Dans la vie comme dans le sport
Ex-athlète olympique, Marie-Huguette Cormier applique avec succès la recette mise au point pendant ses études.
Par Brigitte Trudel
Elle a deux bureaux en haut de deux tours, l’une à Lévis, l’autre à Montréal, d’où elle participe aux destinées du plus grand groupe financier coopératif du Canada. Mais pas d’ivoire, les tours. La vice-présidente exécutive des communications au Mouvement des caisses Desjardins refuse de jouer les inaccessibles. Marie-Huguette Cormier (Administration 1985 et 1989) sait inventer ses vies professionnelle et personnelle, en les conjuguant dans un parfait équilibre.
«J’ai appris ça en combinant sports et études», assure celle qui a été une athlète accomplie durant les années 1980, faisant même partie de l’équipe canadienne d’escrime aux Jeux olympiques de Los Angeles (1984) et de Séoul (1988). Une leçon qu’elle a transmise à ses filles de 17 et 19 ans, membres depuis toutes petites du Club civil de natation Rouge et Or.
Travail et engagement social
D’abord, sa brillante carrière chez Desjardins. Depuis 24 ans, elle y cumule diverses fonctions de gestion, de marketing, de développement et de communications, jusqu’à faire partie, depuis 2009, de la garde très rapprochée de la présidente Monique Leroux. S’ajoute son implication sociale dans les affaires, le sport ou l’éducation: présidences d’honneur, activités bénévoles, levées de fonds et conseils d’administration. Une semaine «normale» pour Marie-Huguette Cormier, c’est environ 70 heures de travail et d’engagement social, entre Montréal et Québec où elle réside avec sa famille.
«En plus, elle connaît parfaitement tous ses dossiers: avec autant d’activités, je ne sais pas comment elle fait », lance avec admiration Marthe Lefebvre, adjointe à la direction de la Faculté des sciences de l’administration, qui l’avait recrutée comme membre du Conseil pour l’avancement de sa faculté, où la gestionnaire a siégé de 2004 à 2011.
Truc numéro un de l’ancienne athlète olympique? La course à pied. «Ça m’aide à décrocher, sinon je serais plus fatigante», assure-t-elle. Pour pratiquer l’activité, elle réussit à débloquer chaque semaine quatre plages de son horaire chargé. Il faut dire que la haute voltige de l’agenda n’a plus de secret pour cette femme occupée. Déjà, durant ses études universitaires, au plus fort de sa carrière sportive, pas question pour elle de quêter à ses professeurs des échéanciers particuliers. Mais pour respecter les dates fixées, il lui fallait planifier serré. Même pour les travaux d’équipe. Elle l’admet: «Je mettais un peu de pression à mes coéquipiers.» Diplômée de la même promotion, sa grande amie Marie-France Poulin, vice-présidente de la société Groupe Camada, s’en souvient : «Elle nous faisait travailler fort, mais elle savait nous motiver.»
Aujourd’hui, Marie-Huguette Cormier a le don de mobiliser ses troupes chez Desjardins. Cette aptitude lui a servi quand le Mouvement a connu, en 2009, une des plus grandes restructurations de son histoire: regroupement de sept entités, 17 000 employés touchés. Responsable de 200 employés, la gestionnaire était au cœur des opérations. Sa ligne de conduite? Répondre aux exigences sans cassure, en misant sur les relations humaines au travail. Parce qu’elle en est convaincue, «ce sont des humains qui amènent des résultats». En tant que leader, son devoir est clair: savoir où elle va, prendre les membres de son équipe là où ils sont. Et les amener jusqu’où ils peuvent aller en se mettant à leur diapason. «Ayant beaucoup été coachée, j’ai compris que guider la personne sans la changer, c’est la meilleure méthode.»
Sports et études: pourquoi choisir?
Soccer, natation, vélo, ski alpin et ski de fond… elle en mangé des sports! Des livres aussi. Chez les Cormier, les études comptaient. Quand Marie-Huguette avait six ans, la famille a quitté les Îles-de-la-Madeleine pour rapprocher les quatre enfants des écoles. L’escrime? «Mes deux frères en faisaient. Moi, ça ne me disait rien.» En 1976, année de ses 14 ans, la fièvre des Jeux olympiques de Montréal a cependant poussé l’adolescente à tâter le fleuret. Premier combat, contre un gars: coup de cœur instantané!
Elle rejoint bientôt ses frères au Club Estoc de Sainte-Foy. Et à partir de 1981, dans les compétitions internationales où le club est représenté, le nom de Marie-Huguette Cormier revient à tire-larigot : Espagne, Italie, Yougoslavie… Elle a conclu sa carrière en 1988, au retour des JO, après deux ans au Club d’escrime de l’Université Laval. «Le PEPS était très bien équipé, se souvient-elle. Face au pavillon d’administration en plus, c’était pratique.»
Si l’escrimeuse était redoutable pour sa vitesse, son ascension chez Desjardins aussi a été rapide. Quatre mois après l’obtention d’un MBA avec essai portant sur les communications du groupe financier coopératif, réalisé sous la direction du professeur de la Faculté des sciences de l’administration Benny Rigaux-Bricmont, la diplômée était à la barre d’un vaste projet pour améliorer le service des caisses de la région de Québec. Par la suite, au fil de sa carrière entre direction et vice-présidence, elle a touché à presque tous les secteurs du Mouvement: ventes, marché des particuliers, gestion des avoirs, services d’accès.
En 1994, elle a même été un an «sur le terrain», dans une caisse, comme directrice du secteur comptoir. «Dans mes formations sur le service aux caisses, je disais: “C’est important de s’asseoir dans la chaise du client”, mais je n’avais jamais travaillé dans une caisse. Ce n’était pas logique.» L’expérience lui a beaucoup servi, dit-elle. «C’est essentiel d’être sensible à d’autres réalités. Être gestionnaire et au-dessus du monde, ça ne va pas ensemble», assure la diplômée que l’humilité définit bien. «Quand nous étions à l’Université, c’était une athlète en tabarouette, mais j’ai mis du temps à le comprendre tellement elle n’en faisait pas un plat», avoue son amie Marie-France Poulin.
Et si le masque faisait partie de l’équipement de base de l’escrimeuse, il ne servait jamais dans son quotidien. «Marie-Huguette est authentique, poursuit sa complice de raquette et de confiture aux tomates. Elle aime que les choses soient claires.» Cette quête de clarté a d’ailleurs incité Mme Cormier, dans un poste antérieur chez Desjardins, à instaurer un système où les patrons sont évalués par leurs employés. «Les valeurs qu’on prône doivent se mesurer sur le terrain, croit-elle. La transparence fait partie de la force d’une entreprise.»
La VP sait aussi depuis longtemps qu’un regard extérieur sur une situation donnée peut être utile de bien des façons. Elle raconte qu’un jour, impressionnée par la célérité d’une escrimeuse américaine, elle s’en était ouverte à son entraîneur. Le coach avait pouffé de rire: «Marie-Huguette, tu es bien plus rapide!» «La perspective d’autrui est souvent plus juste, dit la gestionnaire. La considérer aide à cheminer.» C’est sur la foi de cette ouverture qu’elle est devenue VP exécutive des marchés particuliers, en 2000. Elle était directrice ventes-marketing depuis moins de trois ans quand le poste a été affiché. «Pourquoi t’as pas mis ton nom dans le chapeau?», l’avait interrogée un supérieur voyant qu’elle n’avait pas appliqué. «Je voulais être gestionnaire depuis l’âge de 12 ans. Mais un tel poste? J’en faisais ma fin de carrière», s’étonne-t-elle encore.
Vous avez dit zone de confort?
Marie-Huguette Cormier a bel et bien cette capacité de foncer dans l’inconnu. Négocier des ententes en Allemagne pour la fabrication de guichets automatiques sans bien connaître leur fine mécanique, ça lui va. Elle aime relever des défis: «Dans mon parcours sportif, j’ai battu des championnes olympiques», illustre-t-elle. Elle a aussi été la première escrimeuse d’Amérique à atteindre une demi-finale de coupe du monde alors que, dans le milieu, on disait la chose impossible pour une Canadienne. Ces accomplissements, l’athlète ne les aurait pas imaginés. «Ça m’a appris qu’il faut au moins essayer, parce qu’on ne sait jamais…»
Autre première pour Marie-Huguette Cormier, cette fois lorsqu’elle s’est jointe en 2002 au comité de direction de la Fédération des caisses, un groupe de cadres supérieurs constituant les premiers appuis à la présidence. En 75 ans, aucune femme de l’interne n’avait accédé à ce cénacle. Une question délicate dans le milieu des affaires, celle de l’équité entre les sexes? «Ça été tout un apprentissage», admet la VP qui, elle-même, prône la parité. Parce que les qualités des femmes et des hommes se complètent, pense-t-elle.
Ceci dit, un comportement qu’elle attribue aux femmes l’inquiète: «Elles sont portées à s’oublier beaucoup, parfois au péril de leur santé.» En tant que lauréate du Prix Femmes d’affaires du Québec 2012 dans la catégorie Cadre, dirigeante ou professionnelle, entreprise privée, elle se sent interpelée par cette tendance. Nommée parmi les 100 femmes les plus influentes au Canada par le Women’s Executive Network en novembre 2009, elle n’hésite pas à rappeler à ses consœurs l’importance d’un bon équilibre de vie.
Elle-même en fait beaucoup, mais s’impose des limites. En complément à sa carrière, Marie-Huguette Cormier a toujours donné de son temps, une seconde nature que le sport a forgée, dit-elle. YWCA, Conseil du sport de haut-niveau de Québec, Fondation Madeli-Aide… difficile de tenir le compte de ses implications sociales: «Cinq ou six causes par année, pas plus», précise la présidente sortante du conseil de la Fédération des chambres de commerce du Québec. Parce qu’elle tient à sa vie personnelle. Sa famille, pour qui elle adore mitonner des petits plats. Sans oublier son propre ressourcement. Les spas, ça vous dit quelque chose?
Résultat: «À 52 ans, je n’ai pas l’impression d’avoir sacrifié ma vie.» Elle se voit encore 10 ans chez Desjardins où il lui reste beaucoup à découvrir, soutient-elle. Après? Elle a su préparer sa retraite d’athlète en misant sur ses études; elle a déjà des plans pour sa retraite de gestionnaire. Marathons et triathlons seront au menu: «Je vais avoir besoin de défis», concède-t-elle.
Les épreuves de course chronométrée ne sont pas une nouveauté pour Marie-Huguette Cormier. Pas tout à fait. Elle s’y est lancée, une fois, comme travailleuse étudiante dans un resto de Québec. Une compétition de serveurs de table, à la demande de son patron. L’idée ? Courir dans les rues, plateau de service à la main, bouteille de Perrier en équilibre. Après des victoires à Québec et à Montréal, la finaliste atteint le championnat du monde… à Beverly Hills, en Californie. Là, au bout de trois minutes, elle s’enfarge et échappe sa bouteille. C’est la disqualification. «On ne peut pas toujours gagner, s’amuse-t-elle. N’empêche qu’accepter la demande de mon patron m’a amenée à Los Angeles un an avant les Jeux olympiques.»
C’est bien ce qu’elle disait: on ne se sait jamais!
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