Profil d’un diplômé: Benoît Robert
Depuis 15 ans, le créateur de Communauto concilie économie, environnement et valeurs humanistes.
Par Danielle Ouellet
Avec sa vision de l’environnement bien ancrée dans la réalité économique, Benoît Robert (Aménagement du territoire 2006) a réussi une première en Amérique du Nord: rentabiliser un service de partage d’autos. Il a positionné l’automobile, haut symbole de pollution, comme une solution économique et écologique aux problèmes que pose le recours incessant à l’automobile personnelle dans les grandes villes. Tout en créant une nouvelle niche dans l’univers du transport urbain, il a poursuivi des études de deuxième cycle à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional de l’Université Laval. Une analyse critique de son entreprise innovatrice lui a permis d’obtenir son diplôme de maîtrise. En 2007, moins de 15 ans après sa création, Communauto était au nombre des 20 entreprises québécoises ayant connu la plus forte croissance.
Rallier deux univers
Humaniste dans l’âme et scientifique de formation, Benoît Robert a toujours eu le goût de la sociologie, de la psychologie et de la littérature. Mais ses parents, tous deux enseignants au secondaire, l’influencent. «Les sciences, disaient-ils, allaient m’ouvrir plus de portes.» Après un an de cégep en sciences de la santé, malgré d’excellents résultats, il s’ennuie. Une affiche au local d’orientation le convainc de se rendre en Alberta à la Faculté Saint-Jean où il s’inscrit en éducation. «L’occasion était belle de quitter Saint-Bruno pour découvrir autre chose. J’ai choisi des cours qui me plaisaient: anthropologie, plein air, survie en forêt. Et j’ai appris l’anglais.» Paradoxalement, ce séjour à Edmonton lui fait découvrir Montréal. «Lorsque je revenais au Québec avec des amis, nous sortions “en ville”, et j’ai réalisé qu’Edmonton était un grand Saint-Bruno. J’ai ensuite complété un baccalauréat en biologie à Montréal mais, à l’occasion, je retournais dans l’Ouest, planter des arbres. Les Rocheuses, c’est dur à battre!»
Benoît Robert a beau être pro-vélo et pro-piéton, il lui faut un véhicule pour faire de la randonnée pédestre, du canot-camping ou du ski de fond. C’est ce qui l’amène à explorer l’idée du partage d’autos, un service de location qui rendrait des automobiles disponibles 24 heures sur 24, pour de courtes périodes. Avec cette idée en tête, il entreprend en 1994 des études de maîtrise à l’Université Laval, sous la direction de Martin Lee-Gosselin. Ce professeur de l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional reconnaît en lui, avec ravissement, «un esprit intégrateur exceptionnel . L’étudiant cherche un angle d’attaque pour son projet de maîtrise et constate que, au cours des dernières décennies, presque toutes les tentatives d’autopartage en Europe et aux États-Unis ont échoué. Mais un projet allemand retient son attention. Il se met à l’étude de la langue et parle ainsi directement aux spécialistes de Berlin, suscitant au passage l’admiration accrue de son directeur de maîtrise.
Benoît Robert découvre l’économie et les économistes. «C’est alors que mes préjugés concernant l’étanchéité de ces deux mondes –environnement et économie– sont tombés, rapporte-t-il. J’ai compris qu’il ne faut pas confondre sciences économiques avec intérêts économiques. Il est possible d’utiliser les lois de l’économie pour les mettre au service de l’environnement: c’est ce que plusieurs économistes s’employaient à réaliser. Certains étaient même d’ardents défenseurs de l’environnement.» Très sensible à l’environnement, Benoît Robert n’aime pas pour autant qu’on lui fasse la morale. «On peut utiliser la logique économique pour faire des choix gagnants.»
En 1994, il lance une coopérative à Québec et, bientôt, une quinzaine de personnes se partagent trois véhicules. En plus de sa conjointe de l’époque, il s’associe avec Claire Morissette, écologiste reconnue dans le monde du vélo et fondatrice de Vélo Nord-Sud. Cette caution morale permet d’étouffer les critiques dans l’œuf. «Il n’était pas facile pour tous de concilier le monde de l’automobile avec celui de l’environnement. Pour certains écologistes purs et durs, nous flirtions avec le diable!» Les arguments environnementaux en faveur du partage d’autos sont pourtant légion: réduction du nombre de véhicules circulant en ville, économie de l’énergie nécessaire à la fabrication d’une auto, incitation à utiliser l’automobile de façon rationnelle et en complément de modes de transport plus écolo (bus, vélo et marche), etc. Après un certain temps, la coop se transforme en entreprise traditionnelle, dont Benoît Robert devient l’unique propriétaire. «J’ai réalisé que les membres utilisaient les voitures comme un service et qu’ils ne s’impliqueraient pas dans leur coop.»
Gérer la croissance
Communauto dessert aujourd’hui quelque 15 000 usagers à partir de 250 points de services à Montréal, Québec, Sherbrooke et Gatineau. Près de 80% de la flotte de 750 automobiles se trouve dans la métropole. Entre 2001 et 2006, le taux de croissance de l’entreprise a été de 332%: de quoi confondre les sceptiques. L’enthousiasme de Benoît Robert est toujours palpable. Il raconte avec plaisir son implication à tous les niveaux de l’entreprise: il écrit même les textes de son site Internet. Les curieux y noteront l’influence de ce diplômé universitaire dans les sections qui offrent de précieuses références sur l’histoire et sur l’évolution du concept de partage d’autos.
Les défis qui se posent à l’entreprise sont nombreux. «Il a fallu 11 ans, jusqu’en 2005, pour conclure une première entente avec une société de transport au Québec afin d’instaurer un tarification conjointe autobus-autopartage. Un tel partenariat existait pourtant à Berlin depuis 1992!» Changer les mentalités prend du temps, mais c’est possible. «Aujourd’hui, constate-t-il, Communauto fait partie du décor.»
Démonstration éloquente de la justesse de vue de Benoît Robert: l’augmentation dramatique des prix du pétrole. Ce qui lui crée certains problèmes au passage. «Comme nous devons fixer les prix de location à l’avance, les fluctuations sont très difficiles à gérer.» Mais la situation a certainement un impact positif, car l’entreprise grossit rapidement à l’heure actuelle. «Notre gros défi est de gérer la croissance. Nous devons recruter des employés compétents et les retenir, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. Nous avons besoin de gens d’expérience et les têtes grises sont les bienvenues. Je dois m’entourer de personnes qui ont le talent et le goût de s’impliquer.»
L’embauche d’un directeur des ressources humaines, en 2007, reflète la tendance. «À moyen terme, je vise les 400 000 usagers au Québec. J’ai besoin d’être bien appuyé.» Le président-directeur général de Communauto ne ménage pas les efforts pour créer un environnement de travail stimulant et agréable pour la soixantaine d’employés de l’entreprise. «Je tente de transmettre mes valeurs humanistes aux employés et de gérer en bon père de famille. C’est important pour moi.» Il a installé les bureaux au centre-ville de Montréal, près des principales lignes de métro, d’autobus et de train. Benoît Robert donne l’exemple en utilisant lui-même le train de banlieu à partir de Saint-Bruno où il vient tout juste d’emménager avec sa famille après trois années à Rosemont. Le papa de Théo, né il y a huit ans au Viet Nam, et d’Adèle, six ans, originaire de Chine, apprécie ce retour aux sources. «La proximité du mont Saint-Bruno ajoute à la qualité de vie.»
Sur les traces d’un pionnier
Dès 1994, un reportage de la CBC sur l’entreprise naissante a déclenché une avalanche de demandes d’information en provenance de Toronto, Ottawa, Boston, Vancouver, Seattle, Portland. Benoît Robert écarte alors la possibilité de franchises au profit de la collaboration. «Développez votre entreprise, et nous vous aiderons», leur répond-il. Aujourd’hui, il existe une véritable industrie de l’autopartage, dont les membres provenant d’Europe et d’Amérique du Nord se réunissent deux fois par année. Le concept se retrouve dans quelque 200 entreprises situées dans 650 villes, principalement en Allemagne, en Suisse, en Hollande, en Autriche et aux États-Unis.
«Dès le départ, Benoît Robert était conscient que la réduction de la dépendance à l’automobile ne passait pas par la polémique, mais par une utilisation plus efficace, rappelle M. Lee-Gosselin. Lors de la crise du pétrole des années 1970, la conjoncture politique était favorable à des entreprises du genre, mais les projets ont échoué. Benoît a réussi dans des conditions beaucoup moins favorables. Il était curieux, visionnaire et persévérant.»
De plus en plus d’universitaires étudient le phénomène du partage d’autos, surtout sous l’angle du comportement des usagers. Un étudiant au doctorat de l’Imperial College de Londres se penche spécifiquement sur le cas de Montréal et de Communauto. Beau retour des choses!
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