Solution Oméga-3
Et si les oméga-3 étaient vraiment la panacée tant attendue du corps et de l'esprit?
Par Jean Hamann
Après avoir terminé la lecture de tous les rapports d’autopsies pratiquées pendant une période de quatre ans chez les Inuits du Groenland, Éric Dewailly, professeur au Département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval et chercheur à l’Institut national de santé publique, a dû se rendre à l’évidence: les cancers de la prostate sont presque inexistants dans cette population.
«Non seulement la mortalité due au cancer de la prostate est quatre à cinq fois plus faible qu’ailleurs, mais nous n’avons observé aucune tumeur latente alors qu’on en trouve chez 30% à 40% des hommes des autres populations», a constaté avec étonnement le professeur de la Faculté de médecine. Le seul rapport d’autopsie qui faisait état d’une tumeur maligne à la prostate renfermait une autre surprise: le taux d’oméga-3 du décédé était deux fois plus faible que la moyenne.
Voilà un autre élément de preuve à verser au dossier des fameux acides gras oméga-3, devenus les molécules de l’heure en matière de nutrition. Au cours des derniers mois, des chercheurs de l’Université Laval, qui ont entrepris de départager l’œuvre de la nature et la part du marketing dans l’engouement pour ces composés miracles, ont tiré des conclusions tout aussi probantes. Les oméga-3 détiendraient notamment la clé du paradoxe inuit.
En dépit de leur très haut taux de tabagisme, de leur alimentation riche en graisses animales et de l’obésité galopante qui touche près de la moitié de leur population, les Inuits sont deux fois moins touchés que les autres Québécois par les maladies cardiovasculaires. Les chercheurs Éric Dewailly, Carole Blanchet, Suzanne Gingras et Simone Lemieux ont découvert pourquoi en comparant l’alimentation des Inuits à celle des Québécois du sud de la province: ces derniers consomment 10 fois moins de poisson.
«L’alimentation traditionnelle inuite, composée de mammifères marins et de poisson, constitue une démonstration, sur le terrain, des bénéfices des oméga-3 pour la santé, résume Éric Dewailly. Ces acides gras agissent comme un vaccin contre les maladies cardiaques, un vaccin dont les effets sont éphémères de sorte qu’il faut régulièrement renouveler la dose.»
L’esprit sain
Les effets préventifs des oméga-3 ne se limitent pas à la prostate et au cœur. On leur connaissait déjà des vertus pour prévenir la dépression et voilà qu’une équipe de recherche, dont fait partie Pierre Julien, professeur à la Faculté de médecine, vient de prouver que les victimes d’accident cardiaque qui gardent un bon moral après leur maladie présentent des taux d’oméga-3 presque 10% plus élevés que ceux qui sombrent dans une dépression majeure après leur sortie d’hôpital.
En septembre, un jeune professeur de la Faculté de pharmacie, Frédéric Calon, faisait la démonstration qu’un régime alimentaire faible en oméga-3 risque d’amplifier les symptômes de la maladie d’Alzheimer. En utilisant des souris qui expriment un des gènes humains responsables de cette maladie, il a découvert qu’une faible concentration en DHA, un acide gras oméga-3, dans la ration des souris accentuait l’expression des symptômes de l’Alzheimer.
«Des études épidémiologiques antérieures avaient signalé que les populations humaines qui consomment beaucoup d’oméga-3 ont une plus faible incidence de cette maladie. Notre étude vient établir un lien de cause à effet dans cette relation», commente-t-il.
Comme le corps humain est incapable de synthétiser des oméga-3, ils doivent forcément provenir de notre alimentation. Les premiers humains, qui vivaient autour des grands lacs africains, mangeaient poissons et crustacés en abondance, ce qui leur assurait un généreux apport en oméga-3. «Aujourd’hui, notre alimentation renferme de10 à 20 fois plus d’oméga-6 [présents dans les huiles végétales et dans les gras animaux] que d’oméga-3», constate le psychiatre David Servan-Schreiber (Médecine 1984), dont le best-seller Guérir a fortement contribué au phénomène oméga-3.
«Lorsqu’il y a carence d’oméga-3, l’organisme les remplace par des oméga-6, mais ces derniers induisent des réponses inflammatoires un peu partout dans le corps», signale-t-il. Les maladies cardiovasculaires, l’arthrite, l’Alzheimer, certains cancers, la dépression et les troubles bipolaires découleraient de la réaction provoquée par cette substitution d’acides gras.
Aliments miracles ou mirages?
De là à penser que les oméga-3 représentent la solution aux grands maux contemporains du corps et de l’esprit, il n’y a qu’un pas que beaucoup de personnes ont franchi, si on en juge par la montée en flèche des ventes de gélules d’huile de poisson.
Pourtant, avant les oméga-3, d’autres aliments miracles, qui promettaient santé et bonheur, se sont avérés des aliments mirages. Si le haut de la longue liste des nourritures terrestres auxquelles le genre humain a prêté des pouvoirs régénérateurs est occupé par des aliments qui ont fait leurs preuves au fil des siècles, le bas, lui, regroupe un amalgame éclectique de vitamines, de suppléments alimentaires et d’extraits de plantes aux mérites discutables.
«Chaque époque a eu ses aliments thérapeutiques, mais les plus récents s’en distinguent parce que ce ne sont pas des aliments mais des produits découplés de la nature», analyse Serge Genest, professeur au Département d’anthropologie.
Sans porter de jugement sur la valeur des gélules d’oméga-3, ce spécialiste de l’anthropologie de la santé explique leur succès par le fait qu’«elles représentent la réponse technique et instantanée de notre société scientiste aux problèmes techniques du corps machine. La publicité se charge de redonner une valeur symbolique à ces produits en faisant croire qu’ils renferment la puissance de la nature en condensé».
Dans ce contexte, il est difficile pour les gens stressés, anxieux, déprimés et portés sur la malbouffe de ne pas considérer ces gélules comme une potion magique. «Il est illusoire de croire que les oméga-3 peuvent nous apporter la santé et le bonheur, prévient David Servan-Schreiber. Une alimentation équilibrée est importante, mais il faut aussi travailler sur tous les aspects de notre vie qui font obstacle à notre bien-être.»
Changement de régime
Malgré cette mise en garde, David Servan-Schreiber persiste et signe: la déficience en oméga-3 est la dernière grande carence alimentaire du XXe siècle. «Elle s’est accentuée depuis 50 ans avec l’intensification du recours au maïs et au soya (riches en oméga-6 et pauvres en oméga-3) dans l’alimentation des animaux d’élevage.
Cependant, nous ne sommes pas condamnés aux gélules d’huile de poisson jusqu’à la fin des temps. «Pour rétablir l’équilibre, il suffirait de modifier l’alimentation des animaux dont nous nous nourrissons», propose-t-il.
Le professeur Yvan Chouinard, du Département des sciences animales, a prouvé que cette solution tenait la route sur le plancher des vaches. Le chercheur a démontré qu’en ajoutant 2 kilos de graines de lin (une bonne source végétale d’oméga-3) à la ration quotidienne d’un troupeau de vaches, il arrivait à doubler la concentration d’acide linolénique oméga-3 contenu dans leur lait.
Selon David Servan-Schreiber, il suffirait que 5% de la nourriture des bœufs, veaux, vaches, cochons et couvées soit constituée de graines de lin pour rétablir l’équilibre de la chaîne alimentaire en oméga-3 et les résultats sur la santé des populations humaines seraient spectaculaires. On pourrait espérer une diminution de 50% des maladies cardiovasculaires et autant sinon plus pour les troubles de l’humeur.
«On a tardé à identifier la carence en oméga-3 parce que c’est un déficit relativement récent, qui tue très lentement, sur une période aussi longue que 25 ans. Maintenant qu’elle a été mise en évidence, il me semble que les gouvernements ont l’obligation de corriger la situation en réglementant l’alimentation des animaux d’élevage, estime-t-il. C’est une question de santé publique!»
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«Non seulement la mortalité due au cancer de la prostate est quatre à cinq fois plus faible qu’ailleurs, mais nous n’avons observé aucune tumeur latente alors qu’on en trouve chez 30% à 40% des hommes des autres populations», a constaté avec étonnement le professeur de la Faculté de médecine. Le seul rapport d’autopsie qui faisait état d’une tumeur maligne à la prostate renfermait une autre surprise: le taux d’oméga-3 du décédé était deux fois plus faible que la moyenne.
Voilà un autre élément de preuve à verser au dossier des fameux acides gras oméga-3, devenus les molécules de l’heure en matière de nutrition. Au cours des derniers mois, des chercheurs de l’Université Laval, qui ont entrepris de départager l’œuvre de la nature et la part du marketing dans l’engouement pour ces composés miracles, ont tiré des conclusions tout aussi probantes. Les oméga-3 détiendraient notamment la clé du paradoxe inuit.
En dépit de leur très haut taux de tabagisme, de leur alimentation riche en graisses animales et de l’obésité galopante qui touche près de la moitié de leur population, les Inuits sont deux fois moins touchés que les autres Québécois par les maladies cardiovasculaires. Les chercheurs Éric Dewailly, Carole Blanchet, Suzanne Gingras et Simone Lemieux ont découvert pourquoi en comparant l’alimentation des Inuits à celle des Québécois du sud de la province: ces derniers consomment 10 fois moins de poisson.
«L’alimentation traditionnelle inuite, composée de mammifères marins et de poisson, constitue une démonstration, sur le terrain, des bénéfices des oméga-3 pour la santé, résume Éric Dewailly. Ces acides gras agissent comme un vaccin contre les maladies cardiaques, un vaccin dont les effets sont éphémères de sorte qu’il faut régulièrement renouveler la dose.»
L’esprit sain
Les effets préventifs des oméga-3 ne se limitent pas à la prostate et au cœur. On leur connaissait déjà des vertus pour prévenir la dépression et voilà qu’une équipe de recherche, dont fait partie Pierre Julien, professeur à la Faculté de médecine, vient de prouver que les victimes d’accident cardiaque qui gardent un bon moral après leur maladie présentent des taux d’oméga-3 presque 10% plus élevés que ceux qui sombrent dans une dépression majeure après leur sortie d’hôpital.
En septembre, un jeune professeur de la Faculté de pharmacie, Frédéric Calon, faisait la démonstration qu’un régime alimentaire faible en oméga-3 risque d’amplifier les symptômes de la maladie d’Alzheimer. En utilisant des souris qui expriment un des gènes humains responsables de cette maladie, il a découvert qu’une faible concentration en DHA, un acide gras oméga-3, dans la ration des souris accentuait l’expression des symptômes de l’Alzheimer.
«Des études épidémiologiques antérieures avaient signalé que les populations humaines qui consomment beaucoup d’oméga-3 ont une plus faible incidence de cette maladie. Notre étude vient établir un lien de cause à effet dans cette relation», commente-t-il.
Comme le corps humain est incapable de synthétiser des oméga-3, ils doivent forcément provenir de notre alimentation. Les premiers humains, qui vivaient autour des grands lacs africains, mangeaient poissons et crustacés en abondance, ce qui leur assurait un généreux apport en oméga-3. «Aujourd’hui, notre alimentation renferme de10 à 20 fois plus d’oméga-6 [présents dans les huiles végétales et dans les gras animaux] que d’oméga-3», constate le psychiatre David Servan-Schreiber (Médecine 1984), dont le best-seller Guérir a fortement contribué au phénomène oméga-3.
«Lorsqu’il y a carence d’oméga-3, l’organisme les remplace par des oméga-6, mais ces derniers induisent des réponses inflammatoires un peu partout dans le corps», signale-t-il. Les maladies cardiovasculaires, l’arthrite, l’Alzheimer, certains cancers, la dépression et les troubles bipolaires découleraient de la réaction provoquée par cette substitution d’acides gras.
Aliments miracles ou mirages?
De là à penser que les oméga-3 représentent la solution aux grands maux contemporains du corps et de l’esprit, il n’y a qu’un pas que beaucoup de personnes ont franchi, si on en juge par la montée en flèche des ventes de gélules d’huile de poisson.
Pourtant, avant les oméga-3, d’autres aliments miracles, qui promettaient santé et bonheur, se sont avérés des aliments mirages. Si le haut de la longue liste des nourritures terrestres auxquelles le genre humain a prêté des pouvoirs régénérateurs est occupé par des aliments qui ont fait leurs preuves au fil des siècles, le bas, lui, regroupe un amalgame éclectique de vitamines, de suppléments alimentaires et d’extraits de plantes aux mérites discutables.
«Chaque époque a eu ses aliments thérapeutiques, mais les plus récents s’en distinguent parce que ce ne sont pas des aliments mais des produits découplés de la nature», analyse Serge Genest, professeur au Département d’anthropologie.
Sans porter de jugement sur la valeur des gélules d’oméga-3, ce spécialiste de l’anthropologie de la santé explique leur succès par le fait qu’«elles représentent la réponse technique et instantanée de notre société scientiste aux problèmes techniques du corps machine. La publicité se charge de redonner une valeur symbolique à ces produits en faisant croire qu’ils renferment la puissance de la nature en condensé».
Dans ce contexte, il est difficile pour les gens stressés, anxieux, déprimés et portés sur la malbouffe de ne pas considérer ces gélules comme une potion magique. «Il est illusoire de croire que les oméga-3 peuvent nous apporter la santé et le bonheur, prévient David Servan-Schreiber. Une alimentation équilibrée est importante, mais il faut aussi travailler sur tous les aspects de notre vie qui font obstacle à notre bien-être.»
Changement de régime
Malgré cette mise en garde, David Servan-Schreiber persiste et signe: la déficience en oméga-3 est la dernière grande carence alimentaire du XXe siècle. «Elle s’est accentuée depuis 50 ans avec l’intensification du recours au maïs et au soya (riches en oméga-6 et pauvres en oméga-3) dans l’alimentation des animaux d’élevage.
Cependant, nous ne sommes pas condamnés aux gélules d’huile de poisson jusqu’à la fin des temps. «Pour rétablir l’équilibre, il suffirait de modifier l’alimentation des animaux dont nous nous nourrissons», propose-t-il.
Le professeur Yvan Chouinard, du Département des sciences animales, a prouvé que cette solution tenait la route sur le plancher des vaches. Le chercheur a démontré qu’en ajoutant 2 kilos de graines de lin (une bonne source végétale d’oméga-3) à la ration quotidienne d’un troupeau de vaches, il arrivait à doubler la concentration d’acide linolénique oméga-3 contenu dans leur lait.
Selon David Servan-Schreiber, il suffirait que 5% de la nourriture des bœufs, veaux, vaches, cochons et couvées soit constituée de graines de lin pour rétablir l’équilibre de la chaîne alimentaire en oméga-3 et les résultats sur la santé des populations humaines seraient spectaculaires. On pourrait espérer une diminution de 50% des maladies cardiovasculaires et autant sinon plus pour les troubles de l’humeur.
«On a tardé à identifier la carence en oméga-3 parce que c’est un déficit relativement récent, qui tue très lentement, sur une période aussi longue que 25 ans. Maintenant qu’elle a été mise en évidence, il me semble que les gouvernements ont l’obligation de corriger la situation en réglementant l’alimentation des animaux d’élevage, estime-t-il. C’est une question de santé publique!»
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