La nutrition au menu
Publié le 27 février 2014 | Par Simone Lemieux
Trop perdre pour gagner
Je ne pensais pas vous reparler de l’émission The Biggest Loser (voir mon billet du 4 octobre), mais puisque la controverse s’est invitée sur le plateau de l’émission lors de l’épisode final de la dernière saison, il m’est difficile de résister à la tentation d’en remettre un peu!
On se rappelle que le but des participants à cette émission est de perdre la plus grande quantité de poids corporel possible. Vue de cet angle, la soirée du 4 février dernier, qui couronnait le grand gagnant de la 15e saison, a connu un franc succès. Eh oui! Un nouveau record a été établi! Rachel Frederickson, 24 ans, a perdu très exactement 59,6% de son poids corporel. Imaginez, elle est passée de 118,2 kg à 47,7 kg! Là où le bât blesse, c’est que son indice de masse corporelle (IMC) est maintenant de 18 kg/m2, soit une valeur en dessous de la zone de poids souhaitable qui s’étend de 18,5 à 25 kg/m2. Et qui dit poids insuffisant, dit risque accru pour la santé… En effet, les études ayant mis en relation le poids corporel et la mortalité démontrent une relation en forme de J. Ainsi, de faibles valeurs d’IMC, tout comme des valeurs trop élevées, sont associées à un plus grand risque de mortalité1. Cette traversée record de Rachel d’une extrémité à l’autre du J met dans l’eau chaude cette émission qui se targue de vouloir améliorer la santé des participants par la perte de poids et surtout d’inspirer des millions de téléspectateurs afin qu’ils fassent de même.
Une gagnante qui fait réagir
À la suite du couronnement de Rachel 1ère, les réactions ont été nombreuses dans les revues, sur le Web et sur les réseaux sociaux. Certains ont applaudi l’exploit de la jeune femme, mais la plupart ont plutôt critiqué l’émission pour avoir poussé la grande gagnante à perdre trop de poids, trop rapidement, mettant sa santé en péril.
La façon dont l’émission est conçue fait en sorte qu’après quelques mois passés sous les projecteurs et encadrés par un entraîneur, les concurrents déjà très amaigris retournent à la maison pour une durée de 3 mois durant laquelle ils se préparent à la pesée finale qui déterminera le grand gagnant. C’est pendant cette période que Rachel a mis les bouchées doubles… Lors de son départ pour la maison, son poids corporel était de 68 kg (et son IMC de 25,7 kg/m2) et rappelons qu’à la pesée finale, il était sous la barre des 48 kg. De son propre aveu, elle a «réussi» à perdre ce poids en s’entraînant 6 heures par jour et en ingérant au maximum 1600 kcal au quotidien (attention, n’essayez pas ça à la maison…). Outre la perte de masse grasse, un régime aussi draconien peut laisser des traces: dénutrition, anémie, fatigue, irrégularités du cycle menstruel, etc. On peut par ailleurs se questionner sur le genre de relation que cette jeune femme entretient avec la nourriture après s’être imposée des restrictions aussi sévères. Mais soyez rassurés, les médecins de l’émission nous confirment que Rachel est en parfaite santé…
Phénomène intéressant
Je dois avouer que j’ai été surprise de voir à quel point cette perte de poids spectaculaire avait fait réagir. Certains journalistes ont même jugé bon d’interviewer des experts de la perte de poids. C’est dans ce contexte que le Dr Rick Kausman, médecin australien et chercheur dans le domaine de la saine gestion du poids corporel, s’est exprimé sur le sujet. Il déplore ces pertes de poids rapides et se demande combien de temps cela nous prendra pour réaliser que cette émission véhicule une image malsaine de la gestion du poids. Quand ce jour arrivera, il prédit que nous regarderons dans le rétroviseur et que nous n’en reviendrons tout simplement pas qu’on ait pu un jour mettre en ondes une émission pareille. J’ose espérer que les vives réactions suivant le dénouement de la 15e saison sont le reflet d’un changement des mentalités. La population est probablement de plus en plus sensible au fait que la perte de poids n’est pas systématiquement synonyme de santé. De là à bouder massivement l’émission The Biggest Loser? Peut-être pas pour tout de suite…
1 Flegal KM, Graubard BI, Williamson DF, Gail MH. «Cause-specific excess deaths associated with underweight, overweight, and obesity». JAMA 298: 2028-2037, 2007. ↩
Note : Les commentaires doivent être apportés dans le respect d'autrui et rester en lien avec le sujet traité. Les administrateurs du site de Contact agissent comme modérateurs et la publication des commentaires reste à leur discrétion.
commentez ce billet