Tout sur le carbone
La lutte aux changements climatiques se mesure désormais en équivalent carbone. Des chercheurs expliquent pourquoi et comment.
Par Jean Hamann
Combien de carbone votre véhicule émet-il aux 100 km? Les organisateurs du congrès auquel vous allez assister se sont-ils engagés à planter des arbres pour minimiser l’empreinte carbonique de l’événement? Avez-vous établi le bilan de carbone de votre famille? Carboneutre, empreinte carbonique nulle, bilan de carbone positif: voilà les nouvelles vertus mesurées à l’aune des préoccupations environnementales, en ce début de troisième millénaire. Étonnant tout de même que le carbone, un atome contenu dans toutes les molécules essentielles aux êtres vivants –les glucides, les protéines, les lipides et l’ADN–, soit devenu l’ennemi numéro 1 de la vie sur notre planète.
Quatrième plus abondant élément dans l’univers, quatorzième sur Terre, le carbone (C) tire son nom du charbon, dont il est le principal constituant. Présent partout autour de nous, il se cache parfois sous des dehors qui le rendent méconnaissable. Dans sa forme pure, il se fait aussi bien diamant transparent et d’une dureté sans pareille que graphite opaque et mou comme la mine d’un crayon. Sa structure atomique lui autorise quatre liaisons et il ne s’en prive pas. Il s’associe volontiers au plus abondant élément de l’univers –l’hydrogène– pour former des carburants qui alimentent les moteurs (sous forme de pétrole ou de gaz naturel) ou les organismes vivants (sous forme d’hydrates de carbone). Lorsqu’un carburant réagit avec l’oxygène, il y a libération d’énergie et formation de nouveaux composés plus stables, notamment du dioxyde de carbone (CO2). C’est là où le bât blesse.
La dose fait le poison
Le CO2 compte parmi les plus importants gaz à effet de serre, une famille de molécules dont les propriétés optiques sont à la source du réchauffement planétaire. « Environ la moitié de la lumière solaire qui entre dans l’atmosphère se rend jusqu’au sol, où son énergie est absorbée puis réémise vers le ciel sous forme de rayonnement infrarouge (chaleur), explique Frédéric-Georges Fontaine, professeur au Département de chimie. Les gaz à effet de serre ont la capacité d’absorber ce rayonnement et de le réémettre dans toutes les directions, y compris vers la Terre, ce qui piège une partie de cette énergie dans l’atmosphère.» Ce phénomène n’est pas négatif en soi: il a même instauré des conditions propices à l’apparition et au maintien de la vie. «Sans effet de serre, la température moyenne de la planète serait de –18°C, plutôt que +15°C», souligne-t-il.
La vapeur d’eau est le principal gaz à effet de serre. On en parle peu, malgré sa contribution relative de 55%, parce que sa concentration est stable et indépendante des activités humaines. Le CO2 vient au deuxième rang, avec 39%, suivi du méthane, de l’oxyde nitreux et des chlorofluorocarbures (CFC). Comme chacun de ces gaz a une capacité d’absorption de chaleur qui lui est propre, son impact climatique est exprimé en équivalent carbone, ce qui fait de cet atome l’étalon de mesure du risque de réchauffement planétaire.
Après avoir constitué environ le quart de l’atmosphère terrestre, le CO2 s’est progressivement raréfié au cours des âges (voir plus bas). Depuis la révolution industrielle toutefois, le recours grandissant aux énergies fossiles a mis en circulation des quantités astronomiques de carbone qui étaient immobilisées dans des puits géologiques depuis des millions d’années. Cet afflux soudain de carbone dépasse la capacité de captage du CO2 par l’environnement, d’où la hausse actuelle de ce gaz dans l’atmosphère. Ajoutez à cela la déforestation, responsable de 25% de l’augmentation de CO2 au cours des deux dernières décennies, et tous les ingrédients pour un réchauffement planétaire carabiné se trouvent réunis.
«Dès les années 1970, les scientifiques ont sonné l’alarme sur ce risque, observe Frédéric-Georges Fontaine, mais il a fallu beaucoup de temps avant que leur message ne soit pris au sérieux.» En 1997, l’ampleur du problème a conduit à l’adoption du protocole de Kyoto. Dans l’espoir de stabiliser la concentration des gaz à effet de serre et de prévenir des bouleversements climatiques majeurs, 38 pays industrialisés, dont le Canada, se sont engagés à réduire leurs émissions de CO2 de 5,2% par rapport au niveau de 1990, et ce, d’ici 2012.
Réduire les émissions
L’un des mécanismes mis de l’avant pour atteindre cet objectif est l’adoption de plafonds d’émission de gaz à effet de serre, combinée à la création de bourses du carbone. «Les entreprises pour lesquelles il est peu dispendieux de réduire leurs émissions peuvent dépasser leurs objectifs et récupérer une partie de leurs investissements en vendant des crédits de carbone à celles qui dépassent leur plafond, explique Jean-Thomas Bernard, professeur au Département d’économique. Ce système, qui a déjà fait ses preuves aux États-Unis dans le dossier des pluies acides, permet de respecter les engagements de réduction au plus bas coût possible.» Cette approche de la carotte est également plus simple à appliquer que celle du bâton, ajoute Louis Guay, professeur au Département de sociologie. «L’approche punitive force le gouvernement à traîner les contrevenants devant les tribunaux. C’est long, ardu et coûteux.»
Le 30 mai dernier, le Canada a inauguré sa bourse du carbone –le Marché climatique de Montréal. Mais l’attitude du gouvernement fédéral dans l’ensemble de ce dossier n’en favorise guère le succès. «Le gouvernement tente de lutter contre les changements climatiques sans que le produit national brut en souffre, mais sa politique est plutôt désarticulée», analyse Louis Guay.
Taxer le carbone constitue une solution de rechange intéressante dans le contexte canadien, soutient Jean-Thomas Bernard. Cette taxe, qui s’applique aux produits selon la quantité de carburants fossiles nécessaire à leur fabrication, pousse les consommateurs vers les marchandises les plus écoénergétiques. Contrairement à une bourse du carbone, elle peut être appliquée sans alourdir la machine bureaucratique. Cette taxe présente toutefois deux inconvénients. D’une part, son effet sur les émissions de gaz à effet de serre est imprévisible, ce qui rend incertaine l’atteinte des objectifs de Kyoto. D’autre part, elle frappe à peu près tous les produits. «La taxe sur le carbone, tout comme la bourse du carbone, va forcément avoir un impact sur la rentabilité des entreprises et sur la croissance économique. Ceux qui prétendent le contraire se trompent.»
Séquestrer le carbone
Pour retirer du carbone de la circulation atmosphérique, les pays peuvent aussi miser sur sa séquestration dans des puits naturels. «Les océans et l’écosystème terrestre ont absorbé respectivement 33% et 17% du CO2 d’origine humaine émis depuis 1800, rappelle Maurice Levasseur, professeur au Département de biologie. Le reste est dans l’atmosphère.» L’idée de miser sur des puits pour séquestrer davantage de CO2 est séduisante, mais son application s’avère plus complexe que prévu. Ainsi, des scientifiques ont proposé d’envoyer davantage de carbone dans les fonds marins en fertilisant les océans, notamment avec du fer. L’équation semblait simple: plus de fer, plus de phytoplancton, plus de zooplancton et plus de déchets fécaux riches en carbone par le fond. «En pratique, cette pompe biologique est très peu efficace parce que la biomasse ainsi produite est utilisée par les bactéries qui retournent du CO2 à la surface, explique l’océanographe. Jusqu’à maintenant, seule la dissolution du CO2 dans l’eau a produit des effets à long terme. L’efficacité de cette pompe est toutefois limitée par le taux de mélange des eaux de surface avec les eaux profondes.»
Puisque les arbres se « nourrissent » de dioxyde de carbone, on a aussi cru qu’ils allaient croître davantage –et fixer plus de carbone– dans un environnement riche en CO2. Une étude à laquelle a collaboré Steeve Pépin, du Département des sols et de génie agroalimentaire, a montré que l’enrichissement artificiel en CO2 de l’air d’une forêt, pendant quatre années, n’a eu aucune incidence sur la biomasse des arbres matures et a même provoqué une élévation de la quantité de CO2 émis par les racines et par les microorganismes du sol. «Il faut dresser un bilan complet du carbone absorbé et émis dans tout un écosystème, à différentes étapes de son développement, avant de tirer des conclusions sur son efficacité comme puits de carbone», souligne-t-il.
Les travaux du réseau Fluxnet Canada, dirigé par le professeur Hank Margolis, du Département des sciences du bois et de la forêt, le démontrent clairement. La capture du carbone est maximale lorsqu’une forêt est âgée de 35 à 60 ans. Par la suite, elle se poursuit, quoiqu’à un rythme plus lent, si les conditions sont propices. Après une coupe, la situation s’inverse : en forêt boréale, les sites «coupés» émettent annuellement 1,4 tonne de carbone par hectare, soit plus qu’une automobile moyenne (1 tonne/an). Il faut attendre de 10 à 20 ans avant qu’une jeune forêt fixe plus de carbone qu’elle n’en émet.
Technos coûteuses
Les réductions des gaz à effet de serre pourront également provenir de percées technologiques. Ainsi, au cours des dernières années, Pierre-Mathieu Charest, du Département de phytologie, et Normand Voyer, du Département de chimie, ont travaillé de concert avec l’entreprise CO2 Solution pour mettre au point un système qui utilise une enzyme, l’anhydrase carbonique, pour capter le dioxyde de carbone émis lors d’un procédé industriel. De son côté, Georges Beaudoin, du Département de géologie et de génie géologique, a proposé de tirer parti des résidus des mines d’amiante pour séquestrer du carbone. Le magnésium contenu dans ces résidus réagit naturellement avec le CO2 atmosphérique pour former un minerai dans lequel le carbone est emprisonné pour des millions d’années.
« Il ne manque pas de solutions technologiques pour séquestrer le CO2, mais elles se heurtent toujours au problème de la rentabilité économique », analyse Frédéric-Georges Fontaine. À ce jeu, les dés sont pipés: chaque technologie a un coût, alors que laisser le CO2 dans l’atmosphère ne coûte rien, en apparence du moins. «La lutte aux changements climatiques n’est pas tant un problème scientifique qu’un problème de société qui remet en question les fondements mêmes de notre développement et notre mode de vie. Il se fait un peu tard pour s’en occuper mais, malgré tout, je ne suis pas inquiet pour la planète. C’est l’avenir de l’espèce humaine qui me semble plus incertain.»
***
PETITE HISTOIRE D’UN GAZ ESSENTIEL
Il y a 4,3 milliards d’années, le CO2 constituait 25% de l’air, alors que l’oxygène n’était présent qu’à l’état de traces. L’apparition des premiers organismes vivants, les algues bleu-vert, il y a 3,8 milliards d’années, a changé la donne. Tout comme les plantes, ces organismes utilisent la lumière solaire, l’eau, les minéraux et le CO2 pour synthétiser les molécules essentielles à leur croissance et à leur fonctionnement; au terme de ce processus de photosynthèse, elles rejettent de l’oxygène dans leur milieu. Ce mécanisme a très lentement transformé la composition de l’atmosphère, ce qui a favorisé, 2 milliards d’années plus tard, l’explosion des formes de vie terrestres.
Depuis 300 millions d’années, l’oxygène représente grosso modo 21 % de l’air de la planète. La concentration du CO2, elle, n’est plus que de 0,038%, mais les tendances récentes sont préoccupantes. Jamais depuis 650 000 ans n’y a-t-il eu autant de CO2 dans l’air. La teneur atmosphérique de ce gaz a augmenté de 35 % au cours des trois derniers siècles et l’accroissement s’est accentué durant les dernières décennies. Combinée à l’augmentation des autres gaz à effet de serre, cette hausse fait craindre une poussée de la température terrestre allant jusqu’à 6,4°C au cours du présent siècle.
La mise au point des premières machines à vapeur, capables de convertir en travail mécanique l’énergie emmagasinée dans le charbon, a non seulement marqué le début de la révolution industrielle, mais aussi un point tournant dans la teneur atmosphérique en CO2. Le travail fait jusque-là à bras d’homme pouvait désormais être accompli par une machine à moteur thermique. Même si, par unité d’énergie produite, le travail musculaire génère autant de CO2 que la combustion de carburant fossile, la puissance de travail soudainement accessible à l’humanité a catapulté ses émissions de dioxyde de carbone.
«Lorsque le moteur thermique prolonge le corps, le taux quotidien de production de CO2 de l’humain peut augmenter des dizaines, voire des milliers de fois, constate Jacques Larochelle, professeur et spécialiste de bioénergétique au Département de biologie. Sans les carburants fossiles, la contribution humaine au réchauffement climatique serait vraisemblablement insignifiante.»
Haut de page
Quatrième plus abondant élément dans l’univers, quatorzième sur Terre, le carbone (C) tire son nom du charbon, dont il est le principal constituant. Présent partout autour de nous, il se cache parfois sous des dehors qui le rendent méconnaissable. Dans sa forme pure, il se fait aussi bien diamant transparent et d’une dureté sans pareille que graphite opaque et mou comme la mine d’un crayon. Sa structure atomique lui autorise quatre liaisons et il ne s’en prive pas. Il s’associe volontiers au plus abondant élément de l’univers –l’hydrogène– pour former des carburants qui alimentent les moteurs (sous forme de pétrole ou de gaz naturel) ou les organismes vivants (sous forme d’hydrates de carbone). Lorsqu’un carburant réagit avec l’oxygène, il y a libération d’énergie et formation de nouveaux composés plus stables, notamment du dioxyde de carbone (CO2). C’est là où le bât blesse.
La dose fait le poison
Le CO2 compte parmi les plus importants gaz à effet de serre, une famille de molécules dont les propriétés optiques sont à la source du réchauffement planétaire. « Environ la moitié de la lumière solaire qui entre dans l’atmosphère se rend jusqu’au sol, où son énergie est absorbée puis réémise vers le ciel sous forme de rayonnement infrarouge (chaleur), explique Frédéric-Georges Fontaine, professeur au Département de chimie. Les gaz à effet de serre ont la capacité d’absorber ce rayonnement et de le réémettre dans toutes les directions, y compris vers la Terre, ce qui piège une partie de cette énergie dans l’atmosphère.» Ce phénomène n’est pas négatif en soi: il a même instauré des conditions propices à l’apparition et au maintien de la vie. «Sans effet de serre, la température moyenne de la planète serait de –18°C, plutôt que +15°C», souligne-t-il.
La vapeur d’eau est le principal gaz à effet de serre. On en parle peu, malgré sa contribution relative de 55%, parce que sa concentration est stable et indépendante des activités humaines. Le CO2 vient au deuxième rang, avec 39%, suivi du méthane, de l’oxyde nitreux et des chlorofluorocarbures (CFC). Comme chacun de ces gaz a une capacité d’absorption de chaleur qui lui est propre, son impact climatique est exprimé en équivalent carbone, ce qui fait de cet atome l’étalon de mesure du risque de réchauffement planétaire.
Après avoir constitué environ le quart de l’atmosphère terrestre, le CO2 s’est progressivement raréfié au cours des âges (voir plus bas). Depuis la révolution industrielle toutefois, le recours grandissant aux énergies fossiles a mis en circulation des quantités astronomiques de carbone qui étaient immobilisées dans des puits géologiques depuis des millions d’années. Cet afflux soudain de carbone dépasse la capacité de captage du CO2 par l’environnement, d’où la hausse actuelle de ce gaz dans l’atmosphère. Ajoutez à cela la déforestation, responsable de 25% de l’augmentation de CO2 au cours des deux dernières décennies, et tous les ingrédients pour un réchauffement planétaire carabiné se trouvent réunis.
«Dès les années 1970, les scientifiques ont sonné l’alarme sur ce risque, observe Frédéric-Georges Fontaine, mais il a fallu beaucoup de temps avant que leur message ne soit pris au sérieux.» En 1997, l’ampleur du problème a conduit à l’adoption du protocole de Kyoto. Dans l’espoir de stabiliser la concentration des gaz à effet de serre et de prévenir des bouleversements climatiques majeurs, 38 pays industrialisés, dont le Canada, se sont engagés à réduire leurs émissions de CO2 de 5,2% par rapport au niveau de 1990, et ce, d’ici 2012.
Réduire les émissions
L’un des mécanismes mis de l’avant pour atteindre cet objectif est l’adoption de plafonds d’émission de gaz à effet de serre, combinée à la création de bourses du carbone. «Les entreprises pour lesquelles il est peu dispendieux de réduire leurs émissions peuvent dépasser leurs objectifs et récupérer une partie de leurs investissements en vendant des crédits de carbone à celles qui dépassent leur plafond, explique Jean-Thomas Bernard, professeur au Département d’économique. Ce système, qui a déjà fait ses preuves aux États-Unis dans le dossier des pluies acides, permet de respecter les engagements de réduction au plus bas coût possible.» Cette approche de la carotte est également plus simple à appliquer que celle du bâton, ajoute Louis Guay, professeur au Département de sociologie. «L’approche punitive force le gouvernement à traîner les contrevenants devant les tribunaux. C’est long, ardu et coûteux.»
Le 30 mai dernier, le Canada a inauguré sa bourse du carbone –le Marché climatique de Montréal. Mais l’attitude du gouvernement fédéral dans l’ensemble de ce dossier n’en favorise guère le succès. «Le gouvernement tente de lutter contre les changements climatiques sans que le produit national brut en souffre, mais sa politique est plutôt désarticulée», analyse Louis Guay.
Taxer le carbone constitue une solution de rechange intéressante dans le contexte canadien, soutient Jean-Thomas Bernard. Cette taxe, qui s’applique aux produits selon la quantité de carburants fossiles nécessaire à leur fabrication, pousse les consommateurs vers les marchandises les plus écoénergétiques. Contrairement à une bourse du carbone, elle peut être appliquée sans alourdir la machine bureaucratique. Cette taxe présente toutefois deux inconvénients. D’une part, son effet sur les émissions de gaz à effet de serre est imprévisible, ce qui rend incertaine l’atteinte des objectifs de Kyoto. D’autre part, elle frappe à peu près tous les produits. «La taxe sur le carbone, tout comme la bourse du carbone, va forcément avoir un impact sur la rentabilité des entreprises et sur la croissance économique. Ceux qui prétendent le contraire se trompent.»
Séquestrer le carbone
Pour retirer du carbone de la circulation atmosphérique, les pays peuvent aussi miser sur sa séquestration dans des puits naturels. «Les océans et l’écosystème terrestre ont absorbé respectivement 33% et 17% du CO2 d’origine humaine émis depuis 1800, rappelle Maurice Levasseur, professeur au Département de biologie. Le reste est dans l’atmosphère.» L’idée de miser sur des puits pour séquestrer davantage de CO2 est séduisante, mais son application s’avère plus complexe que prévu. Ainsi, des scientifiques ont proposé d’envoyer davantage de carbone dans les fonds marins en fertilisant les océans, notamment avec du fer. L’équation semblait simple: plus de fer, plus de phytoplancton, plus de zooplancton et plus de déchets fécaux riches en carbone par le fond. «En pratique, cette pompe biologique est très peu efficace parce que la biomasse ainsi produite est utilisée par les bactéries qui retournent du CO2 à la surface, explique l’océanographe. Jusqu’à maintenant, seule la dissolution du CO2 dans l’eau a produit des effets à long terme. L’efficacité de cette pompe est toutefois limitée par le taux de mélange des eaux de surface avec les eaux profondes.»
Puisque les arbres se « nourrissent » de dioxyde de carbone, on a aussi cru qu’ils allaient croître davantage –et fixer plus de carbone– dans un environnement riche en CO2. Une étude à laquelle a collaboré Steeve Pépin, du Département des sols et de génie agroalimentaire, a montré que l’enrichissement artificiel en CO2 de l’air d’une forêt, pendant quatre années, n’a eu aucune incidence sur la biomasse des arbres matures et a même provoqué une élévation de la quantité de CO2 émis par les racines et par les microorganismes du sol. «Il faut dresser un bilan complet du carbone absorbé et émis dans tout un écosystème, à différentes étapes de son développement, avant de tirer des conclusions sur son efficacité comme puits de carbone», souligne-t-il.
Les travaux du réseau Fluxnet Canada, dirigé par le professeur Hank Margolis, du Département des sciences du bois et de la forêt, le démontrent clairement. La capture du carbone est maximale lorsqu’une forêt est âgée de 35 à 60 ans. Par la suite, elle se poursuit, quoiqu’à un rythme plus lent, si les conditions sont propices. Après une coupe, la situation s’inverse : en forêt boréale, les sites «coupés» émettent annuellement 1,4 tonne de carbone par hectare, soit plus qu’une automobile moyenne (1 tonne/an). Il faut attendre de 10 à 20 ans avant qu’une jeune forêt fixe plus de carbone qu’elle n’en émet.
Technos coûteuses
Les réductions des gaz à effet de serre pourront également provenir de percées technologiques. Ainsi, au cours des dernières années, Pierre-Mathieu Charest, du Département de phytologie, et Normand Voyer, du Département de chimie, ont travaillé de concert avec l’entreprise CO2 Solution pour mettre au point un système qui utilise une enzyme, l’anhydrase carbonique, pour capter le dioxyde de carbone émis lors d’un procédé industriel. De son côté, Georges Beaudoin, du Département de géologie et de génie géologique, a proposé de tirer parti des résidus des mines d’amiante pour séquestrer du carbone. Le magnésium contenu dans ces résidus réagit naturellement avec le CO2 atmosphérique pour former un minerai dans lequel le carbone est emprisonné pour des millions d’années.
« Il ne manque pas de solutions technologiques pour séquestrer le CO2, mais elles se heurtent toujours au problème de la rentabilité économique », analyse Frédéric-Georges Fontaine. À ce jeu, les dés sont pipés: chaque technologie a un coût, alors que laisser le CO2 dans l’atmosphère ne coûte rien, en apparence du moins. «La lutte aux changements climatiques n’est pas tant un problème scientifique qu’un problème de société qui remet en question les fondements mêmes de notre développement et notre mode de vie. Il se fait un peu tard pour s’en occuper mais, malgré tout, je ne suis pas inquiet pour la planète. C’est l’avenir de l’espèce humaine qui me semble plus incertain.»
***
PETITE HISTOIRE D’UN GAZ ESSENTIEL
Il y a 4,3 milliards d’années, le CO2 constituait 25% de l’air, alors que l’oxygène n’était présent qu’à l’état de traces. L’apparition des premiers organismes vivants, les algues bleu-vert, il y a 3,8 milliards d’années, a changé la donne. Tout comme les plantes, ces organismes utilisent la lumière solaire, l’eau, les minéraux et le CO2 pour synthétiser les molécules essentielles à leur croissance et à leur fonctionnement; au terme de ce processus de photosynthèse, elles rejettent de l’oxygène dans leur milieu. Ce mécanisme a très lentement transformé la composition de l’atmosphère, ce qui a favorisé, 2 milliards d’années plus tard, l’explosion des formes de vie terrestres.
Depuis 300 millions d’années, l’oxygène représente grosso modo 21 % de l’air de la planète. La concentration du CO2, elle, n’est plus que de 0,038%, mais les tendances récentes sont préoccupantes. Jamais depuis 650 000 ans n’y a-t-il eu autant de CO2 dans l’air. La teneur atmosphérique de ce gaz a augmenté de 35 % au cours des trois derniers siècles et l’accroissement s’est accentué durant les dernières décennies. Combinée à l’augmentation des autres gaz à effet de serre, cette hausse fait craindre une poussée de la température terrestre allant jusqu’à 6,4°C au cours du présent siècle.
La mise au point des premières machines à vapeur, capables de convertir en travail mécanique l’énergie emmagasinée dans le charbon, a non seulement marqué le début de la révolution industrielle, mais aussi un point tournant dans la teneur atmosphérique en CO2. Le travail fait jusque-là à bras d’homme pouvait désormais être accompli par une machine à moteur thermique. Même si, par unité d’énergie produite, le travail musculaire génère autant de CO2 que la combustion de carburant fossile, la puissance de travail soudainement accessible à l’humanité a catapulté ses émissions de dioxyde de carbone.
«Lorsque le moteur thermique prolonge le corps, le taux quotidien de production de CO2 de l’humain peut augmenter des dizaines, voire des milliers de fois, constate Jacques Larochelle, professeur et spécialiste de bioénergétique au Département de biologie. Sans les carburants fossiles, la contribution humaine au réchauffement climatique serait vraisemblablement insignifiante.»
Haut de page
- Aucun commentaire pour le moment.