Le magazine Contact

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Printemps 2009

Qui a peur du terrorisme?

La recherche de la paix s'accommode mal d'un usage irrationnel du terme "terroriste".

Le terrorisme fait peur: rien d’étonnant à cela, c’est son but! Attentats sanglants, civils menacés et discours radical en sont les ingrédients bien reconnaissables. Pourtant, ni les politiciens ni les théoriciens ne s’entendent sur une définition claire du terrorisme, ce qui ne facilite pas le combat qu’on lui livre un peu partout sur la planète.

Professeure au Département de science politique et titulaire, depuis 2007, de la Chaire de recherche du Canada en conflits identitaires et terrorisme, Aurélie Campana fournit sa part d’éclairage sur cette réalité ténébreuse. Elle a bien voulu en faire profiter les lecteurs de Contact.

Qu’est-ce qui vous a menée sur cette piste du terrorisme?
Dans les années 1990, je m’intéressais aux conflits qui avaient cours en Russie et dans le Caucase, particulièrement en Tchétchénie. J’y ai constaté une évolution de la lutte armée conventionnelle vers le recours, par certains groupes, à des actions relevant du terrorisme, comme des prises d’otages massives à l’extérieur de leur territoire.

J’essaie aujourd’hui de comprendre ce qui amène ce passage au terrorisme, la progression dans l’acceptation de la violence, de la sorte de violence qui devient légitime pour ces gens afin de mener leur combat. Un élément important se trouve dans les rapports de force entre les différents groupes –radicaux et modérés– qui font partie d’un même mouvement de lutte. Mieux comprendre le phénomène aiderait, entre autres, à s’entendre sur une définition du terme lui-même.

N’existe-t-il pas déjà une définition du terrorisme qui fasse consensus à travers le monde?
Non. La première tentative de définition internationale remonte à 1937, par la Société des Nations, l’ancêtre de notre ONU. Depuis, toutes les autres tentatives ont avorté. Dans les milieux universitaires, chacun y va de sa propre définition tandis qu’au sein des États, on s’en remet au droit interne du pays, à la tradition juridique ainsi qu’à la compréhension politique qu’on a du problème. De manière générale, on peut dire que la tendance est à la criminalisation du terrorisme.

Quelle est la conséquence d’une telle absence de définition commune?
C’est que le terme est aujourd’hui employé à tort et à travers. Il est devenu tellement politisé et porteur d’émotions que, lorsqu’on qualifie son ennemi de terroriste, cela renvoie tout de suite à une image de l’inacceptable, de l’illégitime. Cela crée une catégorie d’ennemis avec lesquels on ne peut pas discuter, d’où l’exclusion de certaines parties aux conflits lors de pourparlers. En même temps, celui qui est étiqueté « terroriste » peut en bénéficier, d’une certaine façon, en obtenant le soutien d’organisations internationales ou de mercenaires qui se lèvent un bon matin en décidant d’aller faire du jihad quelque part.

Il existe une liste des organisations terroristes. Cela ne suppose-t-il pas qu’on s’entend au moins sur ce qu’est un groupe terroriste?
En fait, il y a plusieurs listes. L’ONU en a une, le Canada et les États-Unis ont la leur, de même que l’Europe… Et chacun place sur sa liste les groupes qu’il veut bien y voir. On est toujours dans cette tension entre des États qui ont intérêt à considérer un groupe comme terroriste, alors que d’autres ont intérêt à le reconnaître comme combattant révolutionnaire. Qu’on pense aux FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie): terroristes selon le gouvernement colombien, mais libérateurs selon le Venezuela.

Une définition du terrorisme adoptée par l’ONU et largement reconnue pourrait-elle servir, par exemple, à la tenue de procès devant une instance juridique internationale?
On n’en est pas là du tout! Un tel consensus permettrait surtout d’accroître la coopération internationale pour lutter contre les différentes formes de terrorisme, qui ont de plus en plus de composantes transnationales. Mais une fois de plus, le terroriste de l’un resterait le combattant de la liberté de l’autre, tout comme la définition officielle que nous avons du génocide n’empêche pas certains États de reconnaître un génocide que d’autres gouvernements continuent de nier.

Quelle est votre propre définition du terrorisme?
Difficile de répondre en peu de mots. En gros, disons que le terrorisme est une forme de violence reconnue illégitime, employée par des acteurs généralement non étatiques, qui ne visent pas les cibles premières de l’État ou de la forme de pouvoir qu’ils remettent en cause.
 
Par exemple, plutôt que de s’en prendre aux représentants d’un gouvernement, les groupes terroristes visent des cibles symboliques comme le World Trade Center ou des cibles au hasard dans des lieux publics –marchés, métros, etc. Ils cherchent ainsi à donner le maximum de publicité à leur cause tout en créant un sentiment d’insécurité dans la population. Chacun sent qu’il peut être touché à tout moment. Politiquement, c’est plus déstabilisant pour le pouvoir en place que si les représentants de l’État étaient visés directement.

Y a-t-il un nouveau visage du terrorisme?
Il y a en tout cas une accentuation de certains aspects, notamment la médiatisation des causes. La plupart des groupes ont compris l’importance du rôle joué par les médias et Internet qui relaient des images, des récits et des témoignages à chaud de l’horreur. Plusieurs études ont montré l’impact énorme qu’a eu la présentation en boucle de l’attaque contre le World Trade Center.

Parmi les changements, il faut aussi noter une plus grande propension des mouvements terroristes à recourir à l’attentat-suicide. On ne s’entend pas sur les premières utilisations de ces attentats : au Sri Lanka dans les années 1970 ou au Liban en 1981? Chose certaine, les groupes religieux n’y étaient pas mêlés. Cela s’est répandu en Palestine par la suite, puis à plusieurs autres endroits. En Tché­tchénie, la moitié des actions terroristes étaient des attentats-suicides et, fait particulier, 50% de ces attentats étaient commis par des femmes, ce qui en augmentait encore l’impact.

La religion est-elle devenue l’une des principales composantes du terrorisme?
Je fais partie de ceux qui croient que, dans la plupart des groupes terroristes où elle est présente, la religion est surtout instru-mentale, servant entre autres à justifier les actes terroristes. Les motivations réelles sont avant tout politiques. Mais je parle ici des leaders des groupes. Les individus qui y sont embrigadés peuvent, eux, avoir leurs croyances religieuses comme motivation réelle.

On dit parfois que le terrorisme constitue le plus grand défi du XXIe siècle. Êtes-vous de cet avis?
En tout cas, plusieurs États occidentaux considèrent qu’une des plus grandes menaces à leur sécurité est la radicalisation de certains groupes à l’intérieur même de leurs frontières, comme on l’a vu lors des attentats de Londres et comme cela a peut-être failli se produire à Toronto. Je dirais que le terrorisme reste une menace avec laquelle les gouvernements doivent compter en permanence.

Y a-t-il des solutions en vue?
Mieux comprendre ce qu’est le terrorisme, comment il évolue et pourquoi certains acteurs y ont recours peut certainement aider les dirigeants des pays à trouver des solutions. C’est le genre de contribution que peuvent apporter des études comme celles que nous faisons ici.

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ÉCOLES D’ÉTÉ: TERRORISME, LANGUES, ARTS VISUEL ET PLUS
Chaque été, l’Université Laval propose des formations intensives. Parmi elles, une première école d’été sur les terrorismes se tiendra du 24 au 30 mai. Cette semaine de formation est organisée par l’Institut québécois des hautes études internationales en collaboration avec la Chaire de recherche du Canada sur les conflits identitaires et le terrorisme, ainsi que le programme Paix et sécurité internationales. On y abordera notamment l’évolution du terrorisme au fil du temps et ses incidences sur les sociétés démocratiques. Une quinzaine de professeurs et d’experts dirigeront séminaires et ateliers. Plus de 30 participants y sont attendus, aussi bien des étudiants que des fonctionnaires et des membres d’organisations non gouvernementales. Pour les étudiants, les cours seront crédités.

La formule des écoles d’été n’est pas nouvelle à l’Université Laval: l’ancêtre de l’École de langues offrait, dès l’été 1938, ses premiers cours intensifs de français à une clientèle canadienne et américaine, une tradition qui se poursuit et s’est enrichie de programmes en anglais, en espagnol, en mandarin et autres. Au fil des ans, d’autres formations estivales intensives ont vu le jour, parmi lesquelles l’École internationale d’été de Percé (arts visuels), celle des Amériques (science politique) et l’Université féministe d’été (sciences sociales). Pour un panorama complet : www.ulaval.ca/ete
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