La nutrition au menu
Publié le 4 octobre 2013 | Par Simone Lemieux
Perdre du poids… et de la dignité
Dans quelques jours débutera une nouvelle saison de l’émission de téléréalité américaine The Biggest Loser. Pour ceux qui ne connaîtraient pas le concept, il s’agit d’une compétition de perte de poids entre participants souffrant d’obésité. La personne perdant le pourcentage le plus élevé de son poids initial gagne une cagnotte de 250 000$. Pour perdre du poids, rien de plus simple: jusqu’à 6 heures d’entraînement vigoureux par jour, des menus très hypocaloriques et des coups de fouet (ce n’est presque pas une image!) d’entraîneurs aux dents bien aiguisées! La popularité de cette émission me dépasse, mais m’amène surtout à faire quelques constats et à poser certaines questions.
La perte de poids est mythique
Le fait qu’il soit difficile de perdre du poids permet très certainement de soutenir l’intérêt du public pour des histoires de perte de poids spectaculaires. S’il était aussi simple de perdre du poids que de se faire couper les cheveux, The Biggest Loser n’existerait pas! De plus, dans cette émission, et de façon générale dans notre société, on élève la perte de poids à un niveau pratiquement mythique. On mérite le respect quand on perd du poids: peu importe la manière, peu importe le contexte, peu importe si c’est dangereux pour notre santé physique ou mentale. Notre société n’aime pas le gras, ainsi tout ce qui nous éloigne de l’obésité ne peut être que positif…
Pourquoi humilier autant les personnes obèses?
L’émission nous montre les participants se faire peser en petite tenue, on les voit réaliser un peu gauchement les exercices proposés par leurs entraîneurs et la caméra aime s’attarder tout particulièrement sur les moments de vulnérabilité. On montre aussi les personnes obèses qui peinent à résister aux différentes tentations alimentaires qu’on leur met sous le nez. C’est franchement très peu respectueux. Pas étonnant qu’une étude récente ait démontré que le fait d’écouter The Biggest Loser pendant 40 minutes augmentait les attitudes négatives envers les personnes obèses1.
Spectaculaire ou impossible?
Les pertes de poids hebdomadaires typiques de The Biggest Loser sont non seulement spectaculaires, mais dénotent à coup sûr que le poids perdu ne peut pas être que du gras. Même un régime draconien composé de restrictions caloriques sévères et de séances d’entraînement d’intensité très élevée ne peut provoquer une perte de poids de plus de 20 livres par semaine, comme c’est parfois le cas dans cette émission, à moins qu’une partie importante du poids perdu soit de l’eau! En effet, on estime qu’un déficit calorique d’environ 3500 calories est nécessaire pour perdre une livre de graisse. Faites le calcul: perdre 20 livres par semaine implique un déficit de 10 000 calories par jour!
À ce sujet, d’anciens participants de l’émission ayant décidé de rompre le silence2 ont déclaré avoir eu recours à différentes techniques de déshydratation et à des méthodes extrêmes de privation pour atteindre leurs objectifs de perte de poids. Ils ont également reconnu que ces stratégies ont mis leur santé à dure épreuve. Alors que certains suggèrent que d’être témoin de telles pertes de poids massives pourrait encourager les personnes obèses à tenter de perdre du poids, la plupart des chercheurs et des professionnels de la santé croient que cela peut plutôt contribuer à l’élaboration d’objectifs irréalistes et à l’adoption de méthodes malsaines de perte de poids3.
Pourquoi cet acharnement sur l’obésité?
Nous avons collectivement une fixation sur le poids corporel qui dépasse grandement les considérations liées à l’amélioration de la santé, et l’émission The Biggest Loser en est une excellente preuve. Dans cette émission, on présente l’amaigrissement comme une forme de réhabilitation sociale. Le message transmis est que pour devenir quelqu’un, pour mériter le respect, il faut perdre du poids. Si l’obésité était invisible, il n’y aurait pas de téléréalité sur le sujet. La preuve est qu’on ne fera probablement jamais d’émissions de téléréalité sur des personnes visant à améliorer leur santé en travaillant sur des facteurs de risque moins apparents tels que le stress, le manque de sommeil ou le tabagisme.
Imaginez une seconde une émission intitulée The Biggest Sleeper qui suivrait de semaine en semaine des gens avec des troubles du sommeil qui seraient en thérapie. On peut prédire que les cotes d’écoute ne seraient pas au rendez-vous et que ce serait probablement d’un ennui soporifique. Le manque d’intérêt proviendrait entre autres du fait que nous n’avons pas d’attitudes négatives envers les personnes qui dorment mal comme c’est le cas pour les personnes obèses. On entend même parfois des commentaires du genre «Wow! Comment fait-il pour faire ses journées avec si peu de sommeil?» Avouez qu’il faudra que les mentalités changent avant qu’on dise d’une personne obèse «Wow! Comment fait-il pour traîner 50 livres en trop tous les jours et réussir à fonctionner?».
Je vous laisse sur une citation du Dr Jean Trémolières, l’un des fondateurs de l’école nutritionnelle française: «La société crée des obèses, mais ne les supporte pas». Cette citation date de 40 ans mais est toujours d’actualité, et ce ne sont certainement pas les émissions de perte de poids en direct qui contribueront à donner aux personnes obèses le support qu’elles méritent et dont elles ont besoin.
Vous pouvez lire la suite de ce billet ici.
1 Domoff SE, Hinman NG, Koball Am et al. The effects of reality television on weight bias: an examination of The Biggest Loser. Obesity 20 :993-998, 2012. ↩
2 Wyatt E. «On « The Biggest Loser », Health Can Take Back Seat», The New York Times, 24 novembre 2009. ↩
3 Yoo JH. No clear winner: Effects of The Biggest Loser on the stigmatization of obese persons. Health Communication 28 :294-303, 2013. ↩
Publié le 14 décembre 2014 | Par nathalie
Je vis depuis 2 ans avec un homme obèse...
Et je vous dirais que c'est le plus tendre, le plus affectueux, le plus compréhensif...
Je pense que les «outre-mangeurs» sont outre en tout:
en caresse, en tendresse, pas seulement en nourriture...
On vit dans une société où il faut être jeune, mince et beau pour réussir et être aimé.
On ne peut pas tous être minces.
On n'a pas tous le même métabolisme, le même vécu, les mêmes carences
et on ne peut pas rester jeune non plus.
Pourquoi on ne peut pas juste s'aimer tel que l'on est?
Publié le 5 mars 2014 | Par Isabelle Couture
http://thesocietypages.org/socimages/2014/02/25/the-privilege-of-assuming-its-not-about-you/
Publié le 12 février 2014 | Par sara
Publié le 12 février 2014 | Par Simone Lemieux
Publié le 7 février 2014 | Par Amélie
Je voulais partager cet article avec toi qui me fait croire que le jour où l'acquisition (ou le maitien) de saines habitudes de vie ne sera plus synonyme de perte de poids arrivera peut-être un peu plus vite que je ne l'aurais cru:
http://www.dailylife.com.au/news-and-views/dl-opinion/biggest-loser-winner-rachel-frederickson-shamed-for-being-too-fat-now-shamed-for-being-too-thin-20140206-3239z.html
Bonne lecture!
Publié le 30 janvier 2014 | Par Simone Lemieux
Je constate à la lecture de votre commentaire que nos visions respectives de la problématique de lobésité apparaissent difficilement réconciliables. Ainsi, je ne tenterai pas de vous faire changer didée et puisque je suis tout à fait à l'aise avec ma position, je ne tenterai pas non plus de la défendre. Je veux simplement rectifier 2 faits.
1. « Avoir un poids excessif cest franchement aussi dommageable que de fumer ». Ceci est totalement faux. Selon les études, un fumeur mince est plus à risque de mortalité quun obèse non fumeur. Pour votre information, certaines études démontrent aussi que les personnes obèses qui sont actives sont souvent en meilleure santé que des personnes minces sédentaires. Ainsi, la perte de poids nest pas le seul chemin vers la santé.
2. « Lexercice physique et la bonne alimentation valent 100 fois mieux que de sasseoir devant un psy en tentant de trouver cest la faute à qui ! ». Je me demande pourquoi vous faites cette comparaison puisquil nest aucunement question dans mon billet de mettre en opposition les saines habitudes de vie et un suivi psychologique. Par ailleurs, les études qui se sont intéressées au succès des démarches de perte de poids suggèrent quun travail comportemental qui vise à comprendre non pas «cest la faute à qui» mais plutôt «cest la faute à quoi» (cest-à-dire les facteurs, comportements, situations, etc. qui expliquent le gain de poids) favorise le succès. Ceci dit, cela ne remet aucunement en cause limportance de modifier les habitudes de vie pour perdre du poids. Finalement, sachez que les gens qui ont une bonne estime deux-mêmes (qui se trouvent beaux en dedans comme vous le dites) ont plus de succès quand ils amorcent une démarche de perte de poids que ceux qui ont une moins bonne estime deux-mêmes.
Publié le 30 janvier 2014 | Par Josée-Ninon Vincent
Publié le 10 octobre 2013 | Par Maurice Doyon
Maurice
Publié le 7 octobre 2013 | Par Carolin Sigouin
Publié le 7 octobre 2013 | Par Simone Lemieux
Merci pour l'information! Je n'étais pas au courant du canal Slow TV en Norvège. Reste à voir si le concept traversera l'Atlantique!
Publié le 7 octobre 2013 | Par Diane Parent
Bravo pour ce blogue toujours aussi pertinent - le paradoxe avec les sociétés développées marquées par l'abondance, c'est que la minceur et le contrôle du poids sont «hyper» valorisés socialement, certains ayant l'illusion d'avoir enfin du contrôle sur leur vie ce qui est l'inverse chez les pays en développement où le surpoids a une signification de richesse et d'ascension sociale.
Quant à Biggest Sleeper: pas certaine de l'échec éventuel, en Norvège le canal Slow TV connaît un vif succès, c'est un «live primetime broadcast of boring events like knitting, train journeys and burning fires»... comme le Slow Food, mais là c'est une autre histoire!
Publié le 6 octobre 2013 | Par Élen
Élen.
Publié le 5 octobre 2013 | Par Marlène Bouillon
Publié le 6 octobre 2013 | Par Simone Lemieux
Je suis consciente que ce n’est pas en lui faisant lire mon billet que vous la convaincrez de ne pas se lancer dans des régimes extrêmes. Pour les adolescents, les arguments «santé» ne sont pas toujours bien reçus puisqu’un peu loin de leur réalité. Alors, de leur dire que les régimes de perte de poids draconiens peuvent avoir des impacts négatifs sur leur santé et peuvent les amener à développer des troubles alimentaires n’est pas toujours aussi convaincant qu’on le souhaiterait. Puisque le poids est la préoccupation immédiate pour bien des adolescents souffrant de surplus de poids, mentionner que de tels régimes peuvent avoir à plus long terme l’effet opposé à celui désiré (c’est-à-dire une reprise du poids perdu et même plus) pourrait être un argument. Finalement, concernant les émissions de téléréalité de perte de poids comme The Biggest Loser, on peut expliquer aux jeunes que la caméra ne nous montre pas tout et que le but premier est de faire des sous et non pas d’aider réellement les personnes souffrant d’obésité.
Publié le 4 octobre 2013 | Par Elen
Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous écrivez sur cette émission et toutes les autres qui existeront encore sur le sujet. Mais comment faire comprendre à ma fille de 12 ans qui mesure 1 m 70 et pèse dans les 90 kgs que cette émission n'est pas la bonne voie à suivre, en fait, plutôt celle à fuir?
Merci.
Élen
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