La nutrition au menu
Publié le 15 décembre 2015 | Par Simone Lemieux
La saine alimentation à l’extérieur de l’assiette
Dans mon dernier billet, j’ai mis l’accent sur le fait que les différents modèles d’alimentation saine qu’on nous propose possèdent plusieurs similitudes. Pour défendre mon point de vue, j’ai notamment discuté des associations très similaires entre plusieurs de ces modèles et les indicateurs de la santé1.
C’est bien beau de parler de toutes ces recommandations alimentaires, mais je ne pouvais pas en rester là dans ma réflexion. En fait, je ne voulais pas vous laisser sur l’idée que la saine alimentation se mesure uniquement par la qualité nutritionnelle des aliments qu’on ingère.
Élargir notre vision de la saine alimentation
On le sait, la santé est un concept global. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) la décrit d’ailleurs comme «un état complet de bien-être physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité». Ainsi, quand on parle d’alimentation saine, on ne peut pas négliger les composantes psychologiques ou sociales qui s’y rattachent. Il m’apparaît donc inévitable de déborder un peu de l’assiette dans la poursuite de cette réflexion sur la saine alimentation.
La qualité de la relation avec la nourriture
Imaginons quelqu’un qui suit à la lettre les recommandations alimentaires en vigueur. Quelqu’un qui, jour après jour, mange la juste quantité en équilibrant les différents groupes alimentaires. Jamais trop de sucre, jamais trop de gras, jamais trop de sel. Une alimentation qui, sur papier, pourrait être qualifiée de «parfaite». Mais si cette personne est totalement malheureuse de manger «parfaitement» et si, dans sa tête, ce sont les mots privation, insatisfaction, frustration qui résonnent à chaque repas, pouvons-nous vraiment dire de son alimentation qu’elle est saine? Certainement pas, si l’on considère son bien-être comme un ingrédient essentiel de l’équation.
Chez certains, viser la perfection en alimentation mène même à l’obsession. On parle alors d’orthorexie, un comportement qui peut être défini comme l’obsession de la saine alimentation. Les personnes orthorexiques seraient angoissées à l’idée de manger des aliments qu’elles considèrent de mauvaise qualité. Dans leur cas, même si la qualité des aliments qu’elles consomment est excellente, il serait étrange de qualifier leur alimentation de «saine», considérant la relation plutôt… malsaine qu’elles entretiennent avec la nourriture.
L’environnement social
De plus en plus, quand on réfère à l’alimentation saine, on inclut les notions de plaisir et de convivialité. C’est entre autres pour cette raison que le guide alimentaire brésilien2 a fait autant parler de lui.
Habituellement, les guides alimentaires s’en tiennent à des recommandations visant strictement les aliments et les nutriments: nombre précis de portions des différents groupes d’aliments, valeurs seuils à viser pour la consommation de certains nutriments spécifiques, etc. Dans ce contexte, le Brésil a vraiment innové. Car, bien que son guide inclue des recommandations «alimentaires», il incorpore également des éléments «en dehors de l’assiette». Ce sont surtout ces derniers qui ont fait parler d’eux.
Dans les recommandations de ce guide alimentaire, on encourage le fait de manger dans des environnements agréables et en bonne compagnie. On insiste sur l’importance de développer, de pratiquer et de partager ses habiletés culinaires. On invite les gens à revoir leurs priorités afin de faire une place privilégiée et agréable à l’alimentation dans leur vie. On souligne également la nécessité de développer son sens critique par rapport aux nombreuses publicités de l’industrie alimentaire. Avouez-le, on est bien loin des recommandations du Guide alimentaire canadien!
En fait, ce que nous dit le guide alimentaire brésilien, c’est que, pour aider les gens à manger sainement, il ne s’agit pas de leur dicter quoi manger et en quelle quantité. On doit également les encourager à développer différents types d’habiletés et travailler à rendre l’environnement favorable à des choix alimentaires plus judicieux. Je dois avouer que je trouve cette vision franchement intéressante.
Du Brésil au Québec
Depuis sa parution, on a fait l’éloge du guide alimentaire brésilien sur plusieurs tribunes et on a applaudi sa vision globale de la saine alimentation. Pour ma part, quand la dernière version a été publiée, j’ai tout de suite fait un lien avec le document intitulé Vision de la saine alimentation, proposé par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, en 2010.
Cette vision de la saine alimentation a été développée afin d’encourager l’établissement d’environnements favorables à de meilleurs choix alimentaires. Ainsi, elle ne s’adresse pas directement aux individus désirant modifier leur alimentation, mais aux organismes ayant une influence cruciale sur notre environnement alimentaire (par exemple, les producteurs, les transformateurs, les distributeurs, les restaurateurs, etc.).
L’outil propose une définition de la saine alimentation qui permet aux acteurs ciblés d’orienter leurs efforts dans la même direction afin de créer une offre alimentaire favorable à la santé. Cette vision met l’accent sur l’aspect multidimensionnel de la saine alimentation. Elle cherche à inciter les acteurs-clés qui façonnent notre environnement alimentaire à améliorer les produits offerts au-delà de la valeur nutritive des aliments. Dans ce contexte, les dimensions biologique, socioculturelle et économique ainsi que celles liées à la sécurité alimentaire et au développement durable sont considérées.
La Vision aborde également la question de l’équilibre entre les aliments de différente qualité nutritionnelle. Elle propose que les aliments de base et ceux qui sont peu transformés forment la proportion la plus élevée de l’offre alimentaire. Les consommateurs devraient y être exposés plusieurs fois par jour, car ces aliments sont de bonne valeur nutritive. On les définit comme des «aliments quotidiens». Il y a ensuite les aliments dont la valeur nutritive est correcte, mais pas optimale. Ce sont les «aliments d’occasion». Comparativement aux aliments quotidiens, ils devraient être offerts moins souvent aux consommateurs ou en moins grande quantité. Enfin, il y a des aliments dont la valeur nutritive est plus faible. On s’y réfère comme étant les «aliments d’exception». Sans grande surprise, ceux-ci devraient être les moins présents dans l’offre alimentaire et servis en portions plus petites.
Équilibre et quiétude pour une alimentation saine
On constate donc que la réflexion entourant la qualité de notre alimentation fait de plus en plus de place à des éléments qui traversent les frontières de l’assiette. À ce sujet, je vous laisse sur les sages paroles du chercheur français Arnaud Basdevant. Lors d’une récente entrevue, on lui a demandé de s’exprimer sur sa recette de l’alimentation santé. «L’équilibre alimentaire, a-t-il dit, est un mélange subtil de plaisir, d’échange et de bien-être physique. C’est une forme de tranquillité, rendue possible par les apprentissages “alimentaires” acquis et intégrés précocement dans la vie et au fil du temps.»
Je n’ai rien à ajouter à cela si ce n’est que de nous souhaiter pour 2016 plaisir, bien-être et quiétude alimentaire!
1 Un article récent renforce cette idée en démontrant que, peu importe le modèle auquel on adhère, cela favorise une prévention du gain de poids à long terme: Fung TT, Pan A, Hou T et al. «Long-term change in diet quality is associated with body weight change in men and women». J Nutr 2015; 145:1850-1856. ↩
2 Dietary guidelines for the Brazilian population. Ministry of Health of Brazil, Secretariat of Health Care, Primary health Care Department, 2014: 156 pages. ↩
Note : Les commentaires doivent être apportés dans le respect d'autrui et rester en lien avec le sujet traité. Les administrateurs du site de Contact agissent comme modérateurs et la publication des commentaires reste à leur discrétion.
commentez ce billet