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Printemps 2008

Les langues autochtones tiennent le coup!

Leur disparition annoncée n'a pas eu lieu; au contraire, les langues autochtones connaissent un regain de vie.

Megan Lukaniec revient aux sources. Près de 60 ans après que sa grand-mère wendate –huronne comme on disait à l’époque– eut quitté Wendake pour émigrer en Nouvelle-Angleterre, la petite-fille née aux États-Unis fait le chemin inverse. Non seulement est-elle venue compléter une maîtrise en linguistique et anthropologie à l’Université Laval mais, en plus, elle travaille avec quatre autres étudiants wendats de l’Université et avec la communauté de Wendake à un projet ambitieux: redonner vie à la langue disparue de leurs ancêtres.

Ce ne sont pas tous les petits-enfants des autochtones partis de leur réserve qui effectuent un retour à leurs origines, comme Mme Lukaniec. Et les communautés autochtones du Québec n’ont pas toutes à ressusciter leur langue ancestrale, comme à Wendake: dans la majorité des cas, ces langues sont encore bien vivantes! Entre autres parce que le renouveau culturel qu’on observe chez les autochtones passe par une grande fierté pour leurs langues, confirme Louis-Jacques Dorais, professeur au Département d’anthropologie et spécialiste de la culture inuite.
 
Et cela n’est pas exclusif au Québec, puisqu’on voit le même phénomène partout où il y a des communautés autochtones. «Ce processus de réaffirmation identitaire qui s’exprime depuis les années 1970 correspond à la fin de la période coloniale dans le monde», explique Sylvie Poirier, également professeure au Département d’anthropologie. Selon elle, la décolonisation a eu des répercussions jusque dans cette reprise de parole aussi bien chez les autochtones des deux Amériques que chez les aborigènes d’Océanie. Les gouvernements n’ont alors eu d’autre choix que d’abandonner leurs politiques d’assimilation pour offrir une certaine ouverture aux revendications de leurs populations indigènes. La table était mise pour le regain de vitalité des langues autochtones.

Dans les écoles
«Aujourd’hui, dans les réserves, observe Louis-Jacques Dorais, c’est en cri, en innu ou en atikamekw que se fait l’enseignement, de la maternelle jusqu’à la deuxième ou troisième année. Toutes les langues autochtones encore parlées au Québec sont présentes dans les écoles.» Même le mohawk, en voie de disparition dans les années 1960, est aujourd’hui la langue d’usage dans des classes d’immersion de tout le primaire à Kanawake. Et c’est en inuktitut, langue toujours aussi vigoureuse au Nunavik, que les jeunes Inuits reçoivent leurs premières années d’instruction.
 
En outre, plusieurs communautés publient leurs documents officiels dans leur langue, et la plupart ont leur station de radio. Quelques plages horaires en français ou en anglais y sont présentées, mais le plus gros de la programmation est en langue autochtone. «Et les gens l’écoutent!», assure Sylvie Poirier. Les trois communautés atikamekw avec lesquelles l’anthropologue travaille, en Haute-Mauricie, ont chacune leur station et «dans 80% des foyers, l’appareil radio est ouvert de 6 h à minuit.» La langue atikamekw est d’ailleurs l’une de celles qui ont obtenu les meilleurs scores au recensement de 2006: 12% d’augmentation de locuteurs par rapport à 2001!

En fait, partout en dehors de la vallée du Saint-Laurent et de la Gaspésie, les langues autochtones demeurent les instruments de communication habituels de la majorité, au sein des populations amérindiennes et inuites du Québec, fait valoir Louis-Jacques Dorais. À l’extérieur des réserves, cependant, l’usage de la langue se perd assez vite puisque, selon le recensement de 2006, à peine 12% des Amérindiens vivant hors réserve au Canada peuvent encore soutenir une conversation dans leur langue ancestrale.

Comme langue seconde
Un des facteurs qui expliquent cette vigueur des langues autochtones: plusieurs locuteurs les ont apprises comme langues secondes. Ainsi, au dernier recensement, le nombre de personnes qui ont dit être capables de parler une langue autochtone était supérieur à celui des personnes ayant déclaré être de langue maternelle autochtone. Cela signifie que certains autochtones ont d’abord appris l’anglais ou le français à la maison pour ensuite acquérir leur langue d’origine, soit avec leurs grands-parents, avec d’autres membres de la famille ou dans la communauté, soit à l’école ou dans des cours offerts aux adultes.
 
Désolant ou encourageant? «Bien sûr, ce serait mieux si tous avaient encore leur langue ancestrale comme langue maternelle, répond Louis-Jacques Dorais. Mais voilà une trentaine d’années, on n’aurait pas vu ainsi les gens apprendre la langue de leur peuple comme langue seconde.» Un bel exemple de la réaffirmation identitaire! Reste à voir si cette langue seconde sera transmise aux générations suivantes. Ce n’est pas improbable, juge M. Dorais, pourvu qu’elle continue d’être en usage dans la communauté et à l’école.

Chose certaine, si la transmission ne se fait pas, ce ne sera pas faute de locuteurs potentiels. Car, comme le montre le recensement, les populations autochtones sont carrément à la hausse au pays. Pour la première fois, le nombre de Canadiens s’identifiant comme autochtones dépasse le cap du million. De 1996 à 2006, la population autochtone (Amérindiens, Inuits et Métis) a augmenté de 45%, comparativement à 8% chez les non-autochtones. Au Québec, la croissance a été de 53% pour une population qui atteint maintenant près de 110 000 autochtones. Cela s’explique en partie par le fait que de plus en plus de gens sont fiers de revendiquer leur héritage indigène lors d’un recensement, selon M. Dorais, mais surtout par un taux de natalité élevé et une meilleure espérance de vie qu’avant.

La démographie galopante des autochtones est particulièrement visible dans les communautés inuites, où l’âge médian est de 22 ans à peine, comparativement à 40 ans pour les non-autochtones. Pas surprenant que la culture rap y soit si populaire, note le professeur Dorais. Et comme l’inuktitut est parlé par 99% des Inuits du Nunavik (Nord québécois), c’est dans cette langue –un peu mêlée d’anglais, faut-il dire– que les jeunes rappeurs se produisent.

La plus belle langue

La langue inuite n’est cependant pas en aussi bonne santé partout. L’un de ses dialectes, l’inuvialuit parlé complètement à l’ouest du territoire inuit (au nord des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon), n’est plus la langue que de 20% de la population de cette région et est probablement vouée à l’extinction. «C’est dommage, commente Ronald Lowe, professeur au Département de langue, linguistique et traduction, car pour moi, la langue inuite est la plus belle et la plus intéressante qu’il m’ait été donné d’étudier.»

Auteur de trois grammaires et d’autant de dictionnaires sur les dialectes de l’Ouest canadien, M. Lowe explique que l’inuit se parlait déjà 5000 ans avant le latin et que sa structure est complètement différente de toutes les autres langues du monde. «Son étude nous plonge dans l’histoire du langage, dit-il. On ne trouve plus ce type de construction dans les langues modernes.»
 
Une langue toute en suffixes où le mot, qui se construit à mesure qu’il se dit, est plus complexe que la phrase. Exactement le contraire des langues modernes, note le linguiste. Ainsi, ce mot de 59 lettres, qangattasuunnguattiavakululiuqatigilauqsimaniaqquunngitagit, qui signifie « je ne pourrai plus jamais jouer avec toi à construire de jolis petits avions ».

Quand on perd une langue, déplore M. Lowe, on perd en même temps une partie de la réalité qu’elle évoque, une part de l’esprit qui l’habite. «C’est que le rapport au monde n’est pas le même d’une langue à l’autre», rappelle-t-il. Par exemple, la représentation spatiale est très élaborée chez les Inuits, car à défaut de nombreux repères physiques dans l’immensité arctique, il faut savoir situer précisément un objet dans l’espace. D’où la panoplie de mots différents pour nommer cet objet selon qu’il est loin ou proche, haut ou bas, en mouvement, statique, vu de l’intérieur, de l’extérieur…

Tentatives de résurrection
C’est précisément cet esprit de la langue de leurs ancêtres que les Wendats veulent retrouver avec le projet Yawenda (La voix). Ce programme de cinq ans, administré par l’Université Laval, bénéficie d’une subvention de 1 million$ du gouvernement fédéral. Objectif: revitaliser le wendat, qui a cessé d’être parlé voilà un siècle.

À partir de documents historiques (grammaires et dictionnaires rédigés par les Jésuites, enregistrements de chants religieux au début du XXe siècle) et en établissant des comparaisons avec d’autres langues iroquoïennes encore vivantes aux États-Unis, les cinq étudiants de l’Université qui travaillent au projet vont tenter de reconstruire les structures de la langue pour créer une base de données à partir de laquelle on concevra un dictionnaire et une grammaire modernes. Cette reconstruction servira ensuite à l’élaboration de matériel pédagogique, à la formation d’enseignants et à l’enseignement du wendat à Wendake.

C’est tout à fait possible de ressusciter le wendat, estime Megan Lukaniec, à tout le moins pour en faire une langue seconde dans la communauté, une langue d’usage à l’école, aux réunions du conseil de bande et dans les rencontres communautaires. «Le succès de l’entreprise dépendra, entre autres, du soutien que les enfants recevront à la maison, dit-elle. Or, beaucoup de jeunes familles au village montrent de l’intérêt pour le projet Yawenda. Pour nous, c’est une question d’identité. Cette langue est l’héritage de nos ancêtres. Elle est essentielle pour l’avenir de notre nation.»

Un feu de paille?
Toute cette renaissance culturelle autochtone, ce regain d’intérêt pour la langue, pourraient-ils en fin de compte s’avérer un feu de paille dont il ne restera que des cendres et bien peu de mots au bout de quelques générations?

Non, est convaincu Louis-Jacques Dorais. Pour lui, tout le contexte actuel milite en faveur de la pérennité de cette affirmation: revendications politiques et territoriales autochtones, négociations qui débouchent sur des ententes comme la convention de la Baie-James et celle du Nord-Est québécois, mise en place de gouvernements régionaux autochtones (Nunavut et bientôt Nunavik), acquisition de plus en plus d’autonomie administrative et politique par les autres nations… «En plus, les autochtones sont désormais consultés sur toutes les grandes décisions qui les concernent et plusieurs communautés se développent économiquement, note M. Dorais. Sans parler de la croissance démographique ! Non, ce renouveau culturel et linguistique ne m’apparaît pas un phénomène passager. Il devrait même s’accentuer.»

Sylvie Poirier en arrive à la même conclusion, mais à partir d’une autre perspective. «Cela fait cinq siècles, dit-elle, que les autochtones sont engagés dans des relations avec les blancs, qu’ils commercent avec eux, tout en maintenant leur identité, leur spécificité et leur différence. Certes leur société a beaucoup changé et va continuer d’évoluer, comme la nôtre d’ailleurs. Mais s’ils sont toujours là 500 ans plus tard, c’est sûr qu’ils y seront encore dans 50 ans. Et qu’ils vont continuer de revendiquer leur identité.»

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LE DIRE EN LANGUE AUTOCHTONE
 
Bonjour   
Ai (inutitut), Kwei (cri et atikamekw), Kuei (innu)

Comment ça va ?   
Qanuippit? (inuktitut), Taan e ihtiyin? (cri), Tan e ici matisiin? (atikamekw), Tan eshpanin? (innu)

Merci
Nakurmik (inuktitut), Chi naskumitin (cri), Mikwetc (atikamekw), Tshinashkumitin (innu)

***
Lisez le témoignage de trois diplômés sur la situation des langues autochtones dans les pays où ils habitent: Nouvelle-Zélande, Mexique et Argentine.
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