Les blogues Contact

La zone d'échanges entre l'Université Laval,
ses diplômés, ses donateurs et vous

Les blogues de Contact

Photo de Simone Lemieux

Plaisir alimentaire: on parle de quoi au juste?

Une bonne bouffe avec de amis, du melon d’eau quand il fait chaud, la découverte d’un nouveau vin, une poutine bien graisseuse, la soupe aux légumes qui nous réchauffe, une chaudière d’ailes de poulet en regardant le Super Bowl, les soupers en famille qui se prolongent, un pique-nique en amoureux… C’est peut-être le genre de réponses que j’obtiendrais si je vous demandais ce que représente pour vous le plaisir alimentaire. En fait, je suis convaincue que j’aurais beaucoup plus d’éléments de réponse que ce que cette courte liste contient.

plasir_alimentaire

Il n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire de définir clairement ce qu’est le plaisir alimentaire. D’ailleurs, je pense que c’est un problème quand on essaie de mieux comprendre comment le plaisir peut influencer notre alimentation. Si on ne parle pas de la même chose, c’est difficile de s’entendre!

Ce n’est pas la première fois que je vous parle d’alimentation et de plaisir. Que voulez-vous, je trouve le sujet fascinant! Dans ce billet, je vous présente une étude qui nous aide à faire un peu de ménage dans nos différentes conceptions du plaisir alimentaire.

Recherche sur le plaisir
J’aime suivre ce qui se dit sur le plaisir alimentaire dans la littérature scientifique et dans les médias. Alors, quel ravissement la semaine dernière lorsqu’une de mes étudiantes m’a refilé un excellent article sur le sujet1. Comble de bonheur, j’entendais le soir même un des auteurs de l’article à l’émission Bien dans son assiette.

L’article rédigé par Yann Cornil et Pierre Chandon nous propose 2 conceptualisations différentes, voire opposées, du plaisir alimentaire. On présente tout d’abord le plaisir viscéral, procuré par la satisfaction de certaines pulsions alimentaires spontanées. Celles-ci sont déclenchées par des émotions, comme la tristesse ou l’anxiété, ou encore par des éléments de l’environnement, comme la vue et l’odeur de la nourriture.

On nous décrit ensuite le plaisir épicurien, qui réfère plutôt à l’appréciation visuelle, sensorielle et symbolique des aliments. Selon les auteurs, le plaisir épicurien est une fin en soi plutôt qu’un moyen d’apaiser certaines envies. On dirait par exemple des foodies qu’ils s’adonnent beaucoup à ce type de plaisir.

Dans cette étude, l’équipe de recherche a tout d’abord développé et validé un questionnaire permettant d’évaluer à quel point les gens valorisent et expérimentent le plaisir épicurien, puisqu’un tel outil de mesure n’existait pas. Ensuite, les auteurs ont vérifié comment le plaisir épicurien (mesuré par leur questionnaire) et le plaisir viscéral (mesuré par des questionnaires déjà validés et utilisés dans la littérature) étaient associés à des variables d’intérêt comme le bien-être, la préférence pour des grosses portions d’aliments et l’indice de masse corporelle chez un groupe de 251 participants, résidents des États-Unis.

Ce qu’ils ont constaté, c’est que plus les gens valorisaient et expérimentaient le plaisir épicurien, plus leur bien-être était élevé. Par ailleurs, plus le score du plaisir épicurien était élevé, plus les gens disaient préférer les petites portions d’aliments. Finalement, aucune association entre le plaisir épicurien et l’indice de masse corporelle n’était notée.

Du côté du plaisir viscéral, on remarquait que plus celui-ci était présent, plus la préférence pour des grosses portions était notable. Un plaisir viscéral plus élevé était également associé à un indice de masse corporelle plus élevé et à un niveau de bien-être plus faible.

On retire quoi de tout cela?
Bien sûr, ce n’est pas une seule étude qui vient tout éclaircir en matière de plaisir alimentaire, et on ne peut pas simplement conclure qu’il existe 2 boîtes à plaisir et que ça finit là! Ceci étant dit, les résultats de cette étude m’ont aidée à y voir plus clair et à réconcilier différents courants de pensée.

Depuis le début de ma carrière, je constate que le discours dominant par rapport au lien entre le plaisir et l’obésité est que le plaisir est «mauvais» parce qu’il incite les gens à trop manger. Il faut donc s’assurer que les gens n’aient pas trop de plaisir à manger… J’ai toujours eu un grand malaise avec cette proposition. Comment peut-on imaginer qu’une solution puisse être acceptable avec comme trame de fond l’éradication du plaisir?

La recherche de Cornil et Chandon nous indique que le plaisir viscéral pourrait effectivement contribuer à la surconsommation, et donc à l’obésité. Ainsi, on peut penser que plusieurs chercheurs dans le domaine de l’obésité se font une conception du plaisir qui tend vers celle décrite ici comme étant le plaisir viscéral. Dans ce cas, on comprend que le plaisir ne fait pas bon ménage avec certains indicateurs de santé.

Par contre, quand on s’intéresse au plaisir épicurien, on voit que celui-ci ne favorise ni la surconsommation d’aliments, ni l’obésité. Les auteurs de l’étude laisse même supposer que le plaisir épicurien peut cohabiter de façon très harmonieuse avec une alimentation saine et équilibrée. Plutôt que de fuir le plaisir, on peut donc l’inviter à table quand il provient de la famille épicurienne.  

Au final, on constate que si notre conception du plaisir alimentaire n’est pas bien définie, on peut facilement se lancer dans un dialogue de sourds. Je retiens ça, et la prochaine fois que je discuterai du sujet, je verrai à ce qu’on s’entende le mieux possible sur la définition du plaisir avant de lancer les hostilités!

La popularité actuelle du plaisir
Je termine en vous disant que je suis bien contente quand je constate que les nutritionnistes parlent de plus en plus du plaisir alimentaire. Je pense notamment aux efforts qui sont investis pour inviter les gens à arrêter de culpabiliser quand ils mangent des aliments dont la valeur nutritive n’est pas au top.

Je suis tout à fait d’accord pour essayer de diminuer la culpabilité qui ne mène nulle part. Par contre, je trouve que, dans notre discours, on associe peut-être trop souvent le plaisir aux aliments «défendus». Ça peut devenir un terrain glissant si les gens comprennent dans ce message qu’il y a, d’une part, les aliments «plaisir» et, d’autre part, les aliments sains. On ne voudrait pas qu’en fin de compte on comprenne que c’est tellement «plate» la saine alimentation qu’on n’a pas le choix de se faire plaisir de temps en temps avec des aliments de moins bonne valeur nutritive.

En fait, ce que je souhaite, c’est qu’on rééquilibre un peu le discours autour du plaisir. En ayant en tête une définition qui ressemble plus à la version épicurienne que viscérale, j’aimerais que nous mettions également sur la table la proposition que les aliments et les comportements alimentaires sains peuvent aussi être une source de grand plaisir.

Au plaisir!

1 Cornil Y, Chandon P. «Pleasure as an ally of healthy eating? Contrasting visceral and Epicurean eating pleasure and their association with portion size preferences and wellbeing». Appetite (2015), article sous presse, http://dx.doi.org/10.1016/j.appet.2015.08.045

Haut de page
  1. Publié le 6 février 2016 | Par Simone Lemieux

    Merci beaucoup M. Chandon d'avoir pris le temps de commenter le billet et de nous présenter ce test sur les types de mangeur. Je suis convaincue que plusieurs des lecteurs de ce blogue seront curieux de découvrir s'ils sont plutôt du côté épicurien ou viscéral. Merci également pour le lien vers l'article d'Appetite!
  2. Publié le 6 février 2016 | Par Pierre Chandon

    Merci pour ce billet très intéressant!

    Yann et moi avons mis en ligne ce test pour savoir si vous êtes un mangeur épicurien ou viscéral (disponible en français et en anglais): http://insead.qualtrics.com/SE/?SID=SV_7UlHdjJvgEs7qcd
    L'article d'Appetite est disponible sur mon site: http://faculty.insead.edu/pierre-chandon/documents/Articles/CORNIL%20CHANDON%20Epicurean%20Pleasure%20APPETITE%20PRINT.pdf

    Pierre Chandon
    http://faculty.insead.edu/pierre-chandon/home

Note : Les commentaires doivent être apportés dans le respect d'autrui et rester en lien avec le sujet traité. Les administrateurs du site de Contact agissent comme modérateurs et la publication des commentaires reste à leur discrétion.

commentez ce billet

M’aviser par courriel des autres commentaires sur ce billet