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Photo de Simone Lemieux

Voir les aliments au-delà des nutriments

Ma sœur a trois enfants, tout comme moi, et elle est aussi professeure d’université. Nous sommes de la même grandeur, nous avons la même couleur de cheveux. Nous nous ressemblons probablement plus que le Coke et le jus d’orange, mais nous ne sommes ni identiques ni interchangeables. 

AliNutriments-400N’ayez crainte, je ne veux pas revenir sur le débat du jus, j’en ai assez parlé! Je trouvais cependant que cette idée très couramment répandue sur l’égalité Coke-jus d’orange, qui a d’ailleurs été entendue par des centaines de milliers de téléspectateurs lors du passage du Pharmachien1 à l’émission Tout le monde en parle, est un point de départ intéressant pour discuter de la façon dont nous percevons les aliments. 

Pareil mais pas pareil
Si on dit que le jus et le Coke c’est la même chose, on fait la démonstration d’une vision des aliments qui est purement nutritionnelle. Oui, les 2 boissons ont la même quantité de sucres libres et c’est probablement ce qui est sous-entendu quand on mentionne qu’elles sont identiques. Mais suggérer une telle égalité laisse penser qu’un aliment se définit par une suite de nutriments. Ce n’est pas faux, mais on peut arguer que c’est incomplet. Outre ses propriétés nutritionnelles, un aliment possède plusieurs autres attributs comme le goût, la texture, les usages qu’on en fait et la symbolique qui l’entoure.

Un sociologue et un psychologue à la rescousse
Pour stimuler la réflexion, j’ai décidé «d’inviter» Claude Fischler, sociologue français, et Paul Rozin, psychologue américain, à se joindre à la discussion. Ces 2 chercheurs ont un très bel historique de collaboration ayant mené à la réalisation de plusieurs études portant sur les attitudes envers les aliments.

Les travaux dans lesquels ils ont mis en lumière les différences entre les Français et les Américains quant à leurs attitudes envers l’alimentation sont tout particulièrement pertinents pour notre discussion d’aujourd’hui. Pour faire une histoire courte, les professeurs Fischler et Rozin ont réalisé une étude qu’on peut qualifier de pionnière dans le domaine. Celle-ci incluait tout près de 1300 personnes provenant de différents pays, dont la France et les États-Unis2. Un des objectifs de l’équipe de recherche était de déterminer si les gens de leur étude effectuaient davantage une association nutritionnelle ou culinaire entre les aliments. On présentait donc aux participants des listes de 3 aliments, par exemple du pain, des pâtes alimentaires et de la sauce tomate. On leur demandait ensuite d’indiquer quel aliment allait le moins bien avec les autres. Dans l’exemple ci-dessus, l’aliment «rejeté» par les Français était plus souvent le pain, alors que les Américains nommaient plus fréquemment la sauce tomate comme ayant le moins rapport avec les autres.

Ainsi, pour les Français, il était plus naturel d’effectuer des associations culinaires entre les aliments: les pâtes alimentaires, ça se mange avec de la sauce, le pain n’a donc pas vraiment rapport. Du côté des Américains, c‘était plutôt une association nutritionnelle qui était généralement mise en évidence: le pain et les pâtes sont 2 aliments riches en glucides, que vient donc faire cette sauce tomate dans la liste?

D’autres différences émergent lorsqu’on compare les Français aux Américains. Les Français préfèreraient la qualité à la quantité lorsque vient le temps de faire des choix alimentaires, alors que la quantité serait plus importante pour les Américains. Aussi, il est plus naturel de lier l’alimentation au plaisir chez les Français alors que les Américains associent davantage l’alimentation à la santé3.

Vers une approche plus culinaire de notre alimentation?
La morale de l’histoire: quand on dit que le jus c’est comme un Coke, on fait probablement la démonstration qu’on est plus américain que français! Plus sérieusement, je pense juste qu’il faut être conscient que, dans la réalité et au quotidien, plusieurs facteurs font en sorte que les aliments, même semblables d’un point de vue nutritionnel, n’ont pas du tout le même rôle dans nos vies. Je ne sais pas pour vous, mais même si une tranche de pain est très similaire en termes de valeur nutritionnelle à des pâtes alimentaires, ce ne sont pas des spaghettis que je mets dans mon grille-pain le matin. Pas plus que je ne mange de la sauce tomate sur mes toasts.

Quand on considère le guide alimentaire canadien et celui de nos voisins du Sud, on constate que la tendance à mettre l’accent sur la teneur en nutriments est encore très forte. Cela dit, je ne voudrais pas, même si c’est tentant, faire de raccourcis intellectuels en proposant qu’avoir une vision plus culinaire des aliments, comme le font les Français, est souhaitable vu la prévalence d’obésité beaucoup moins importante en France qu’aux États-Unis. Ce serait oublier la complexité des facteurs qui déterminent si une personne devient obèse ou non.

Par contre, il serait vraiment intéressant que de futures études se penchent sur l’incidence d’une vision moins nutritionnelle des aliments —qui laisse donc plus de place à leurs autres attributs— lors de la promotion d’une saine alimentation. Est-ce que mettre un peu plus l’accent sur le goût ou les usages culinaires des aliments inciterait davantage les Canadiens à manger sainement? C’est un peu le pari qu’ont fait les Brésiliens avec leur guide alimentaire. Celui-ci est garni de belles photos où l’on voit des assiettes remplies de vrais aliments qui ont l’air savoureux, qui vont bien ensemble et qui représentent bien ce que peuvent être un déjeuner, un dîner et un souper. D’ailleurs, vous pouvez le constater par vous-même dans un des exemples de déjeuner: ce n’est pas un verre de Coke qui accompagne le repas, mais bien un verre de jus d’orange!

1 J’aime beaucoup le travail du Pharmachien, Olivier Bernard, qui réussit à vulgariser la science avec humour et pertinence. Si vous ne le connaissez pas, je vous invite à visiter son site Web.

2 Rozin P, Fischler C, Imada S, Sarubin A, Wrzesniewski A. «Attitudes to food and the role of food in life in the U.S.A., Japan, Flemish Belgium and France: possible implications for the diet-health debate». Appetite 1999; 33:163-80.

3 Rozin P, Remick AK, Fischler C. «Broad themes of difference between French and Americans in attitudes to food and other life domains: personal versus communal values, quantity versus quality, and comforts versus joys». Front Psychol 2011; 2: 177.

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  1. Publié le 10 février 2017 | Par Simone Lemieux

    @Caroline Olivier. Merci de m'avoir signalé cet article!
  2. Publié le 10 février 2017 | Par CarolineO

    Bonjour à vous, merci pour ce très bon billet.

    Voici justement une étude belge qui discute de ce sujet (choix des aliments + goût + plaisir):

    «Conclusion: Lorsque les individus peuvent choisir un aliment pendant leur repas, leur plaisir de manger est augmenté, que ce soit sur l’appréciation du produit choisi ou la satisfaction de l’ensemble du repas. Ce résultat serait associé à une augmentation de la quantité consommée si le choix porte entre des produits dont les différences oro-sensorielles sont importantes. Donner la possibilité de choisir son aliment parmi d’autres pourrait donc être un levier efficace pour inciter les individus à manger des aliments sous-consommés.»


    Parizel, O. et al., 2014. Pouvoir choisir son aliment : quel impact sur le plaisir de manger et sa consommation. Nutrition clinique et métabolisme, volume 28, supplément 1.

    http://www.sciencedirect.com.acces.bibl.ulaval.ca/science/article/pii/S098505621470682X?np=y&npKey=e86b7ccfd07d1f85ccf7d799e3160d9718b5229b7e3cd08872d4798e20287128

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