Grégoire Legendre: place à l’opéra!
Qu'il fasse équipe avec Robert Lepage ou Placido Domingo, le directeur de l'Opéra de Québec met tout en oeuvre pour séduire les Québécois.
Par Annie Boutet
Il en a chanté. Il en produit. Il en imagine. Depuis plus de 25 ans, Grégoire Legendre vibre au rythme de l’opéra. Pourquoi le baryton de calibre international est-il devenu directeur général de l’Opéra de Québec? Pour donner à l’art lyrique la place qui lui revient dans une capitale digne de ce nom. Festival et concours internationaux d’opéra, version lyrique de Starmania, recours au metteur en scène Robert Lepage, tous les moyens sont bons pour y parvenir!
Chanteur… après quelques détours
L’opéra est plus qu’un coup de cœur pour Grégoire Legendre (Administration des affaires 1981; Musique 1984): c’est le fil conducteur qui traverse toute sa vie professionnelle. Et cette passion n’est pas étrangère à son enfance bercée par la musique. «Ma mère jouait du piano et mon père dirigeait la chorale de la paroisse, se souvient-il. À la maison, la musique était présente au quotidien, mais elle demeurait un passe-temps.»
Choisir d’en faire son gagne-pain ne va pas de soi et, avant d’y arriver, Grégoire Legendre emprunte quelques détours. En parallèle avec son cours collégial en sciences pures, il étudie le violoncelle au Conservatoire de Québec. Puis, diplôme du Conservatoire en poche, le jeune homme s’inscrit au baccalauréat en administration des affaires à l’Université Laval. «Faire de la musique était perçu comme un choix de carrière très risqué, dans ma famille.»
Administrateur diplômé, Grégoire Legendre n’arrive pas à garder la musique au rang de loisir. Quelques rencontres déterminantes l’amènent alors à tout vendre pour s’envoler vers la Californie où, pendant un an, il suit des cours d’art lyrique avec un baryton réputé, Martial Singher. À son retour, il fait sa maîtrise en musique à l’Université Laval puis, en 1984, se joint à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal. C’est donc à plus de 30 ans qu’il commence à faire entendre sa voix de baryton sur les grandes scènes du Canada, des États-Unis et d’Europe.
Pendant une décennie, il tiendra 35 rôles dans 65 opéras ! De Capulet (Roméo et Juliette) en Figaro (Le nozze di Figaro), il se taille une bonne place dans le petit cercle des chanteurs d’opéra québécois. Grégoire Legendre relate d’ailleurs avec émotion son dernier rôle dans La dame de pique de Tchaïkovski. «Un rôle pas très long, mais un air magnifique et étendu. J’étais tellement content de la façon dont j’ai chanté. Je me souviens de tout, dans le détail.»
Une dualité bénéfique
Pendant ce temps, son passé d’apprenti administrateur ne s’est pas évanoui. Au contraire, chaque contact du baryton avec une maison d’opéra réveille son intérêt pour la gestion! Cela jusqu’en 1994, alors que se présente une occasion de marier cet intérêt avec son amour pour l’art lyrique. Dans sa ville d’origine en plus! Grégoire Legendre devient le directeur administratif de l’Opéra de Québec. Le défi est énorme, mais le nouveau directeur n’est pas seul à bord.
Pendant neuf ans, il fera équipe avec Bernard Labadie, qui assure la direction artistique de l’organisme. Ensemble, les deux hommes redressent les finances de l’Opéra de Québec et se lancent dans la création de productions. «Pour le nouveau millénaire, raconte M. Legendre, nous avons réalisé un projet magnifique: monter La Flûte enchantée de Mozart, avec des costumes et des décors inspirés de dessins des enfants d’écoles primaires de Québec. Une belle façon d’amener les petits à apprivoiser l’opéra.»
Lorsque Bernard Labadie quitte le navire, en 2003, Grégoire Legendre prend le relais de la direction artistique, tout en continuant d’assumer son rôle de directeur général. Avec son expérience de la scène, il connaît bien les rouages et les caprices de la production d’opéras. «Je peux régler les problèmes artistiques en ayant toujours en tête les questions administratives. On peut donc aller plus vite et réaliser davantage.»
Le fait de maintenir en vie l’Opéra de Québec est pour lui une mission en soi. Comme il s’agit d’un organisme à but non lucratif, le directeur général doit travailler d’arrache-pied pour en assurer le financement sans sacrifier la qualité des productions. Mais il a la fibre. «Certaines maisons d’opéra produisent les mêmes spectacles tous les quatre ans, indique-t-il. J’ai toujours lutté contre cette formule. Québec est une ville qui mérite la culture.»
Québec, ville culturelle
Ville culturelle, voilà exactement le titre que Grégoire Legendre souhaite pour sa ville. Et lors des Fêtes du 400e, il y contribue particulièrement avec trois prouesses. D’abord, en collaboration avec Luc Plamondon, il transforme la comédie musicale Starmania en opéra. Du jamais vu! La rencontre de deux mondes allume l’étincelle d’une réalisation flamboyante, acclamée par un large public autant que par les médias. Les sept représentations seront jouées à guichet fermé (extrait sonore).
En parallèle, le directeur de l’Opéra dévoile aux gens de Québec le talent de Robert Lepage comme metteur en scène d’opéra –une facette de l’artiste inconnue ici, mais reconnue à travers monde– en lui confiant la mise en scène du Château de Barbe-Bleue de Béla Bartok et de Erwartung d’Arnold Schönberg.
Le troisième coup de maître du directeur en 2008: amener à Québec une édition du concours international de chant Operalia et son créateur, Placido Domingo. Cette compétition annuelle, qui fait connaître les étoiles montantes de l’art lyrique du monde entier, ne s’était jamais tenue au Canada. «Operalia avait déjà eu lieu à Paris, Los Angeles, Tokyo et d’autres grandes villes, rappelle-t-il. Sa venue ici a permis de positionner l’Opéra de Québec sur l’échiquier mondial, et non plus comme une maison régionale. J’en suis fier!»
La vraie vie sur scène
Aux yeux de Grégoire Legendre, l’opéra est un art complexe qui réunit différentes disciplines artistiques. Un art enveloppé d’un voile de mystère, qui demande à être expliqué pour en faire comprendre le fonctionnement. Ce défi, il le relève entre autres en donnant des conférences, mais également en rendant les productions accessibles, plus près de la vraie vie.
«Les immenses perruques et les maquillages d’un pouce d’épais, je les évite le plus possible, rapporte le directeur de l’Opéra de Québec. Éliminer les artifices pour que les gens comprennent ce qu’ils voient et entendent. Dans un opéra, tout compte: la musique, le chant, la mise en scène, le visuel et le décor. Si tout cela est attaché ensemble, on a un succès.»
Pour séduire le public, il place la qualité avant tout, dès la mise en branle d’une production. La distribution des rôles fait l’objet d’une recherche serrée pour dénicher la meilleure voix parmi les chanteurs représentatifs du personnage à jouer. Pour ce faire, il assiste à de nombreux spectacles et multiplie les auditions.
Vient ensuite la coordination de la production, ce qui demeure chaque fois un pari. En moyenne, un opéra fait appel à quelque 200 artistes et artisans tous azimuts. Voilà pourquoi chaque spectacle est onéreux et nécessite bien des contorsions de la part du directeur général. À titre d’exemple, en 2008, l’Opéra de Québec a attribué 504 contrats à 251 personnes: un véritable casse-tête de gestion!
Grégoire Legendre voue une admiration inconditionnelle aux chanteurs, dont la formation et le travail s’apparentent à un marathon. La maîtrise de plusieurs langues: français, italien, russe, allemand, etc. Une technique vocale solide. De la mémoire et des connaissances musicales pour apprendre les rôles; par exemple, rappelle-t-il, la partition du personnage principal de Falstaff (Verdi) contient 461 pages d’envolées lyriques! Et une formation en jeu scénique pour être convaincant sur le plan dramatique. Selon le directeur, il faut renverser la croyance que les chanteurs d’opéra sont de piètres acteurs. Le monde lyrique a évolué.
«J’essaie de fournir aux artistes les meilleures conditions, et le fait d’avoir chanté moi-même m’aide à comprendre leurs besoins, fait valoir l’ancien baryton. Pendant un opéra, les chanteurs portent beaucoup sur leurs épaules: ils doivent savoir leurs partitions par cœur, comprendre les indications du chef d’orchestre et saisir la mise en scène.»
Un premier Festival à Québec
Avec ses réalisations de l’été 2008, Grégoire Legendre a mis la table pour le grand événement de l’été 2011, auquel il rêve depuis six ans: le Festival d’opéra de Québec, qui se déroulera du 26 juillet au 6 août. Un festival récurrent, qu’il veut à l’égal de ceux de Strasbourg et Aix-en-Provence. À l’origine de ce projet: son désir de présenter les créations internationales de Robert Lepage, parce que l’Opéra de Québec, à lui seul, ne peut accueillir ces productions hors dimensions dans sa saison normale.
La pièce maîtresse de la première édition du Festival, cet été, sera donc Le rossignol et autres fables (Stravinski), une pièce qui a valu à Robert Lepage de vives acclamations à Toronto et Aix-en-Provence. La programmation 2011 comprend aussi plusieurs récitals gratuits ou à bon compte, ainsi que la présentation d’une Flûte enchantée (Mozart) librement adaptée par le metteur en scène britannique Peter Brook.
«Nous cherchons à offrir au public plus d’opéras et à positionner Québec comme une ville lyrique, insiste Grégoire Legendre. J’ai une loyauté pour ma ville d’origine, mon berceau. Québec peut aller encore plus loin sur le plan culturel.»
Un tel festival est une grosse machine qui amène son lot d’embûches. Tout doit être bâti et fignolé en même temps. N’empêche, la première du Festival n’est pas encore chose du passé que son concepteur commence à lorgner les prochaines éditions. D’ailleurs, les festivals concurrents se préparent trois ou quatre ans d’avance en raison de la coordination nécessaire. Ainsi, en même temps que le directeur doit continuer de faire progresser l’Opéra de Québec, il garde son festival dans la mire.
Or, Grégoire Legendre est du type à se rouler les manches pour faire opérer la magie et la communiquer au public.
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