Brevet, qui es-tu?
Pour passer du labo au marché, toute invention doit d’abord être brevetée: un exercice délicat qui n’a plus de secret pour l’Université.
Par Gilles Drouin
Le mot brevet est entré dans le vocabulaire de Tigran Galstian en 2005 alors qu’il venait de faire connaître au monde scientifique le fruit du travail de son équipe du Département de physique, génie physique et optique: une minuscule lentille qui fait automatiquement la mise au point lorsqu’on veut prendre une photo, tout en stabilisant l’image. Ce petit bijou de technologie optique ne contient aucune pièce mobile et agit uniquement grâce à la stimulation électrique de cristaux liquides.
Presque 10 ans plus tard, la lentille est utilisée dans certaines caméras Web. Mais depuis le début, le scientifique voit plus loin, beaucoup plus loin: «Notre but est de l’intégrer au téléphone cellulaire, ce qui ouvrirait un marché encore plus important.»
Pour frapper à la porte de ce marché milliardaire, Tigran Galstian a eu besoin d’un partenaire: une entreprise capable d’allonger les millions de dollars nécessaires à la poursuite du développement de la lentille, à sa fabrication et à sa mise en marché. Faute de partenaire québécois ou canadien, c’est une entreprise californienne de la Silicon Valley, Lens Vector, qui a obtenu en 2010 le droit de commercialiser la trouvaille du scientifique de l’Université.
«Sans les brevets obtenus sur les composantes de la lentille, assure Tigran Galstian, nous n’aurions jamais pu parler sérieusement avec une entreprise.»
Protéger son idée
Qu’est-ce que cet atout essentiel à la commercialisation? Par le brevet, le gouvernement d’un pays atteste de la propriété intellectuelle d’une invention et accorde au détenteur le droit d’empêcher d’autres personnes de fabriquer, d’utiliser ou de vendre cette invention sans autorisation. Faute de brevet, des concurrents pourraient tout simplement copier la découverte. Cette protection peut atteindre 20 ans, ce qui laisse amplement de temps pour mettre le produit en marché, tout en continuant son perfectionnement, lui-même brevetable au besoin.
Le brevet assure une protection sur un territoire donné, comme le Canada ou les États-Unis. Encore faut-il en faire la demande auprès du gouvernement. De ce côté-ci de la frontière, le Bureau des brevets reçoit et analyse les demandes avant d’émettre un brevet, le cas échéant. Ce bureau fait partie de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC), un organisme qui relève du ministère fédéral de l’Industrie. Pour obtenir un brevet ailleurs, aux États-Unis, en Asie ou en Europe, l’inventeur doit refaire le même exercice auprès de chaque organisme responsable des brevets sur le territoire visé.
Le brevet n’est pas une garantie de protection de votre invention. C’est un droit qu’il faut faire valoir. «Vous êtes toujours à la merci d’un concurrent qui cherchera un moyen de déjouer le brevet, prévient Jean Caron, professeur au Département des sols et de génie agroalimentaire. Si vous n’avez pas l’intention de défendre votre brevet, n’en déposez pas!»
Une telle défense s’appuie sur une description la plus complète possible de l’invention et de ses applications dans la demande de brevet. Cette description fera partie intégrante du brevet délivré par le Bureau des brevets et servira de base légale. «Rédiger un brevet est un art qu’il vaut mieux confier à des experts», conseille fortement Jean Caron, qui détient lui-même plusieurs brevets (voir plus bas La vie après le brevet). En général, les chercheurs vont écrire une première version descriptive de l’invention et mentionner des applications possibles. Ensuite, le texte passe dans la moulinette d’un agent de brevet féru en droit de la propriété intellectuelle. Une virgule bien placée peut faire toute la différence entre un brevet solide et un autre qui ouvre la porte aux imitateurs. Souvent, la partie se joue dans la liste des applications possibles. Il ne faut pas en oublier!
Le premier partenaire
Dans cette démarche, des chercheurs comme Tigran Galstian ou Jean Caron ne sont pas seuls. Heureusement, parce qu’il peut en coûter de 50 000$ à 70 000$ pour obtenir le précieux document. La facture comprend les frais exigés par le Bureau des brevets (certains sont récurrents d’une année à l’autre), ceux liés à l’évaluation technique et commerciale de l’invention et, surtout, le coût de la haute expertise nécessaire à la rédaction du brevet.
À l’Université Laval, qui possède d’ailleurs les droits sur les fruits de la recherche menée dans ses laboratoires et partage ainsi le brevet avec le chercheur, la route qui mène à la commercialisation commence par la déclaration d’invention que le chercheur dépose au Vice-rectorat à la recherche et à la création (VRRC).
Le chercheur remplit ce document lorsqu’il pense avoir fait une découverte présentant un potentiel de commercialisation. Il décrit alors sa trouvaille en expliquant en quoi elle est unique, en quoi elle répond à un besoin. Les noms des participants à la découverte, incluant les étudiants, apparaissent également dans la divulgation.
Le comité des brevets du vice-rectorat analyse en-suite le document afin de déterminer si l’invention présente un potentiel suffisamment élevé pour justifier une demande de brevet. Le vice-rectorat compte sur une expertise interne et s’appuie sur un réseau de partenaires, dont SOVAR, une société de valorisation de la recherche.
«Nous recevons annuellement entre 60 et 70 déclarations d’invention», précise Thierry Bourgeois, responsable de la propriété intellectuelle au VRRC. Un peu moins de la moitié de ces déclarations se qualifieront pour un brevet. Ainsi, bon an mal an, l’Université obtient environ 25 brevets. Compte tenu du caractère territorial du brevet, une même invention peut faire l’objet de plusieurs brevets. Au total, l’Université maintient un portefeuille de 600 inventions brevetées.
Une étape et non une fin
Obtenir un brevet n’est toutefois qu’une première étape. «Le brevet n’est absolument pas une garantie de commercialisation, rappelle Thierry Bourgeois. Il faut un preneur, c’est-à-dire une entreprise existante ou créée pour l’occasion, qui exploitera le brevet. S’il n’y a pas de preneur, pas de marché, le brevet devient inutile.»
Il est possible de vendre un brevet mais, en général, l’Université conserve ses droits et accorde plutôt une licence de commercialisation à une entreprise. Cette licence est en quelque sorte un droit de commercialiser l’invention protégée, moyennant le paiement de redevances sur les ventes, redevances que se partagent à parts égales l’Université et le chercheur.
Cet accord de licence est tout aussi essentiel que le brevet parce qu’il définit la suite des choses pour l’Université en tant qu’établissement de recherche et d’enseignement. Ce pacte entre l’Université et l’entreprise doit protéger la liberté du chercheur. «La propriété intellectuelle est très importante dans un contexte universitaire, insiste Thierry Bourgeois. L’Université doit s’assurer qu’elle aura le droit de continuer à faire de la recherche sur l’invention concernée.» En effet, dans les licences qu’accorde l’Université, une clause stipule que le chercheur pourra continuer ses travaux sur la technologie, ce qui inclut la participation d’étudiants ainsi que la publication des résultats.
Intérêt commercial et liberté scientifique peuvent ainsi cohabiter pour le plus grand profit de tous. «La valorisation de la recherche ajoute à la notoriété de l’Université, estime Sophie D’Amours, vice-rectrice à la recherche et à la création. Cela démontre que l’Université forme les personnes tout en contribuant au développement économique de son milieu.»
Le cas de la lentille développée par le groupe de recherche de Tigran Galstian illustre bien ce mariage réussi entre éducation et économie. La commercialisation aux États-Unis générera un jour des dividendes sonnants pour l’inventeur et l’Université. Mais la R&D, si elle se fait de concert avec Lens Vector, reste au Québec. Le chercheur a en effet fondé une petite entreprise qui perfectionne la lentille et les façons de la produire. Installée dans les locaux de l’Université, TLCL Recherche Optique emploie plusieurs diplômés de la Faculté. «La nouvelle expertise acquise dans cette aventure, je l’enseigne à mes étudiants», fait-il remarquer. La boucle est bouclée!
***
LA VIE APRÈS LE BREVET
Un des brevets que détient Jean Caron, professeur au Département des sols et de génie agroalimentaire, porte sur un système d’irrigation automatisé destiné principalement à la production agricole. Pour développer et commercialiser cette technologie, le chercheur a tenté pendant deux ans de trouver des investisseurs. De guerre lasse, il est devenu entrepreneur! «Ce n’était pas mon premier choix», confie-t-il.
Pour un scientifique, diriger une entreprise n’est pas une évidence. Toutefois, il arrive que dans l’entourage d’un chercheur comme Jean Caron, se trouve un étudiant possédant la fibre entrepreneuriale. C’était le cas de Jocelyn Boudreau, qui a accepté de consacrer une année de sa vie comme président bénévole pour lancer l’entreprise Hortau, en 2002.
Oui, c’est bien écrit bénévole! Ceux qui croient que se lancer en affaires signifie l’automobile luxueuse à la porte de la maison dès le lendemain devraient tenter l’expérience. Le sous-sol de la résidence de Jean Caron a servi de premier atelier pour concevoir un prototype. L’entreprise a frôlé la faillite à deux
reprises.
«Le brevet est une preuve de concept, une démonstration que l’invention fonctionne, mais nous sommes encore bien loin d’une application industrielle», rappelle Jean Caron. À partir du brevet, il reste plusieurs étapes à franchir. Il faut, entre autres, construire un meilleur prototype, faire une étude de marché, concevoir des méthodes de fabrication à plus grande échelle et, surtout, concrétiser les ventes. Et on ne parle même pas des besoins de financement, qui ont tendance à augmenter à chaque étape.
Aujourd’hui, Hortau donne du travail à 25 personnes. Outre les emplois, la technologie d’irrigation automatisée mise au point par Hortau a des retombées significatives dans l’industrie. «Notre système a permis une augmentation très importante de la productivité des producteurs de canneberges du Québec», mentionne fièrement Jean Caron.
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Publié le 21 février 2016 | Par John Soliris
Un exemple: la firme Polaroïd a gagné contre Kodak en s'aidant du fait qu'elle fut la première à lancer sur le marché les premières «polas».
Donc n'oubliez pas: «Vendez», même à perte au début, votre produit fini sur le marché, et prouvez de la sorte que vous êtes les premiers, défendez votre modèle et votre marque, et oubliez les onéreux brevets qui n'existent que pour être transformés en autre chose!
soliris@gmx.fr
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