La nutrition au menu
Publié le 13 juin 2014 | Par Simone Lemieux
Attention, sucre méchant!
Si le sucre était un poison, je serais morte depuis longtemps. Vous trouvez que j’y vais un peu fort? Avec tout ce qui se dit sur la toxicité et la dangerosité du sucre, ma réaction est tout à fait normale. C’est comme au tennis: plus votre adversaire frappe fort et plus ça vous amène à retourner la balle avec vigueur…
J’ai assisté le 3 juin à une conférence intitulée «Sucre: toxicité ou exagération?» qui a attiré plusieurs centaines de personnes au pavillon Ferdinand-Vandry de l’Université Laval. Comme plusieurs, je m’attendais à un débat qui n’a jamais vraiment eu lieu. Nous sommes restés coincés quelque part entre la toxicité et l’exagération.
Le sucre et l’indice glycémique
Nous avons tout d’abord pu entendre le Dr David Ludwig1, fier défenseur de la notion d’indice glycémique. Ce concept permet de classer les aliments selon leurs effets sur le taux de sucre dans le sang (glycémie). On sait que les sucres (naturellement présents ou ajoutés aux aliments) ainsi que l’amidon entraînent une augmentation du taux de sucre lorsqu’ils sont consommés. Cependant, pour une quantité de sucres ou d’amidon donnée, l’effet n’est pas le même pour tous les aliments. C’est que les différents types de sucre (glucose, lactose, fructose, sucrose et tout ce qui se finit par «ose») ne sont pas métabolisés de la même façon et n’entraînent pas une augmentation similaire de la glycémie. Le degré de cuisson ainsi que la présence d’autres composantes des aliments, comme les fibres alimentaires, peuvent également influencer la vitesse d’absorption des sucres et de l’amidon, ayant ainsi un effet sur l’indice glycémique.
Le Dr Ludwig a démontré qu’un indice glycémique élevé était associé à un risque accru de développer des maladies chroniques (obésité, diabète, maladie cardiovasculaire). On pourrait donc dire que pour lui, les sucres et l’amidon posent problème lorsqu’ils sont consommés par l’entremise d’aliments qui favorisent une élévation importante de la glycémie. Mise à part ma déception de ne pas avoir entendu le Dr Ludwig se prononcer directement sur la question posée dans le titre de la conférence, j’ai trouvé qu’il avait bien défendu son concept et qu’il avait su faire preuve de nuance. J’estime cependant que la notion d’indice glycémique n’est pas la plus simple à transmettre à la population. De plus, il peut être difficile de défendre le concept d’indice glycémique et ses effets sur la santé quand le Pepsi a un indice glycémique plus bas que les carottes cuites!
Le fructose, cet ennemi à abattre
Le deuxième conférencier était le Dr Robert H. Lustig2, un chercheur surtout connu pour les livres qu’il a publiés, dont le très célèbre Fat chance: beating the odds against sugar, processed food, obesity, and disease. Une vidéo intitulée Sugar :The bitter truth3 et vue par plus de 5 millions de personnes sur Youtube a également contribué à la popularité du Dr Lustig et a fait de lui un des généraux les plus impliqués dans la guerre au sucre.
Lors de sa conférence, sucrée à souhait de sensationnalisme, il a mis l’accent sur la toxicité d’un sucre en particulier: le fructose. Bien que les études présentées par le Dr Lustig pour défendre son point de vue soient valides, on peut lui reprocher de ne pas montrer tous les côtés de la médaille. Il est vrai que le fructose, lorsque pris en excès et dans un contexte où l’on consomme plus de calories que notre corps en a besoin, crée des dommages, notamment au niveau du foie qui devient gorgé de gras. Cependant, dans un contexte d’équilibre énergétique où l’apport en calories est égal à la dépense d’énergie, les données scientifiques actuelles proposent plutôt que les effets néfastes du fructose ne seraient pas observables4.
Le Dr Lustig n’est pas le seul dans sa croisade contre le fructose. Le buzz fructose est assez intense actuellement. Dans cette guerre, on donne inévitablement l’exemple des boissons gazeuses qui sont sucrées à l’aide d’un sirop de maïs à haute teneur en fructose. On oublie par contre très souvent de nous rappeler que les fruits sont également d’excellentes sources de fructose… et c’est pour ça que ce buzz n’a pas grand effet sur moi.
Apprendre de nos erreurs
J’ai pris un grand détour pour vous dire que je suis un peu découragée de voir qu’on n’apprend pas de nos erreurs. Lorsque j’ai commencé mon baccalauréat à la fin des années 1980, c’était un autre nutriment, le gras, qui était dans le couloir de la mort. Tout ce qui contenait du gras était à éviter, ou presque. Au final, cette condamnation s’est avérée un échec. On s’est rendu compte que certains gras avaient des effets plus bénéfiques qu’on ne le croyait et que de tirer à bout portant sur le gras pouvait avoir l’effet pervers d’orienter les consommateurs vers le sucre… On assiste aujourd’hui au retour du balancier.
Ceci dit, je suis complètement d’accord avec les initiatives qui favoriseront une diminution des sucres ajoutés dans différents produits alimentaires. Je pense aussi que des recommandations plus claires sont nécessaires quant à la consommation de sucres ajoutés. D’ici là, arrêtons de faire croire à la population que tous les maux de notre siècle sont attribuables à un seul coupable. Amortissons un peu nos coups, jouons avec plus de finesse, et parlons de modération plutôt que de poison.
1 David Ludwig est pédiatre clinicien et chercheur à l’Hôpital pour enfants de Boston ↩
2 Robert H. Lustig est professeur de pédiatrie au Département d’endocrinologie de l’Université de Californie à San Francisco ↩
4 Chiu S, Sievenpiper JL, de Souza RJ, et al. «Effect of fructose on markers of non-alcoholic fatty liver disease (NAFLD): a systematic review and meta-analysis of controlled feeding trials.» Eur J Clin Nutr 2014; 68:416-423 ↩
Publié le 3 juillet 2014 | Par Pikitou
Publié le 30 juin 2014 | Par Carl
Le corps possède un certaine capacité à métaboliser le fructose que vous réussirez difficilement à saturer en consommant des fruits. À l'inverse, les boissons sucrées et le sucre ajouté dans les aliments industriels pourront facilement dépasser cette capacité, en fournissant beaucoup de fructose très rapidement. C'est ce fructose en surplus qui cause problème.
Bref, le problème n'est pas tant le fructose comme tel que la trop grande quantité de fructose aujourd'hui disponible dans les boissons sucrées.
Publié le 17 juin 2014 | Par Simone Lemieux
Publié le 17 juin 2014 | Par Michel Lucas
PS: La Parabole des aveugles est un tableau peint en détrempe de Pieter Bruegel l'Ancien, réalisé en 1568.
Publié le 17 juin 2014 | Par Geneviève Painchaud Guérard
Publié le 17 juin 2014 | Par Simone Lemieux
Il est vrai qu'à la suite d'une question posée, le Dr Lustig a mentionné que le fructose présent dans les «vrais aliments» ne causait pas les mêmes problèmes en raison des fibres. Ceci est un excellent exemple de la limite de l’approche «nutriments». Le fructose est mauvais quand il est dans certains aliments, mais correct quand il est dans d’autres aliments ou consommé en association avec d’autres nutriments. Ça me semble un peu fragile comme concept. Pourquoi ne pas d’emblée aborder la question sous l’angle des aliments? Il me semble que ce serait un message beaucoup plus simple à transmettre à la population.
Je termine en vous rassurant que j’ai grandement à cœur la santé des gens et qu’en tant que nutritionniste et professeure, je m’assure de suivre la littérature du mieux que je le peux. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de lire l’article du Dr Ludwig lors de sa parution. La beauté de la carrière universitaire, c’est d’avoir le privilège d’être libre de pensée, de se faire sa propre idée des enjeux. Bien sûr, cela donne lieu parfois à des visions difficilement réconciliables, mais cela peut aussi amener des débats d’idées fort enrichissants.
Publié le 17 juin 2014 | Par Michel Lucas
Comme professionnel et surtout comme professeur, il importe aussi de faire ses lectures et se tenir à jour dans la littérature. Dr Ludwig indique bien la différence entre le fructose des fruits et celui des boissons sucrées (SSB) dans son papier dans le JAMA (2013 Jul 3;310(1):33-4). Il explique finalement que le fructose des fruits (pour des raisons que Mme devra lire) n'est pas associé à des effets néfastes à la santé.
Pour ce qui est des inepties de Mr Sievenpiper, peut-on vraiment se fier à des études de 3-4 semaines lorsqu'on sait que les gens vont prendre des SSB sur des périodes beaucoup plus longues, voir des années, des décennies. En passant, il faut aussi comprendre comment l'industrie manipule l'information et que certains chercheurs sont plus biaisés que d'autres. Et notre cher Mr Sievenpiper est loin d'être le plus clean (reçoit du financement de Coca-Cola, porte-étendard pour l'Institut canadien du sucre). Bref, plus démagogue que ce dernier, tu travailles directement pour l'industrie ou tu possèdes de nombreuses actions!
Dans l'article de décembre 2013 du PloSmed («Financial Conflicts of Interest and Reporting Bias Regarding the Association between SSB and Weight Gain: A Systematic Review of Systematic Reviews») on montre que parmi les 6 études avec une existence de lien avec l’industrie, 5 (83.3%) montrent que les SSB n’ont pas d’effet sur le gain de poids. Alors que sur 12 études sans conflit d’intérêt, 10 (83.3%) montrent une association positive sur le poids!!! 2 poids 2 mesures! Le même constat avait était fait en 2007 dans PloS One par David Ludwig («Relationship between Funding Source and Conclusion among Nutrition-Related Scientific Articles»), qui a montré que les études publiées par des chercheurs ayant un conflit d'intérêt ont 7-8 fois plus de chance de montrer des résultats favorables.
«On apprend de nos erreurs», de quelle erreur parle-t-on exactement? Le focus des années 70 et subséquentes sur le gras ne sont qu'une manipulation des médias et de la science par d'habiles et mercantiles industriels du sucre. Cela semble irréel et pourtant si réel! Pourquoi pensez-vous que «The Sugar Association, Inc> a remporté le Silver Anvil Award en 1976??? Dr Cristin Couzens résume bien pourquoi: «for their successful campaign "forging public opinion", in the face of mounting consumer and government concern over the health risks of sugar. It's a little bit shocking to me that an industry would be rewarded for manipulating scientific évidence.» Voir certains documents originaux de l'industrie dans MotherJones (http://integral-options.blogspot.ca/2014/03/gary-taubes-and-cristin-kearns-couzens.html). Demandez aussi à Micheal Yudkin (professeur à Oxford) comment l'industrie du sucre à manipulé l'information et détruit la carrière de son père (John Yudkin, qui avait sonné l'alarme sur le sucre dans les années 60!)
On peut effectivement parler de modération lorsqu'il y a un certain contrôle sur la vente, comme l'alcool. Quand on parle du sucre, peut-on parler de modération quand on vent 6 X 710 ml de Pepsi ou de Coke pour 1.79$??? En plus, il ne faut pas oublier les nombreuses fêtes, dont l'Halloween, Pâques, la cabane à sucre....et les aliments qui contiennent du sucre inutilement comme les yogourts, les eaux vitaminées, etc. Bref, il y en a tellement pour tous les goûts qu'on y passerait la journée pour les énumérer.
En terminant, ce discours de modération de diététistes fait plutôt penser au discours bien ficelé de l'industrie que résume assez bien Marion Nestlé (rien à voir avec la compagnie du même nom qui produit des tonnes de cochonneries alimentaires), une excellente nutritionniste spécialisée sur la Food Politics: «Il est dans l'intérêt des compagnies alimentaires que les gens croient qu'il n'y a pas de "bons" aliments (sauf les leurs!); ni de"mauvais" aliments (surtout pas les leurs!); que tous les aliments (surtout les leurs!) peuvent être incorporés dans un régime alimentaire sain et équilibré; et que l'équilibre, la variété et la modération sont les clés de régimes sains --- ce qui signifie qu'aucun conseil pour limiter l'apport de leurs produits n'est approprié!!!
C'est bien fait comme slogan, hein? Mais ça, c'est pour améliorer la santé financière de l'industrie, pas pour la santé des gens. Si on veut vraiment que les choix santé soient ceux par défaut (pas seulement pour les bien nantis et les plus éduqués), il va falloir favoriser les vrais aliments...et pas besoin d'y ajouter du sucre!!!
Bravo pour le faux-départ Simone!
M.
Publié le 16 juin 2014 | Par Simone Lemieux
Publié le 16 juin 2014 | Par Hugues Vaillancourt
Ainsi, des discussions portant sur l'importance de considérer l'ensemble plutôt que ses parties sont de plus en plus nombreuses. Je laisse des références pour les intéressé(e)s:
«A call for an end to the diet debates»
http://jama.jamanetwork.com/article.aspx?articleid=1730520
«Food, not nutrients, is the fundamental unit in nutrition»
http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1753-4887.2007.tb00269.x/abstract
«Increasing Adiposity - Consequence or Cause of Overeating?»
http://jama.jamanetwork.com/article.aspx?articleid=1871695
Félicitations pour ton blogue en passant Simone!
Hugues Vaillancourt Dt.P. M.Sc.
Publié le 15 juin 2014 | Par Kevin Genest
Tout ce qui me concerne avec la nourriture est à l'origine d'une expérience humaine que j'eus avec l'étude des propriétés chimiques des nutriments, et pour les comprendre ces indications standardisées sur les étiquettes, j'ai lu sur les forums de discussion les commentaires et les critiques concernant le mythe de l'usage du sucre et ses effets sur le traitement du diabète. Comment je m'y suis pris pour m'offrir ma propre compréhension du phénomène de l'usage incontournable du sucre en société, c'est-à-dire comment en suis-je arrivé à m'intéresser: à l'économie, l'agriculture, l'anthropologie, et les concepts de politesse à table; c'est l'histoire de mes expériences humaines qui mènent à la confection standardisée de pâtisserie sans sucre. Par exemple, comment préparer un nougat sans l'usage du sucre est un défi intéressant; mais selon une autre thématique culinaire controversée, comment préparer des falafels sans gras est tout aussi enrichissant d'en découvrir l'usage du sucre pour la cuisson qu'il n'en a été éducatif de comprendre pourquoi ne faudrait-il pas manger les falafels pour autant, malgré tout le tracas de la conception alimentaire qu'ils génèrent. Le raisonnement de mon commentaire est vraisemblablement informel, mais je considère qu'il est supporté par les arguments des deux chercheurs en charge de la conférence, cités en exemple d'usage et son contexte médical avec le traitement du diabète: après tout la masse volumique d'un certain sucre ne change pas, et en manger 1 kg sous forme de fruits ou en manger un volume correspondant sous la forme d'un jus de fruit ne conditionnera pas pour autant la contrainte d’absorption d'un nutriment sous la forme d'un aliment aux propriétés nutritionnelles mixtes; que ce soient le problème des fibres, les traces nutritionnelles du procédé de raffinage, ou alors la densité du sel qui est utilisées, encore faut-il que l'aliment vendu en tablette puisse se conformer à la dynamique de viscosité qui fait de cet aliment un aliment clé et utile dans l'industrie agro-alimentaire. Et c'est justement sur cette préférence de nature substantielle que mon commentaire tente de se faire justice en contexte de pratique culinaire. Or, je considère l'exemple de la critique des patates, de par leur teneur riche en amidon qu'elles contiennent, et je me demande ce qui fait d'un polymère, l'amidon, une substance qui peut modifier l'arôme, la consistance, et l'appréciation économique d'un plat: est-ce que la patate en étant cuite jusqu'à son état de saturation, en termes du volume de liquide absorbé, conserve les même propriétés nutritives que lors d'une cuisson jusqu'à l'obtention d'une température interne standardisée? J'ai participé à des cours de biologie au collège et mon hypothèse est que plusieurs conditions métaboliques, pour une meilleure digestion de la patate, semblent d'autant plus dépendre de la rétention d'humidité que de la dénaturation des protéines qui ont lieu lors de la cuisson du tubercule. Mais bon, je veux surtout discuter des friandises à base des produits dérivés de la patate, pour mieux incorporer le phénomène de la rétention de l'humidité qui fait des sucres, des huiles et des fibres, des agents culinaires utiles à la confection de pseudo-plastique alimentaire, mais qui nécessitent parfois des agents culinaires synthétiques pour la conservation des propriétés volumétriques des aliments: les boissons pétillantes qui réagissent avec les bonbons, les solides de sirop de maïs, les blancs d'oeufs, les gélatines, etc. Sans ces produits controversés dont la masse volumique est un facteur économique, beaucoup d'aliments auraient une durée périssable inférieure à ce qui est nécessaire pour que la garantie de leur qualité ne puisse être dépendante sur le procédé de manufacture désiré.
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