dégénérescence sans inflammation. Dans pareils cas, je ne suis pas surpris que le PRP soit inefficace.»
 
Production sur demande
L’ultime harnachement du pouvoir guérisseur des plaquettes consisterait à leur faire produire sur demande les protéines souhaitées. Un tour de force exigeant, mais pas impossible, laisse entendre Patrick Provost, professeur à la Faculté de médecine. Les plaquettes n’ont pas d’ADN génomique mais, lors de leur formation, elles emportent avec elles l’expression de 15% à 32% des gènes des mégacariocytes sous forme d’ARN messagers. Ceux-ci sont traduits en protéines lorsque certaines conditions sont réunies.

Dans les cellules humaines, cette traduction peut être modulée à la hausse ou à la baisse par les microARN, des petites molécules qui se fixent spécifiquement aux ARN messagers qui leur sont complémentaires. Cette forme de régulation touche entre 30% et 90% des gènes, mais on ignorait si elle survenait dans les plaquettes. Il y a un an, Patrick Provost et son équipe apportaient la première démonstration convaincante que les plaquettes sanguines contiennent toutes les composantes nécessaires à la formation et à l’action régulatrice des microARN sur la synthèse des protéines.

«Théoriquement, nous pourrions fabriquer des microARN pour traiter les maladies causées par une production insuffisante ou exagérée de protéines par les plaquettes, avance le chercheur. L’avantage par rapport aux médicaments antiplaquettaires est leur grande spécificité et leur action en amont, dans la plaquette même.» Avant d’utiliser cette approche chez l’humain, il faudra toutefois régler un problème de taille: faire entrer les microARN dans les plaquettes. Jusqu’à présent, les techniques qui fonctionnent avec les autres cellules ont toutes échoué.

Décidément, il faudra arracher encore quelques secrets aux plaquettes avant d’en faire des alliées sûres de la médecine du troisième millénaire
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