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Hiver 2016

La revanche de l’intestin

Longtemps associée à des rôles moins glorieux, cette partie de notre anatomie est en voie de révolutionner la pratique médicale.

Marie-Eve Tremblay, colagene.com

Toute une faune bouge dans notre intestin. Ce monde microscopique et unique à chacun, que nous hébergeons depuis notre naissance, serait la clé de larges pans de notre bonne –ou mauvaise– santé. Et les connaissances qu’on acquiert à vitesse grand V au sujet de ce «microbiote intestinal» (la flore intestinale, comme on disait auparavant) nous conduiraient vers une révolution de la pratique médicale, au moins aussi grande que la mise au point des antibiotiques. Comment? Contact en a discuté avec André Marette, professeur au Département de médecine et chercheur à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumo­logie de Québec. M. Marette, qui suit de près l’évolution de ce dossier, est aussi directeur scientifique de l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels de l’Université Laval et directeur de la Chaire de recherche Pfizer-IRSC sur la pathogénèse de la résistance à l’insuline et des maladies cardiovasculaires.

Qu’est-ce qu’on entend, au juste, par «microbiote intestinal»?
Il s’agit de l’ensemble des microorganismes qui vivent dans notre côlon et tout le long de notre intestin. Des bactéries, qu’on étudie intensivement depuis quelques années, mais aussi des virus, dont certains potentiellement bénéfiques, et qui feront probablement l’objet d’autant d’études lorsque la technologie le permettra. En réalité, des microorganismes vivent en symbiose avec nous dans plusieurs parties de notre corps : peau, vagin, narines et autres muqueuses. Mais plus de la moitié de toute cette faune se trouve dans le tractus gastro-intestinal. Elle comprend entre 500 et 1000 espèces de bactéries, selon les individus. Il s’agit là d’une estimation, car on n’est pas encore capable de mesurer en détail toutes les espèces. Avec des techniques de plus en plus sophistiquées, on pourrait en découvrir jusqu’à 50% de plus.

Le microbiote intestinal constituerait carrément un «organe» du corps humain, dit-on. Est-ce là un abus de langage?
Au sens strict, il ne s’agit pas d’un organe, comme sont le cœur ou le foie. Mais en utilisant le mot entre guillemets, on n’est pas loin de la vérité, tellement est grand le rôle que joue cet ensemble dans la régulation de notre métabolisme, et donc pour notre santé. Un rôle majeur qu’on ne peut plus négliger, ainsi que le démontrent de plus en plus de recherches.

Et lorsqu’on en parle comme étant notre deuxième cerveau?
Là aussi, c’est une analogie… basée sur le fait qu’il y a beaucoup d’activité neuronale dans l’intestin et que certains de nos comportements peuvent être modulés par cette activité. Des études ont montré que des métabolites produits par les bactéries de l’intestin peuvent influencer la façon de nous comporter devant un repas, par exemple, ou de réagir dans une situation de stress. L’activité microbienne peut gouverner des fonctions neuronales du système nerveux central, apporter en quelque sorte une modulation fine à des activités régies par le cerveau. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une forme de communication entre le microbiote et l’encéphale. Mais on pourrait dire la même chose du tissu adipeux, qui sécrète des dizaines de molécules agissant comme des hormones sur le cerveau pour pondérer l’appétit.

Donnez-nous quelques exemples où la flore intestinale est associée à notre santé.
Il est maintenant clair que cet «organe» joue un grand rôle non seulement dans la digestion –les bactéries nous aident à digérer et souvent digèrent pour nous–, mais dans tout le métabolisme du corps, et ce, à plusieurs niveaux. Par exemple, le rôle du microbiote dans le développement de l’obésité est très bien établi : les personnes obèses ont un microbiote intestinal perturbé, avec une moins grande diversité d’espèces. Même chose pour l’inflammation chronique de l’intestin. Or, plusieurs maladies chroniques sociétales comme le diabète, le côlon irritable, l’asthme, les maladies cardiovasculaires et même plusieurs formes de cancer se développent dans la foulée de l’obésité ou de l’inflammation de l’intestin.
     Le microbiote joue aussi un rôle primordial dans notre système immunitaire. On dit souvent que l’intestin constitue le plus grand réseau de cellules immunitaires; l’activité immunitaire y est incessante. En plus, la flore bactérienne participe au fonctionnement de certains systèmes majeurs, comme l’ont démontré des expériences avec des souris axéniques –auxquelles on avait retiré le microbiote– qui ont développé un système immunitaire inadéquat et adopté des comportements anormaux.

Selon certains, même des maladies comme l’Alzheimer et l’autisme seraient liées au microbiote intestinal…
Il y a des liens de plus en plus évidents entre ces maladies et les perturbations du métabolisme. Je collabore avec des chercheurs qui travaillent sur l’Alzheimer et qui voient très bien que le glucose sanguin, l’insuline et la quantité de graisse dans une diète sont des facteurs importants dans la détermination de cette maladie, et sont liés d’une façon ou l’autre à la flore intestinale. Le microbiote influence-t-il directement ou indirectement le développement des maladies neurodégénératives? Je pense en tout cas que cette collection de microorganismes, par son activité neuronale et ses interactions avec le cerveau, peut jouer un rôle tout à fait actif dans les maladies neurodégénératives et sur certaines formes d’autisme.

Un microbiote perturbé ne pourrait-il être l’effet de ces maladies plutôt que leur cause?
Il y a encore beaucoup de choses à découvrir sur le rôle précis du microbiote dans le développement de plusieurs maladies. De nombreuses études font ressortir un lien d’association. Par exemple, à des personnes obèses ou à des animaux qu’on a engraissés est associé un microbiote perturbé. Mais il y a aussi des cas où le lien est clairement causal: si l’on transfère le microbiote intestinal d’une souris obèse à une autre souris de poids normal mais dépourvue de microbiote, alors celle-ci se met à grossir, et ce, même si elle n’a jamais été soumise à une diète riche en lipides.

Une fois ces liens établis, comment intervenir pour corriger un microbiote perturbé?
Ce qu’il faudrait maintenant savoir, c’est quelles bactéries cibler pour recalibrer un microbiote de façon à rétablir une situation normale. Par exemple, dans une approche thérapeutique alimentaire, quelles bactéries clés nous permettraient de mettre au point un probiotique ou un prébiotique efficaces ? Un probiotique se compose de bactéries vivantes qui, lorsque administrées, confèrent des avantages à leur hôte. Un prébiotique est constitué de molécules naturelles comportant un principe bioactif capable de faciliter la croissance de bactéries bénéfiques. Les recherches que nous faisons ici avec des extraits de canneberge et autre petits fruits riches en polyphénols vont dans ce sens.
     Toutefois, il serait utopique de croire qu’une ou deux espèces de bactéries peuvent à elles seules déterminer la santé d’une personne ou le risque de développer une maladie. Il faut plutôt penser à une activité conciliée de plusieurs bactéries. C’est d’ailleurs pourquoi les recherches se concentrent surtout sur la diversité du microbiote et pourquoi les probiotiques sont faits le plus souvent d’un mélange de plusieurs espèces de bactéries.

Les connaissances sur le microbiote vont-elles vraiment révolutionner le monde médical autant que la mise au point des antibiotiques?
Tout à fait! Avec les antibiotiques, on a pu contrecarrer les bactéries pathogènes. Les nouvelles connaissances sur le microbiote vont également permettre de traiter les bactéries pathogènes, mais aussi de focaliser sur des bactéries bénéfiques afin d’élaborer des approches thérapeutiques personnalisées pour prévenir ou pour traiter beaucoup de maladies chroniques sociétales consécutives à l’obésité ou à une inflammation chronique de l’intestin.
     Le microbiote est reconnu comme l’in-terface entre nous et notre environnement, entre nous et le bien manger, entre nous et les polluants qui peuvent se trouver dans nos aliments… Il fera dorénavant office de «canari dans la mine», de révélateur, en nous informant, par l’abondance ou l’insuffisance de certaines bactéries, des carences de notre alimentation, par exemple en antioxydants. En intervenant sur le microbiote, on pourra agir en amont des maladies.

Et ce sera facile?
C’est ça le plus beau! Dans bien des cas, il suffira de prescrire une diète appropriée, en modulant au besoin avec un apport de prébiotiques et de probiotiques. Dans des cas plus graves, on pourra transplanter le microbiote d’une personne en santé chez un malade, comme le font déjà avec succès certains gastroentérologues pour traiter des maladies inflammatoires sévères de l’intestin, par exemple à la suite d’une infection par la bactérie c. difficile. En un sens, le microbiote vient donner des lettres de noblesse à l’intestin et permet de mieux comprendre le rôle majeur de l’alimentation dans le développement de plusieurs maladies chroniques. Un facteur trop longtemps négligé en médecine.

Toute cette révolution se produira-t-elle d’ici peu?
À en juger par les avancées des dernières années et le nombre de chercheurs qui étudient le microbiote dans le monde (des centaines d’équipes), tout cela surviendra effectivement dans un horizon assez rapproché. D’ici une dizaine d’années, nous devrions assister à des progrès remarquables.

Vous qui étudiez les organes clés du métabolisme, comme les muscles, le foie et le tissu adipeux, comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser au microbiote intestinal?
Au début, vers 2010, j’étais plutôt sceptique. Mais à force de lire des articles scientifiques sur le sujet et après avoir testé l’effet d’un changement de diète sur le microbiote intestinal, j’ai réalisé que les bactéries ne sont pas là seulement pour aider à digérer, mais qu’elles modulent tout le métabolisme du corps humain, ce qui est au cœur de mes recherches. J’ai pris un virage microbiote parce que j’ai réalisé que cet «organe» permet de comprendre l’origine des maladies cardiométaboliques mieux que tous les autres organes que j’ai étudiés jusqu’à maintenant.

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  1. Publié le 30 novembre 2017 | Par Nicole Lafrance

    Très intéressant cet article. L'an passé, j'ai eu la C difficile avec colite membraneuse à la suite de la prise d'antibiotiques pour une sinusite. J'ai fait 4 rechutes, j'en étais rendue à la greffe de selle. Puis, une semaine avant la fin de la vancomycine, mon intestin a fini par guérir. J'ai pris des probiotiques tout au long de ce cauchemar.
  2. Publié le 31 mars 2016 | Par Ramazani Baya

    Il paraît qu'entre les individus, il y a une grande diversité dans la longueur des intestins. Pour les personnes qui disposent d'intestins particulièrement longs, cela signifierait-il un microbiote plus riche comme c'est mon cas? Ou plutôt davantage de complications?
  3. Publié le 4 mars 2016 | Par D

    Intéressant. Des avancées technologiques, je crois, seront utiles dans cette époque de grands changements environnementaux, technologiques et économiques.
    Encore faudra-t-il que nos médecins pratiquants se tiennent au courant de toutes ces découvertes... Un médecin qui vous fait passer un test pour évaluer l'état de votre microbiome? Bonne chance! Ceux que j'ai consulté balaient du revers de la main les nouvelles connaissances comme des modes passagères et se rabattent sur ce qu'ils ont appris il y a vingt ou trente ans.
    Les praticiens de médecines alternatives me semblent beaucoup plus proactifs et disposés à se tenir au courant de la recherche. Leur approche est plus équilibrée, intégrant les sagesses anciennes et les nouvelles connaissances. En plus, ils prennent le temps d'écouter, posent beaucoup de questions et obtiennent donc une vue d'ensemble de ce qui se passe chez le patient.
    Un médecin qui prétend poser un diagnostic en cinq à dix minutes et sans effectuer aucun test, c'est à mon avis un charlatan.
  4. Publié le 28 février 2016 | Par meunier

    Et que pensez-vous du jeûne présent dans de multiples civilisations, souvent oublié.
  5. Publié le 26 février 2016 | Par jean R Bouchard

    Article très instructif... Moi, j'y crois à cette révolution du microbiote, ayant travaillé 33 ans en cardiologie comme infirmier; je connais l'importance primordiale d'une bonne flore intestinale et je suis un pro de la consommation des pré et probiotiques...
  6. Publié le 26 février 2016 | Par Jean Louis Marceau

    J'ai lu un article dans le magazine Smithsonian, il y a 1 an ou 2 qui parlait davantage de ce sujet.
    Le sujet a paru dans Scientific American.
  7. Publié le 22 février 2016 | Par Alain Lavoie

    La microbiotique me donne de l'espoir.
    Comdamné par un neurologue à une «maladie génétique» des muscles commencée à 65 ans! Je me rattache à d'autres avenues plus prometteuses pour combattre mon scepticisme.
    Je suis convaincu que vos recherches porteront fruit et des résultats avant-gardistes.
    Merci de rechercher des solutions et bonne chance.
  8. Publié le 21 février 2016 | Par Robert Savoie

    Suite à la lecture de ce texte, j'ose espérer que les chercheurs en ce domaine trouveront le bon probiotique, ou autre nom médical pour guérir cette maladie. De ce fait, je pourrais assister à la guérison de mon petit-fils de 16 ans qui est présentement hospitalisé pour cette maladie et qui se bat courageusement.

    De papy Robert
  9. Publié le 20 février 2016 | Par André Marette

    @J.andre.fortin
    Le microbiote désigne l'ensemble des bactéries et autres microorganismes (ex. virus) d'une flore donnée. La diversité est une caractéristique du microbiote.
    Le microbiome définit l'ensemble des gènes de ces bactéries, comme le génome humain réfère à nos gènes. Et puisque «biome» désigne une «aire de vie», i.e. un écosystème en biologie, on utilise parfois le terme microbiome de manière plus large, en désignant l'écosystème microbien dans son ensemble.
    André Marette
  10. Publié le 20 février 2016 | Par Ariane

    Un bel article, merci!
  11. Publié le 20 février 2016 | Par J.André Fortin

    Dans mon livre de biologiste, le microbiote désigne la diversité des organismes alors que le microbiome désigne le fonctionnement écologique de cet ensemble de microorganismes.
    Suis-je dans le champ?
    J. André Fortin biol. Ph. D.

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