Joëlle Noreau, la voix de la raison
En temps de crise, les vulgarisateurs de l'économie jouent un rôle central, en contrepoids à l'inflation verbale chère aux médias.
Par Gilles Drouin
Sommes-nous à deux doigts de la catastrophe économique? «Non, nous ne sommes pas au bord du gouffre et toute analogie avec la dépression des années 1930 est excessive», lance l’économiste Joëlle Noreau, sur le ton calme et posé qui la caractérise. «Il faut cependant admettre que nous traversons une période très difficile qui s’apparente davantage à la récession des années 1980. Cela dit, le caractère inédit des événements rend la prévision très incertaine, voilà pourquoi nos pronostics sont fréquemment revus.»
Des interventions nuancées comme celle-ci, Joëlle Noreau en fait de plus en plus, en réponse aux questions des journalistes de quotidiens comme aux bulletins radio et télé. Malgré sa visibilité médiatique, la diplômée (Économie 1983; Aménagement du territoire et développement régional 1987) ne se prend pas pour une vedette, loin de là.
Fin quarantaine, plutôt réservée, l’économiste principale du Mouvement des caisses Desjardins affiche une modestie toute sincère: «J’agis à titre de porte-parole de Desjardins en matière d’économie, en particulier dans mes domaines de spécialisation: les études sectorielles et régionales. Pour chaque intervention, je m’appuie sur le travail et l’expertise d’une dizaine d’économistes qui font partie de notre vice-présidence Études économiques. C’est un travail d’équipe.»
Économiste principale? «Cela veut tout simplement dire que j’ai un peu plus de responsabilités que d’autres, précise-t-elle en souriant. Par exemple, je m’occupe du bulletin Perspectives, le trimestriel d’information économique du Mouvement et, parfois, je supervise le travail d’économistes plus jeunes.»
L’image et la pédagogie
La crise qui secoue l’économie mondiale a mis davantage les économistes à l’avant-scène médiatique depuis quelques mois. Or, plusieurs d’entre eux sont à l’emploi des institutions financières du pays. S’agit-il d’opérations de relations publiques pour leur entreprise ou font-ils office de pédagogues? Franche et directe, Joëlle Noreau estime qu’il y a un peu des deux. «Nos interventions viennent asseoir la crédibilité de Desjardins en matière d’économie, reconnaît-elle aisément. Nous montrons qu’il y a une expertise au sein du Mouvement. Toutefois, nos sorties publiques permettent aussi d’élargir la diffusion de certaines études faites à l’interne, ce qui, je crois, alimente la réflexion des gens sur les principaux enjeux économiques.»
Réduire les interventions des économistes de Desjardins et des banques à une simple opération de marketing serait sans doute injuste. «Les économistes des institutions financières jouent bien leur rôle, estime Patrick Gonzalez, professeur au Département des sciences économiques. Il y a un travail de pédagogie à faire pour que les gens comprennent mieux les enjeux économiques. Ce n’est pas toujours simple. Dès que les événements sortent de l’ordinaire, comme c’est le cas actuellement, les économistes sont souvent les seuls à maîtriser les théories et les modèles économiques qui permettent d’y voir un peu plus clair.»
Associés à leur institution financière, les économistes n’en sacrifient pas pour autant leur propre crédibilité. «En général, les journalistes me posent des questions précises auxquelles je peux répondre en m’appuyant sur mes connaissances et sur nos études, mentionne Joëlle Noreau. Parfois, je peux aussi faire référence à des données provenant d’organismes indépendants.»
La plupart des économistes d’une institution financière travaillent loin des médias. Ils contribuent, par exemple, à la planification stratégique de leur organisation en essayant de prévoir les tendances économiques des années à venir. Quelle sera la croissance économique? Combien d’emplois seront créés? Y aura-t-il une vague de mises à pied? Quels sont les secteurs économiques les plus vulnérables? Quelle sera la tendance des marchés boursiers? Le dollar canadien fluctuera-t-il fortement? Les taux d’intérêt se maintiendront-ils à ce niveau longtemps ? Bref, il s’agit de mieux cerner l’évolution de l’économie et son effet sur les activités des institutions financières.
En général, explique Joëlle Noreau, qui a contribué à la planification stratégique de Desjardins pendant huit ans, ces travaux ne sont pas divulgués dans le grand public, ce qui fait que ces économistes se retrouvent rarement devant la caméra. «Toutefois, ils nous alimentent dans nos interventions publiques», précise-t-elle. Pour la diplômée, le métier d’économiste ne peut se pratiquer en vase clos. «Dans mon travail, explique-t-elle, il est important de pouvoir compter sur un bon réseau de personnes qui connaissent bien la réalité derrière les statistiques officielles, des gens qui sont capables de me donner le pouls de ce qui se passe vraiment sur le terrain.»
Organismes économiques, associations sectorielles, centres d’emploi, ministères, caisses et centres financiers aux entreprises du réseau Desjardins comptent dans leur rang de précieuses antennes sur la réalité. «Il faut avoir l’humilité nécessaire pour aller chercher l’information auprès des gens qui s’y connaissent mieux que nous, des gens qui sont plus près de la réalité.»
Des repères pour mieux réfléchir
Expliquer, simplifier, jouer à la pédagogue, voilà ce qui motive Joëlle Noreau. Outre ses interventions médiatiques, elle consacre une partie importante de son travail à la rédaction d’études, d’articles et de conférences. L’économiste fait chaque année une vingtaine de présentations devant les membres de divers organismes comme les chambres de commerce, les associations professionnelles et les syndicats. «Dans mes conférences, où j’ai plus de temps pour aborder mon sujet, je cherche à passer un message plutôt qu’à passer pour celle qui sait tout, mentionne-t-elle. Mon objectif est toujours de donner aux gens des éléments et des points de repère pour qu’ils comprennent mieux ce qui se passe autour d’eux, pour qu’ils soient en mesure de mieux réfléchir et de se forger une idée.»
Prendre le temps de bien expliquer, ce n’est pas précisément ce que les médias d’aujourd’hui permettent. «Il y a parfois une inflation verbale, avance-t-elle en pesant ses mots, porte-parole de Desjardins oblige. Par exemple, j’ai déjà entendu parler de “tsunami” pour décrire la crise actuelle. Oui, la crise est bien réelle et importante, mais ce n’est ni la première ni la dernière. Il y a malheureusement peu de place pour les nuances et la perspective historique dans le traitement de l’actualité.» L’économiste estime qu’il y a peut-être trop de chiffres en circulation! Des chiffres qui sont bien souvent interprétés maladroitement. «À 6h le matin, est-ce que la population a vraiment besoin de savoir que la Bourse de Tokyo ou de Shanghaï a perdu 3%?»
«En général, croit Patrick Gonzalez, qui a participé en février à un débat sur le traitement médiatique des crises financière et économique, il y a un manque de connaissances en économie chez les journalistes, qui ne sont pas vraiment préparés à aborder ces questions. Il existe des théories économiques qui expliquent ce qui se passe aujourd’hui, mais les contraintes médiatiques ne permettent pas toujours de les expliquer. Les journalistes vont avec leur public. Les Québécois ont fait beaucoup de progrès pour comprendre la Bourse, mais ils ne sont peut-être pas les plus sophistiqués en termes de pensée économique.»
Joëlle Noreau se fait plus nuancée. «En général, les gens qui s’intéressent au moins un peu à la chose économique comprennent l’apport des économistes. Ils savent que nous ne sommes pas des devins. Ils en prennent et ils en laissent, ils comprennent la différence entre tendances et certitudes.»
Reste que Mme Noreau apprécie son rôle auprès des médias. «C’est un beau stress quand on doit commenter rapidement une nouvelle, surtout quand les données surprennent.» Elle aime surtout le concret et s’attache à toujours mieux comprendre la réalité, ce qui se passe sur le terrain. «J’ai eu la piqûre pour l’économie au cégep grâce à Denis Fournier, un professeur très intéressant dont les cours collaient à l’actualité. Toujours dans le concret, il savait nous provoquer et susciter des interrogations sur les aspects économiques de la société.»
Les idées reçues, ce n’est pas pour elle. «Je suis une besogneuse qui aime aller au fond des choses », confie-t-elle. D’ailleurs, dès sa maîtrise, Joëlle Noreau a démontré que le travail et les défis ne lui faisaient pas peur. Sous la direction de l’économiste Pierre Fréchette, un professeur «critique, formateur et disponible» maintenant à la retraite, elle a réalisé sa thèse sur le travail au noir dans la région de Québec. «Nous ne savions à peu près rien de cette réalité. Il a fallu faire du terrain pour amasser nos propres données.»
D’une curiosité insatiable, Joëlle Noreau aime remettre les pendules à l’heure. Probablement rien dans son travail d’économiste ne lui apporte plus de satisfaction que de déboulonner un mythe, de découvrir ce qui se cache derrière des affirmations tellement galvaudées qu’elles finissent par tordre la réalité. Pédagogue dans l’âme, elle ne ferme pas la porte à l’enseignement, un métier qu’elle a pratiqué un peu au tout début de sa carrière. «Un jour peut-être, mais pas tout de suite. J’aime trop ce que je fais.»
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