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Automne 2008

Les entreprises passent-elles aux actes?

Après le discours vert, doivent venir les principes de gestion responsable et les mesures d'éco-contrôle.

Je suis verte, tu es verte, nous sommes vertes! Depuis une vingtaine d’années, les entreprises optent de plus en plus pour le vert en trame de fond de leur image publique. «Cela coïncide avec la montée d’un certain sentiment d’urgence face aux problèmes environnementaux», note June Marchand, professeure de marketing social au Département d’information et de communication.

C’est maintenant à qui publicisera la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, financera l’aménagement d’un parc urbain ou plantera des arbres devant l’usine. Simple discours séducteur ou véritable prise de conscience de la part des dirigeants d’entreprises? Le public doit-il se fier à la bonne volonté des compagnies, par exemple en faisant confiance aux mesures volontaires pour réduire les impacts environnementaux de leurs activités? Ou doit-il faire pression pour l’imposition de règlements assortis de sanctions rigoureuses?
 
La réponse est à l’image des problèmes environnementaux: toute en nuances. D’autant plus que l’évaluation du dossier environnemental d’une organisation n’est pas simple. Elle requiert, entre autres, la mise en place de normes précises, un éco-contrôle fiable, permettant au minimum de comparer les entreprises d’un même secteur.

Au moins une chose est simple et certaine: les entreprises ont intérêt à ne pas trop beurrer la tartine. «Au début des années 1990, note June Marchand, la population avait tendance à être un peu plus crédule, à accepter ce que les industriels disaient. Depuis, les gens sont devenus plus sceptiques face à ces propos.»
 
Les doubles discours se dégonflent rapidement sous l’action d’un esprit critique aiguisé, notamment par des groupes environnementaux et avec la circulation rapide de l’information à l’heure de l’Internet. «L’entreprise doit être cohérente dans son discours et dans ses actions», prévient June Marchand. Ainsi, personne n’est dupe devant un message publicitaire montrant un véhicule utilitaire sport, le toujours assoiffé VUS, sauver la vie d’un phoque dans le Grand Nord canadien. «Les gens sont plus éveillés, plus attentifs, plus conscients», croit June Marchand, qui estime d’ailleurs que l’obligation de cohérence est aussi valable pour les organismes à but non lucratif.

Côté jardin, côté cour
Mirage ou réalité, le virage vert des entreprises ? Professeur au Département de management, Olivier Boiral demeure prudent. D’entrée de jeu, il distingue le côté jardin et le côté cour.

Lié à la légitimité sociale de l’entreprise, le jardin regorge de ce que les dirigeants veulent bien dire et laisser entendre, autant au grand public qu’aux chercheurs qui tentent de cerner le phénomène. «Évidemment, aucun dirigeant ne dira que l’environnement n’est pas important», lance le titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les normes internationales de gestion et les affaires environnementales.

Derrière cette image publique, il y a la cour, dont l’état varie énormément d’une entreprise à l’autre. «C’est là qu’on voit comment la dimension environnementale est vraiment prise en compte par l’entreprise, qu’on réalise ce qu’elle fait à long terme», explique Olivier Boiral.

Aujourd’hui, la pression du public est telle que les compagnies n’ont plus le choix de faire le ménage de leur cour, quitte, pour les moins bonnes citoyennes, à dissimuler le tout dans le cabanon. «C’est la première fois dans l’histoire du marketing que la demande précède l’offre, note June Marchand. Les gens veulent des produits verts qui leur permettent de poser des gestes en faveur de l’environnement, mais sans trop changer leurs habitudes.»

«Une organisation ne peut rester insensible et immobile dans ce contexte, remarque Jean-François Henri, professeur à l’École de comptabilité. La nécessité d’agir est bien là. La conviction, elle, peut y être ou non.» Le volet économique est évidemment une bonne façon de motiver les industries à se préoccuper d’environnement. «Les entreprises qui sont en avance sur les autres acquièrent ainsi un avantage concurrentiel, au moins pour certains créneaux de marché, poursuit-il. Elles peuvent aussi accroître leur visibilité, autant auprès des consommateurs que des investisseurs.»

Longtemps associés à une dépense, les investissements en faveur de l’environnement sont maintenant perçus comme rentables, ce qui constitue un bel incitatif pour les entreprises. Tout ramener à la rentabilité inquiète toutefois Olivier Boiral. «Il y a des problèmes environnementaux qu’il faut régler et qui ne rapporteront rien à la compagnie, hormis peut-être l’amélioration de son image publique», dit-il.

À la recherche de l’étalon vert
Le virage serait donc davantage dicté par la nécessité que par les convictions. Encore faut-il être en mesure de bien mesurer ce changement de cap. Olivier Boiral y voit un des défis de l’heure: comment mesurer la performance d’une entreprise en matière de développement durable? Comment établir des indicateurs fiables qui permettraient de comparer les entreprises entre elles? La tâche est ardue ne serait-ce qu’en raison de la grande diversité des secteurs industriels.

Jean-François Henri s’intéresse à l’intégration de la dimension environnementale dans la gestion de l’entreprise. «En termes de gouvernance, explique-t-il, un des rôles premiers d’un conseil d’administration d’une société est de gérer les risques, de ne pas exposer inutilement l’organisation. Une des façons de faire est d’intégrer les préoccupations environnementales dans les pratiques de gestion quotidiennes et dans les systèmes de contrôle de l’entreprise. On entre ici dans le concept de l’éco-contrôle selon lequel l’entreprise a la volonté de faire du développement durable quelque chose de concret dans le quotidien et non seulement un vœu pieux ou un discours.»

L’éco-contrôle implique l’introduction d’indicateurs financiers et non financiers liés à l’environnement ainsi que la création de postes budgétaires dédiés à des aspects environnementaux. L’entreprise doit également établir des critères de performance à saveur environnementale pour évaluer le rendement des employés. La planification stratégique devrait aussi comporter des objectifs précis en matière d’environnement (réduction des gaz à effet de serre, diminution du gaspillage, etc.) «Tous ces moyens mis ensemble constituent un signal très fort envoyé à tous les employés, qui peuvent alors se mobiliser», fait valoir Jean-François Henri.

Malheureusement, s’il existe des normes et des principes comptables généralement reconnus pour la divulgation des résultats financiers, c’est le néant quasi total pour ce qui est de l’information liée à l’environnement, au Québec comme ailleurs. «La divulgation de cette information est facultative et, pour l’instant, il n’y a pas de normes reconnues», déplore Jean-François Henri. Il y a plusieurs contraintes à la mise en place de telles normes, notamment les différences entre les industries. «Il est très difficile de concevoir un cadre commun; le tout demeure variable et souvent nébuleux», ajoute-t-il.

Il existe bien des normes liées à des certifications environnementales, dont ISO 14001, mais elles reposent sur la mise en place de pratiques et de politiques davantage que sur des indicateurs précis. «Il s’agit de bons principes de gestion, remarque Olivier Boiral. Toutefois, mes études montrent que les résultats concrets sont proportionnels à l’engagement de la direction de l’entreprise à traduire ces principes en actions, ce qui inclut la formation des employés.»

Volonté ou réglementation?
Pour encourager les entreprises à prendre un virage vert bien réel, les gouvernements évitent la réglementation à outrance. Ils optent plutôt pour une approche de partenariat fondée sur l’accord volontaire. Un gouvernement conclut ce genre d’entente avec les industries d’un secteur au sujet d’un problème précis comme les gaz à effet de serre ou encore le rejet d’eaux usées, pour ne donner que deux exemples. L’accord est dit volontaire parce que les entreprises sont libres d’y adhérer ou non.

«Les accords volontaires ne marchent pas», lance Olivier Boiral, auteur d’un ouvrage intitulé Environnement et gestion, De la prévention à la mobilisation, publié en 2007. Selon lui, seule une réglementation rigoureusement appliquée pourrait avoir un effet à long terme. «Encore faudrait-il que les gouvernements aient les moyens de cette application, ce qui n’est présentement pas le cas», déplore-t-il.

Professeur au Département d’économique, Patrick González a étudié quelques cas d’accords volontaires. «Je ne compterais certainement pas là-dessus pour obtenir des résultats à long terme, mentionne-t-il. La dimension cœrcitive qu’apporte une réglementation est nécessaire.»

Toutefois, l’économiste voit dans ces partenariats une démarche préliminaire essentielle. «L’accord volontaire est comme une réglementation soft, mais c’est surtout une période d’expérimentation, explique-t-il. L’État se trouve devant un problème et ne sait pas trop quoi faire. Alors, plutôt que de se couler les pieds dans le ciment avec une réglementation mal ficelée, il prend cette voie moins rigide. Les résultats sont souvent plus ou moins significatifs à court terme, mais l’État apprend beaucoup.»

L’accord volontaire devient donc une période d’apprentissage et de rodage qui permet de mieux connaître le terrain en vue de mettre en place une réglementation comportant des cibles réalistes. «Ce sont les gens de l’industrie qui connaissent le mieux les procédés employés, explique Patrick González. Par la suite, ce sont aussi les entreprises elles-mêmes qui vont la plupart du temps se contrôler, car il est impensable que le gouvernement puisse exercer une parfaite surveillance. Les entreprises peuvent aussi prendre les devants pour mettre en place un accord volontaire, ce qui est une façon d’affirmer qu’elles peuvent s’occuper elles-mêmes du problème et qu’une réglementation n’est pas nécessaire.»

Patrick González croit que l’entreprise, comme entité, aura toujours tendance à se conformer dans la mesure où la direction est claire. «Il y a une volonté des compagnies à bien s’intégrer dans le paysage institutionnel, précise-t-il. La conformité est très importante pour elles.»

Les entreprises et les gens qui les animent, employés et gestionnaires, ne sont pas déconnectés de la réalité. «On a tendance à oublier que les dirigeants sont aussi des citoyens», note Olivier Boiral qui croit que l’élément-clé est la bonne foi des personnes et leur volonté de faire des choses pour l’environnement. «Les gens sont souvent prêts à s’investir parce que cela touche leur fibre citoyenne», croit-il.

Finalement, le virage vert serait donc une affaire de conviction, et non seulement de nécessité (pression publique et cadre législatif). Olivier Boiral a justement créé un programme de deuxième cycle en responsabilité sociale et environnementale des organisations parce qu’il croit que cette conviction peut gagner progressivement tous les gestionnaires. «Ce sont eux qui prennent les décisions!» Or, constate-t-il, les gestionnaires sont habituellement formés à l’idée que l’environnement est avant tout concurrentiel, stratégique, politique, économique. Tout sauf écologique ou naturel. «Il est important d’intégrer la notion d’environnement naturel dans la formation des gestionnaires, comme dans toute formation d’ailleurs», conclut-il. Alors, peut-être, la conviction des dirigeants viendra-t-elle nourrir la nécessité d’effectuer un virage au vert plus prononcé.

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Lisez le témoignage de trois diplômés sur la façon dont on applique les principes de développement durable dans trois régions du monde où ils habitent: Grande-Bretagne, États-Unis et Asie.
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