La nutrition au menu
Publié le 30 septembre 2016 | Par Simone Lemieux
Les hauts et les bas de l’évaluation alimentaire
En début d’année scolaire, je commence toujours mon cours de 2e année en parlant de l’évaluation alimentaire en long et en large. Je dois avouer que mes étudiants ne sont pas des plus emballés quand je leur apprends que les 2 premières semaines de la session seront consacrées à ce sujet, mais je persiste et signe. Je veux vraiment qu’ils deviennent des pros dans l’art d’évaluer l’alimentation des gens qu’ils côtoieront dans leur pratique, peu importe le domaine qu’ils choisiront. Pourquoi cette quasi-obsession de l’évaluation?
Incontournable évaluation
On pourrait presque dire que, au premier jour, le Dieu de la nutrition créa l’évaluation… Plus sérieusement, on peut affirmer sans grand risque de se tromper que l’évaluation alimentaire est la pierre angulaire dans la plupart des branches de la pratique en nutrition. Pour identifier un problème d’ordre nutritionnel chez un individu ou au sein d’une population, on doit tout d’abord dresser un portrait de la situation. Il s’avère donc essentiel de connaître ce qui caractérise l’alimentation de la personne ou du groupe de personnes qui nous intéresse pour ensuite pouvoir établir un bon diagnostic qui nous mènera à une intervention mieux ciblée. En recherche, toutes les études épidémiologiques qui mettent en lien la consommation de certains nutriments et aliments avec des variables décrivant l’état de santé nécessitent de prime abord que l’alimentation de la population à l’étude soit évaluée.
Les différentes manières d’évaluer
Les outils d’évaluation alimentaire les plus communément utilisés sont les journaux alimentaires, les rappels de 24h et les questionnaires de fréquence de consommation alimentaire. Le journal alimentaire consiste à prendre en note au fur et à mesure tout ce qui est consommé avec le plus de détails possible pour une période de 3, 4, 5 jours ou même plus. Le rappel de 24h est un outil rétrospectif permettant de noter ce qui a été mangé la veille. Le rappel peut être répété à quelques reprises pour que l’information obtenue soit la plus représentative de l’alimentation usuelle de la personne interrogée. Finalement, le questionnaire de fréquence est aussi une méthode rétrospective qui exige des répondants qu’ils rapportent leur fréquence de consommation usuelle pour une liste d’aliments sur une période de temps donnée (au cours du dernier mois, par exemple).
Les critiques envers l’évaluation alimentaire
Bien qu’incontournable, l’évaluation rencontre son lot de problèmes. On doit se le dire, les outils qu’on utilise sont loin d’être parfaits et ils ont fait l’objet de critiques acerbes au sein même de la communauté scientifique. Dans un article publié l’année dernière, un groupe de chercheurs, The Energy Balance Measurement Working Group, a vertement critiqué la validité des données relatives à l’apport énergétique tel que mesuré par les outils d’évaluation alimentaire1. Selon eux, ces valeurs sont tellement loin de la réalité qu’on devrait tout simplement mettre nos outils d’évaluation à la poubelle, rien de moins.
La sous-estimation des apports énergétiques au cœur du problème
Une des études ayant servi à bâtir l’argumentaire du groupe cité plus haut est la National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES), qui est réalisée périodiquement aux États-Unis. À l’aide de données colligées sur une période de 39 ans, on a comparé les apports énergétiques rapportés aux besoins énergétiques nécessaires pour rester en poids stable, tel qu’estimés par des équations reconnues2. Grâce à ces données, les résultats provenant du NHANES suggèrent que la sous-estimation de l’apport énergétique est en moyenne de 281 kilocalories (kcal) par jour pour les femmes et de 365 kcal pour les hommes. Celle-ci est encore plus marquée chez les personnes obèses où elle atteint 716 kcal chez les femmes et 856 kcal chez les hommes. Quand on regarde ces résultats, on a envie de suggérer aux Américains de s’en tenir à ce qu’ils rapportent en matière d’apport énergétique quotidien: avec une telle restriction calorique, presque tout le monde perdrait du poids!
Pourquoi une telle sous-estimation?
Si les apports énergétiques rapportés sont plus faibles que la réalité, c’est que les gens n’indiquent pas tout ce qu’il mange au cours de l’évaluation alimentaire. Plusieurs facteurs peuvent être en cause, mais les plus connus sont les problèmes liés à la mémoire et à la désirabilité sociale.
Les outils d’évaluation rétrospectifs sont tout particulièrement touchés par les trous de mémoire. En effet, il n’est pas toujours évident de se rappeler précisément ce qu’on a mangé la veille (rappel de 24h) ou ce qu’on a mangé en moyenne au cours du dernier mois (questionnaire de fréquence). Les études ciblant spécifiquement le rappel de 24h ont suggéré que certains aliments ont davantage tendance à être oubliés. Il s’agirait surtout des aliments associés au grignotage (bonbons, noix, croustilles, biscuits, etc.) et des aliments qu’on boit (jus, lait, boissons gazeuses, boissons alcoolisées, etc.). Évidemment si des aliments consommés sont oubliés, cela entraîne automatiquement une sous-estimation de l’apport énergétique.
La désirabilité sociale, quant à elle, peut être définie comme le désir de bien paraître aux yeux de la personne qui nous évalue et elle peut affecter tous les outils d’évaluation alimentaire. Ainsi, certaines personnes n’oseront pas avouer qu’elles consomment certains aliments de type malbouffe de peur de mal paraître devant la nutritionniste. Ces omissions contribuent également à une estimation à la baisse de l’apport en énergie.
Des solutions
Grâce à des techniques apprises dans mon super cours de 2e année, les personnes en charge de l’évaluation peuvent contourner les problèmes liés à la mémoire en posant des questions spécifiques à la personne interrogée. Par exemple, on peut lui demander si elle se souvient de l’heure à laquelle elle s’est levée, des endroits où elle a mangé et avec qui elle était. Ces questions font en sorte que le «film» de la journée précédente redevient plus clair, ce qui aide à se rappeler les aliments consommés.
Le biais de désirabilité sociale fait l’objet de nombreuses recherches dans différents domaines. Des techniques ont été proposées pour minimiser son influence, mais je ne vous en dis pas plus long… Je ne voudrais pas que, la prochaine fois que vous compléterez une évaluation alimentaire, vous soyez au courant de tous nos trucs!
Finalement, la recherche dans le domaine de l’évaluation alimentaire est en ébullition. Des outils mieux adaptés et conçus pour réduire les différentes formes de biais sont développés par divers groupes de chercheurs, incluant mon équipe à l’INAF3. Je pourrai peut-être vous en reparler, si ça vous intéresse!
1 Dhurendhar NV, Schoeller D, Brown AW et al. «Energy balance measurement: when something is not better thatn nothing». Int J Obes 2015; 39: 1109-1113. ↩
2 Archer E, Hand GA, Blair SN. «Validity of U.S. Nutritional Surveillance: National Health and Nutrition Examination Survey Caloric Energy Intake Data, 1971-2010». Plos One 2013; 8: e76632. ↩
Publié le 1 octobre 2016 | Par Line
Vos billets sont toujours intéressants à lire. J'ai déjà complété un journal alimentaire. C'est un bel exercice à faire pour mieux visualiser notre consommation de la journée, mais ça prend de la discipline.
J'ai hâte de lire votre prochain billet, peut-être que vous pourrez nous en dire plus sur les nouveaux outils d'évaluation... Ça m'intéresse...
Merci.
Publié le 3 octobre 2016 | Par Simone Lemieux
Publié le 30 septembre 2016 | Par Jean Pierre Fleury
J'ai déjà complété un journal alimentaire lors d'une consultation pour mon besoin personnel. Effectivement, j'avais mal fourni les informations, puisque j'avais inscrit les informations que je croyais, moi - oui! moi! - pertinentes de mentionner.
En effet, je ne croyais pas que le chocolat ou les biscuits ou les bonbons ou les chips ou les boissons gazeuses ou les breuvages étaient des aliments dont il était utile et nécessaire de faire état ou de mentionner.
Si l'objectif est clair, aider la personne, il m'a semblé que les consignes étaient moins claires. L'important est d'insister auprès de la personne pour bien faire comprendre que tout ce qui entre dans la bouche mérite d'être inscrit dans le journal alimentaire, si petit soit-il.
Merci!
Publié le 30 septembre 2016 | Par Liliane genest
Je suis présentement participante au projet GABA et terminerai la semaine prochaine. Félicitations à la belle gang de l'INAF!
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