Le magazine Contact

La zone d'échanges entre l'Université Laval,
ses diplômés, ses donateurs et vous

Le magazine Contact

Printemps 2006

Poussée de fièvre pour le jardinage

Réponse simple à de multiples paradoxes de la vie moderne, l'horticulture suscite un engouement sans pareil. Au Québec, un adulte sur trois s'y adonne.

    D’abord, en courageux éclaireurs, viennent les crocus. Puis, si tout est au beau fixe, les narcisses s’empressent de les rejoindre. Bientôt, partout dans les plates-bandes, pointe l’espoir. Enfin, solennellement, les tulipes se dressent et claironnent une nouvelle victoire sur le froid et la mort.

Il n’en faut pas plus pour que des légions de Québécois, armés de pelles, bêches, binettes, coupe-bordure, transplantoirs, sécateurs, tire-racine et arrosoirs, répondent à l’appel printanier. Peu importe les coupures, les ampoules, les ongles noirs ou cassés, les courbatures et les factures de chiro, les jardiniers prennent d’assaut leur terrain et se livrent des heures durant à une activité dite de détente qui, il n’y a pas si longtemps, était considérée comme un labeur.

Les Québécois ne sont pas seuls à avoir bondi à quatre pattes dans la caravane du jardinage. Les preuves indirectes qui témoignent de l’ampleur de cette nouvelle révolution verte s’accumulent un peu partout en Occident. Les magazines, canaux spécialisés et sites Web consacrés au jardinage se multiplient comme des pissenlits. Le réseau de télévision par câble Home & Garden Television rejoint maintenant plus de 80 millions de foyers dans 26 pays. Et que dire des points de vente de plantes qui poussent plus vite que du chiendent.

Au Québec, plus du tiers des adultes s’adonnerait régulièrement au jardinage. «La popularité de cette activité crée une forte demande qui contribue à la vigueur actuelle de l’industrie de l’horticulture ornementale», commente Yves Desjardins, professeur au Département de phytologie et membre de la Table filière de l’horticulture ornementale qui veille au développement de ce secteur.

Entre 1999 et 2003, les producteurs de plantes et d’arbustes québécois ont vu leur chiffre d’affaires grimper de 154 à 231 millions$, une hausse de 50%. La valeur de leurs exportations a connu la même progression, passant de 17 à 25 millions$. Le Québec compte maintenant 7000 entreprises de production, de commercialisation et de services horticoles, dont les revenus globaux fracassent le milliard de dollars. En haute saison, ces entreprises emploient jusqu’à 36 000 personnes.

L’effet Floralies

Spécialistes de l’enseignement et de la recherche en horticulture, les professeurs Blanche Dansereau et Jacques-André Rioux, du Département de phytologie, identifient tous les deux le même point tournant dans l’attrait des Québécois pour la chose florale: les Floralies internationales de Montréal, en 1980.

«Quand j’ai commencé à m’intéresser à ce domaine il y a plus de 30 ans, certains le décrivaient encore de façon hautaine comme la “culture des petites fleurs”», se souvient M. Rioux. À cette époque, les phytologistes sérieux s’intéressaient surtout aux grandes cultures. «Les Floralies ont créé un engouement extraordinaire pour l’horticulture ornementale et les gens ont senti le besoin d’embellir leur milieu de vie.»

Blanche Dansereau croit que les Floralies ont aussi prouvé aux Québécois qu’on pouvait planter autre chose que du gazon, des tulipes et des haies de cèdre autour des maisons. «On pensait que les conditions climatiques ne nous permettaient pas de faire pousser autre chose, ce qui était faux», rappelle celle qui avait la responsabilité d’induire la floraison des plantes, lors du grand happening montréalais de 1980.

Les Floralies de Montréal ont peut-être déclenché la déferlante verte qui s’est abattue sur le Québec, mais certains changements sociaux avaient préparé le terrain. En effet, c’est à la même époque que le pourcentage de ménages québécois propriétaires de résidences a franchi la barre du 50%.

«L’accession à la propriété a favorisé le développement de l’aménagement paysager : un propriétaire investit plus qu’un locataire dans son lieu de résidence», soutient François Des Rosiers, professeur au Département de management et spécialiste en gestion urbaine et immobilière. En 1976, la province comptait 954 000 ménages propriétaires. Aujourd’hui, ce chiffre atteint 1,8 million, soit 58% de tous les ménages. Mais, comme en font foi les balcons fleuris des immeubles locatifs, l’accès à la propriété n’explique qu’en partie cette frénésie verte.

La popularité du jardinage, au Québec et ailleurs dans le monde, s’explique peut-être par le fait que cette activité constitue une réponse simple à plusieurs paradoxes de la vie moderne.

Vivre en ville – Être près de la nature
Les campagnes se vident et les villes se peuplent. Au Québec, la proportion de la population résidant dans les six grandes régions métropolitaines a augmenté de près de 10% au cours des 15 dernières années, pendant qu’elle demeurait stable dans le reste de la province. «L’urbain vit dans un monde de béton et d’asphalte, mais il a gardé ce besoin de contact avec la nature, estime Jacques-André Rioux. En ville, il la trouve dans les parcs ou dans les espaces verts qu’il aménage autour de sa résidence.»

S’affranchir du travail physique – Demeurer actif

La mécanisation du travail et l’économie du savoir ont libéré les travailleurs de tâches physiques astreignantes, avec les conséquences que l’on sait sur l’embonpoint et les maladies cardiovasculaires. «Le jardinage est une activité légère du point de vue aérobique, mais qui peut être assez exigeante pour certains groupes musculaires», commente Angelo Tremblay, spécialiste en kinésiologie au Département de médecine sociale et préventive. Les jardiniers brûlent entre 150 et 300 kilocalories par heure, selon l’ardeur qu’ils mettent à la tâche. Une heure de jardinage équivaut à une heure de marche ou de golf, et à deux à quatre heures de télé. «À plusieurs égards, le jardinage est une activité physique qui commande le respect», résume le kinésiologue.

Avoir un contact avec la terre – Rompre avec ses racines terriennes

Au Québec, qui disait jardin disait légumes. «Que ce soit en France, en Angleterre ou au Québec, les jardins ornementaux étaient un symbole de richesse associée à la bourgeoisie ou à l’aristocratie, alors que le peuple utilisait la moindre parcelle de terrain pour faire pousser des légumes», signale Jacques-André Rioux. Héritage d’une époque où il fallait travailler la terre pour subsister, le jardin potager est le parent pauvre de la présente vogue horticole. Les pelouses –inspirées par les prairies du Sud de l’Angleterre– et surtout les aménagements intégrant plantes, arbustes et arbres ornementaux –d’inspiration jardins anglais ou français– ont la cote. «La tendance actuelle est de recréer un milieu naturel avec le plus de fleurs possibles. Les gens font preuve de beaucoup de créativité, pour leur propre plaisir ou pour impressionner les autres», constate M. Rioux.

Dépenser dans un loisir – Faire fructifier son capital
Rares sont les loisirs qui rapportent plus d’argent qu’ils n’en coûtent; le jardinage fait partie de cette courte liste. Les chercheurs François Des Rosiers, Marius Thériault, Yan Kestens et Paul Villeneuve ont fait la démonstration que l’argent poussait dans les arbres, les arbustes et les plates-bandes. Cette équipe du Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD) a documenté 11 éléments de l’aménagement paysager de 760 résidences unifamiliales ayant fait l’objet d’une transaction entre 1993 et 2000, dans la région de Québec. Ils ont ainsi établi que le prix de vente de la propriété augmentait en fonction directe du pourcentage de la superficie couverte par les arbres, les aménagements floraux ou la pelouse. Une simple allée de fleurs fait augmenter la valeur de la propriété de 4%.

Profiter de l’extérieur – Préserver son intimité
La belle saison est courte, au Québec, et les gens veulent profiter au maximun de leur cour, sans pour autant s’exposer constamment aux regards des voisins. C’est pour cette raison que les plantes qui peuvent servir de haies sont très recherchées. L’équipe du CRAD a d’ailleurs calculé que la présence d’une haie qui assure l’intimité d’une propriété augmentait de 8% la valeur de revente d’une
maison.

Rester à la maison – Se dépayser
«Le vieillissement de la population contribue au phénomène du cocooning et à l’engouement pour le jardinage, observe François Des Rosiers. Les gens sortent moins et ils investissent dans l’amélioration de leur milieu de vie.» Une enquête réalisée en 2003 par Statistique Canada sur les dépenses annuelles liées au jardinage appuie ses dires. Alors que ces dépenses se chiffrent à 137$ par année chez les moins de 30 ans, elles grimpent à 350$ dans le groupe des 35 ans et plus. Mais ce n’est pas parce qu’on reste davantage à la maison qu’on ne rêve pas de changer de décor. À preuve, la très grand majorité des plantes utilisées dans les aménagements paysagers ne sont pas indigènes au Canada. «C’est sans doute l’attrait de l’exotisme», avance Jacques-André Rioux.

Vieillir – Semer la vie
La passion du jardinage atteint son apogée après la cinquantaine. Que ce soit parce que les obligations familiales sont moins prenantes ou que l’heure de la retraite a sonné, les gens ont plus de temps à eux et nombreux sont ceux qui choisissent de l’utiliser pour semer la vie et créer de la beauté autour d’eux. Le vieillissement de la population laisse d’ailleurs présager des affaires d’or pour le secteur de l’horticulture ornementale. À plus forte raison depuis que «faire pousser des petites fleurs» n’est plus l’exclusivité des femmes.

Pour hommes aussi

Il y a une dizaine d’années, d’ailleurs, l’ex-hockeyeur Guy Lafleur en avait surpris plusieurs en devenant le porte-parole officiel d’un événement horticole d’envergure québécoise –Les 20 jours Fleurs, Pantes et Jardins– et en «avouant publiquement» qu’il pratiquait le jardinage.

Selon Claude Cossette, spécialiste en publicité et marketing au Département d’information et de communication, l’intention des responsables de l’événement était claire. «Par osmose, ils souhaitaient que les qualités de leur porte-parole se transposent aux adeptes du jardinage. Le message, ici, est qu’on peut jardiner et être un “vrai homme”.»

Que les hommes québécois aient embrassé l’horticulture –souvent par l’intermédiaire de leur conjointe– n’étonne pas Claude Cossette. D’une part, des études de marketing indiquent que le Québec est la société post-moderne la plus avancée dans le monde en ce qui a trait à l’égalité des rapports entre les hommes et les femmes. D’autre part, le Québécois est le mâle qui s’approche le plus de l’hermaphrodisme, avance-t-il. «Ça se répercute sur les activités que les couples pratiquent ensemble. Traditionnellement, le jardinage était surtout une activité féminine.»

Au Québec, poursuit-il, les hommes ont fait  beaucoup de chemin –plus que les femmes– pour combler l’écart qui séparait les activités féminines et masculines. En ce qui concerne le jardinage, c’est une très bonne chose, juge le professeur. «À mes yeux, la femme est le modèle perfectionné du genre humain. Parce que cette activité le rapproche de la femme, le jardinage est une démarche qui conduit l’homme vers son humanité.»

***
UN JARDIN-ÉCOLE SUR LE CAMPUS

    Peu après l’ouverture de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation en 1962, le professeur Roger Van den Hende lance l’idée d’établir sur le campus une parcelle expérimentale où seraient rassemblées des espèces ornementales indigènes et des espèces rustiques ou semi-rustiques en vue d’hybridation possible. «Nos étudiants devraient, déclare-t-il alors, être en mesure de voir sur place les différentes plantes potagères, les petits fruits, les principales plantes ornementales.»
 
L’idée séduit et on lui confie la responsabilité d’ériger ce jardin sur une ancienne terre agricole au sol pauvre située à deux pas de la faculté. Avec les moyens du bord et un petit budget, il achète des sachets de semences, effectue les semis, multiplie les plantes par bouturage et par greffe, procède à des échanges avec d’autres institutions et –péché véniel à l’époque–  prélève des plantes indigènes dans la nature.

En 1966, les plants sont mis en terre sur ce plateau balayé par les vents qui est aujourd’hui devenu le Jardin Van den Hende. Ce jardin-école de six hectares abrite maintenant plus de 2000 espèces et cultivars, incluant des plantes indigènes du Québec et des plantes ornementales provenant d’Europe, d’Amérique et d’Asie.

Depuis son ouverture, ce site a accueilli des milliers d’étudiants inscrits aux programmes de baccalauréat de la Faculté, venus se familiariser avec la taxonomie des plantes et leurs maladies. «Nous utilisons très peu de pesticides afin de sélectionner les plantes qui ont une résistance naturelle», précise Jacques-André Rioux, du Département de phytologie, qui s’est lui-même initié à l’horticulture ornementale dans ce jardin, en 1969. Depuis la création du Certificat spécialisé en horticulture et gestion des espaces verts en 1995, les 200 à 250 étudiants inscrits chaque année à ce programme y peaufinent également leur science.

Le Jardin est également l’un des deux sites québécois d’évaluation des fleurs annuelles. «Chaque année, nous mettons  à l’essai plus de 200 nouvelles variétés de fleurs pour évaluer leur adaptation aux conditions québécoises, explique Blanche Dansereau. Le Jardin a été officiellement reconnu comme site d’évaluation par l’AAS (All-America Selections) en 1990, mais officieusement nous faisons ce travail depuis 1978.»

Pour partager ce trésor floral avec la population, l’Université a ouvert officiellement le Jardin au public en 1978 en organisant une fête champêtre. Devenu une tradition depuis, l’événement marquera cette année le 40e anniversaire du Jardin. Au programme des Trouvailles champêtres, qui auront lieu le 11 juin: exposition horticole sous chapiteau, visites guidées du jardin, circuits éducatifs, activités pour les enfants, conférences et vente à l’encan de plantes rares et des surplus du jardin.

***
    HORTICULTURE VERTE?

En 2001, les Québécois ont acheté 263 000 kg d’insecticides et 53 000 kg d’herbicides pour usage domestique, une hausse de 7% et de 30% respectivement par rapport à 1992. Pendant la même période, les entreprises d’entretien des pelouses augmentaient leur usage d’herbicides de 45%.

En 2002, le gouvernement du Québec a décidé de mettre un holà à cette escalade en adoptant le Code de gestion des pesticides. Les articles qui touchent les résidences privées ne sont toutefois entrés en vigueur qu’en avril 2006. Les Québécois sont-ils prêts à se mesurer, pour la première fois, aux mauvaises herbes et aux insectes sans ce qui était devenu leurs armes de prédilection?
 
«Le Code vise les surfaces gazonnées et non les plantes ornementales, précise d’abord Sophie Rochefort, étudiante au doctorat en phytologie. Les gens qui ont déjà une belle pelouse devraient s’en tirer sans trop de mal. Par contre, ceux qui ont beaucoup de mauvaises herbes vont devoir apprendre la tolérance parce que, pour l’instant du moins, aucune méthode biologique n’a l’efficacité des herbicides chimiques pour détruire les mauvaises herbes.»

Les firmes d’entretien des pelouses vont probablement utiliser des pratiques culturales –comme l’aération des gazons et le surensemencement– pour faire face à la musique, prédit de son côté la professeure Josée Fortin, du Département des sols et de génie agroalimentaire. «Ces pratiques avaient été laissées de côté parce qu’on préférait la solution facile offerte par les pesticides. Maintenant, on n’aura pas d’autres choix que d’avoir recours à ces moyens alternatifs et à une bonne dose de tolérance.»
Haut de page
  1. Aucun commentaire pour le moment.