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Printemps 2011

Souffrons-nous de cyberanxiété?

La criminalité sur Internet est une réalité, mais elle ne représente pas une grave menace pour les citoyens raisonnablement prudents.

Virus informatique, arnaque financière, espionnage industriel, pédophilie, cyberterrorisme… Le réseau Internet serait devenu le terrain de jeu privilégié de tous les criminels du monde. Qu’en est-il vraiment? Contact a abordé la question avec Stéphane Leman-Langlois, professeur à l’École de service social et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en surveillance et construction sociale du risque.

Internet favorise-t-il la prolifération des crimes?
Les faits divers rapportés par les médias nous donnent l’impression qu’il y a de plus en plus d’activités criminelles auxquelles est accolé le qualificatif «cyber». Des jeunes se harcèlent à l’école et continuent de le faire sur Facebook. Parfois, c’est peu de chose, mais parce qu’on y ajoute le préfixe «cyber», on veut en faire une activité criminelle grave afin de mobiliser les autorités. En fait, ramener la cybercriminalité à une série de gestes, comme l’arnaque financière, le piratage ou les activités des prédateurs sexuels, n’est pas une façon très productive d’aborder la question. Ces mêmes crimes sont aussi commis en dehors du réseau Internet, où ils sont d’ailleurs beaucoup plus fréquents.

Qu’est-ce au juste que la cybercriminalité?

De façon très générale, la cybercriminalité est une conduite indésirable qui s’observe sur le réseau Internet. C’est l’État qui détermine, par des lois, ce qui est désirable et ce qui ne l’est pas. La définition de la cybercriminalité peut donc changer d’une année à l’autre, parfois d’un mois à l’autre. Ainsi, au Canada, nous sommes présentement dans une période intense de législation sur ce que les gens peuvent et ne peuvent pas faire sur Internet. Pensons à la révision de la Loi sur les droits d’auteur, qui concerne le téléchargement de fichiers, un geste que bien des internautes posaient sans que les autorités n’interviennent.

Au Canada, le téléchargement d’œuvres protégées par la loi n’est pas un crime au sens strict du Code criminel, alors que c’est le cas aux États-Unis. Dans les deux pays, toutefois, cette activité correspond à la définition générale de cybercriminalité, ce qui montre qu’il s’agit d’un concept assez difficile à cerner en une définition simple et définitive.

La cybercriminalité semble frapper notre imagination. Pourquoi?
Le «cyber», l’Internet et l’informatique donnent l’impression de nouveauté, ce qui plaît aux médias qui sont constamment à la recherche de la nouvelle. Les médias ne sont pas les seuls fautifs. S’ils nous racontaient des histoires que nous connaissons déjà, nous risquerions d’aller voir ailleurs. Le «cyberflânage» au travail est un bon exemple d’un supposé nouveau délit. Dans le fond, il n’y a rien de nouveau à ce que certaines personnes perdent leur temps au travail. Au lieu de le faire en jasant avec leurs collègues, ils vont sur Internet.

Quels sont les fondements des données qui circulent sur la cybercriminalité?
Des affirmations ridicules courent, comme de dire qu’il y a, à tout moment de la journée, 50 000 prédateurs sexuels actifs sur Internet. En général, de tels chiffres ne reposent sur aucune base solide, mais ils suffisent pour faire retentir la sonnette d’alarme. Cette insécurité favorise la vente de nouveaux produits et conseils de sécurité ainsi que la promulgation de nouvelles lois contraignantes.

Y a-t-il une conspiration derrière la cyberinsécurité?
Ce n’est pas une conspiration, mais il est certain que des personnes et des organisations profitent énormément de notre insécurité vis-à-vis Internet. L’industrie de la sécurité informatique essaie de convaincre les gens qu’ils ont besoin d’une foule de moyens pour assurer leur sécurité sur le Web. Le gouvernement nous dit aussi qu’il y a tellement de risques pour les personnes et les entreprises, qu’il est important de le laisser créer de nouvelles lois pour réduire la capacité des pirates informatiques et autres gens malhonnêtes à nous faire du mal par Internet.

Je pense qu’il s’agit un peu de théâtre pour vendre la sécurité et surtout de vendre l’insécurité. Il y a évidemment des gens mal intentionnés qui rôdent dans Internet, mais quelle est la menace réelle? La réponse des gouvernements et de l’industrie est souvent disproportionnée par rapport aux risques.

Comment expliquer que la cyberinsécurité soit si répandue?
La perception du risque est d’abord liée à la notion de contrôle. Par exemple, lorsque je conduis une automobile, je tiens le volant et j’actionne les pédales. J’ai le sentiment de bien la contrôler. Le risque vient des autres et je peux m’en accommoder. Incidemment, plusieurs études montrent que les gens ont tendance à surestimer leurs compétences comme conducteur. Par contre, en avion, je ne contrôle rien. L’absence de contrôle fait en sorte que les gens craignent davantage de prendre l’avion, même si les accidents graves de la route sont beaucoup plus fréquents que les écrasements d’avion. Outre le sentiment de contrôle, la familiarité est sécurisante. Moins je connais une chose, plus je la crains.

Internet constitue donc un terrain fertile…

Pour la grande majorité des gens, Internet est un phénomène relativement nouveau. Il y a encore une certaine appréhension, une méconnaissance de la technologie. Comme parents, il est normal de vouloir protéger ses enfants. Avant l’arrivée d’Internet, la maison familiale était un rempart. Mais avec Internet et les médias sociaux, comment faire pour assurer la protection de ses enfants lorsqu’ils sont victimes de harcèlement sur Facebook?

Comment vaincre cette cyberinsécurité? Comment apprendre à mieux gérer les risques réels liés à Internet?
Pour contrer la spirale, il faudrait que les médias mettent l’accent sur les faits plutôt que sur les risques potentiels, souvent imaginaires ou déformés. Le problème, c’est que cette approche risque de donner un bulletin de nouvelles qui ne sera pas très accrocheur. La cyberinsécurité cadre très bien dans une approche sensationnaliste. Les médias ne sont pourtant pas les seuls responsables. Chacun de nous devrait aller vers des informations factuelles sur les risques et se familiariser avec le fonctionnement d’Internet.

Pour la plupart de nous, une gestion rationnelle des risques implique simplement de mettre à jour le système d’opération et les logiciels installés sur nos ordinateurs. Et éviter de donner des renseignements personnels par courriel ou sur des sites douteux.

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Témoignages de diplômés
Lisez l’avis de trois diplômés sur la cybercriminalité qui suscite de l’inquiétude dans le pays où ils vivent: Suisse, Cameroun et France.
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