La nutrition au menu
Publié le 14 novembre 2014 | Par Simone Lemieux
Obésité, préjugés et santé
Lire l’avenir selon la forme du corps, ça peut avoir l’air ésotérique. Un peu comme lire dans les lignes de la main, me direz-vous. Et pourtant, des études sérieuses suggèrent qu’on peut prédire que les personnes obèses auront moins de chance d’être en couple, d’avoir du succès dans leurs études et d’espérer de l’avancement dans leur carrière. Je vous avais promis de revenir sur la discrimination et la stigmatisation en lien avec l’obésité (voir À votre santé M. le ministre!), alors me voici.
Ce n’est pas d’hier qu’on s’intéresse aux questions touchant les préjugés envers les personnes obèses. Un retour en arrière de 25 ans nous ramène à une citation célèbre de Albert Stunkard, psychiatre reconnu pour ses contributions dans le domaine de l’obésité et de son traitement. Dans un ouvrage portant sur les conséquences psychosociales de l’obésité, le Dr Stunkard avait alors écrit que la discrimination envers les personnes qui en souffrent était la dernière forme de préjugé socialement acceptable. Depuis, de nombreuses preuves s’accumulent et nous confirment à quel point il avait raison.
Les faits
La stigmatisation et la discrimination accablent les personnes obèses dans différentes sphères de la vie1. De façon générale, ces personnes rapportent être fréquemment victimes d’un manque flagrant de courtoisie dans différents endroits et contextes, et mentionnent qu’elles doivent souvent composer avec des remarques déplacées. Dans les milieux de travail, on constate qu’à compétences égales, la personne obèse part avec 2 prises lorsqu’elle se présente en entrevue. De surcroît, ses possibilités d’avancement et de promotion seront moindres au cours de sa carrière.
En tant que nutritionniste, je suis tout particulièrement perturbée par les données qui démontrent que les personnes souffrant d’obésité estiment avoir déjà été victimes de stigmatisation de la part des professionnels de la santé. Une proportion atteignant 69% des répondants mentionnait avoir vécu de telles expériences avec leur médecin, 46% avec des infirmières, 37% avec des nutritionnistes et 21% avec des psychologues2. Des remarques désobligeantes sur le poids, le fait de blâmer sans appel le surplus de poids pour tous les problèmes médicaux de la personne, l’impression de se voir accorder moins de temps et d’énergie par le professionnel de la santé sont quelques exemples des mauvaises expériences vécues.
Les effets
Comme on peut s’y attendre, les personnes qui se sentent mises à l’écart en raison de leur poids ont une moins bonne estime de soi, une perception très négative de leur image corporelle et une appréciation globale très peu reluisante de leur qualité de vie. Cela devrait être suffisant pour convaincre les gens des effets dévastateurs des préjugés envers les personnes obèses et de l’importance d’agir. Ce n’est malheureusement pas le cas, et j’ai l’impression que ces constats sont souvent perçus avec indifférence. Devant une telle insensibilité quant au bien-être des personnes obèses, je n’ai parfois pas le choix de sortir l’artillerie lourde….
Arguments béton
Mes arguments pour convaincre les plus résistants proviennent d’études ayant démontré les effets de la stigmatisation et de la discrimination sur les comportements alimentaires et la santé. Je souligne tout d’abord que les personnes obèses stigmatisées ont davantage tendance à avoir des comportements alimentaires hyperphagiques et désordonnés. J’ajoute que ces personnes sont également caractérisées par un stress chronique plus élevé, ce qui est associé à une multitude de problèmes de santé et à une stimulation de l’appétit.
Pour boucler la boucle, je termine en soulignant qu’il n’est donc pas surprenant qu’une étude réalisée sur une période de 4 ans ait récemment démontré que les personnes qui se sentent discriminées en raison de leur poids gagnent plus de kilos que celles ne se sentant pas victimes de telles attitudes discriminantes3. Un effet sur le poids? Là, tu jases Simone! Quand je dis qu’on risque de rendre les gros encore plus gros, on m’écoute… On n’aime tellement pas le gras!
Des progrès?
J’aimerais vous dire qu’on fait des progrès et que les préjugés envers les personnes souffrant d’obésité sont sur la pente descendante. On pourrait croire que l’augmentation de la prévalence d’obésité au cours des dernières décennies aurait pu normaliser celle-ci et la rendre plus socialement acceptable. Il semble que ce ne soit pas le cas et que le problème aille même en augmentant. Je crois que cela peut s’expliquer en partie par le fait qu’une bonne proportion de la population croit que si les personnes obèses sont accablées par la honte, cela les motivera à se prendre en main. Cette croyance est erronée et doit être renversée, puisqu’on constate que cette honte ne fait que diminuer la motivation des personnes à investir de façon positive dans leur santé.
Je me dois de finir sur une note plus positive et saluer différentes actions qui visent à réduire la stigmatisation et la discrimination en lien avec l’obésité. Je pense ici au Réseau canadien en obésité qui s’est donné comme objectif stratégique de s’attaquer à la stigmatisation sociale associée à l’obésité. Je souligne également les efforts soutenus du groupe ÉquiLibre qui multiplie les initiatives visant le développement d’une image corporelle positive. La semaine Le poids? Sans commentaire! qui a lieu du 10 au 14 novembre en est un excellent exemple. Je salue aussi le courage des personnes obèses qui prennent part avec brio, sur la place publique, aux discussions touchant les préjugés associés à l’obésité. Je termine d’ailleurs en vous encourageant à prendre quelques minutes pour aller lire le billet de Mikaël Bergeron intitulé «L’humour gras».
1 Puhl RM, Heuer CA. «The stigma of obesity: a review and update». Obesity 2009; 17: 941-964. ↩
2 Puhl RM, Brownell KD. «Confronting and coping with weight stigma: an investigation of overweight and obese adults». Obesity 2006 ;14 :1802-1815. ↩
3 Jackson SE, Beeken RJ, Wardle J. «Perceived weight discrimination and changes in weight, waist circumference, and weight status. Obesity 2014, 11 septembre doi: 10.1002/oby.20891. ↩
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