La fessée, défoulement parental?
La majorité des Québécois approuvent le recours à la fessée, ce qui fait tiquer psychologues et pédiatres.
Par Pascale Guéricolas
Il y a moins d’un siècle, au Québec, battre un enfant avec une branche ou une ceinture n’avait rien d’un crime. Même si le parent causait des blessures graves à sa progéniture. En fait, ces corrections n’étaient pas considérées comme des brutalités en autant qu’elles soient administrées pour éduquer l’enfant et lui montrer le bon chemin! Par contre, l’opinion publique s’émouvait et condamnait ces gestes si l’adulte battait l’enfant sous l’emprise de l’alcool ou de façon sadique. Ce coup d’œil historique illustre une vérité bien connue des pédagogues: les méthodes d’éducation des enfants varient énormément selon les cultures et les époques.
Si le comportement des parents québécois envers leurs enfants a évolué à grande vitesse depuis les années 1960, un certain type de châtiment corporel jouit toujours d’une certaine popularité. Selon une étude de l’Institut de la statistique du Québec, 42,9% des enfants avaient déjà reçu une fessée, en 2005. Un chiffre qui montre une légère baisse de cette pratique puisqu’ils étaient 48% en 1999.
Marie-Hélène Gagné, professeure à l’École de psychologie, s’intéresse aux motivations des adultes ayant recours à ce type de châtiment. Dans un article publié avec des collègues dans le Journal of interpersonal violence l’automne dernier, la chercheuse révèle que près de deux Québécois sur trois considèrent la fessée parfois nécessaire. Pour cette enquête menée en 2002, l’équipe a interrogé 1000 adultes.
Quels parents auraient la main plus leste? D’abord ceux qui ont eux-mêmes reçu ce genre de corrections dans leur enfance, mais sans violence excessive. Ces personnes auraient tendance à reproduire le modèle d’éducation qu’on leur a appliqué, sans s’interroger sur les autres outils à leur disposition. Par contre, les victimes d’abus dans leur enfance, blessures et humiliation incluses, se prononcent davantage contre la fessée.
«Le fait que 62% des personnes interrogées croient qu’elles ont le devoir de donner la fessée à leur enfant si cela s’avère nécessaire dénote un grand malaise, estime Mme Gagné. Les parents veulent encadrer leur enfant, mais la fessée ne leur permet que de se défouler sur le coup et ne règle pas le problème, en plus de générer colère et frustration chez l’enfant.»
Dérapage possible
Pédiatre et expert devant les tribunaux depuis près de 30 ans, Jean Labbé connaît sur le bout de ses doigts les risques de dérapage lorsque la main de l’adulte s’abat sur l’enfant. Dans son cabinet, il reçoit des enfants qu’on croit être victimes de mauvais traitements. «Aujourd’hui, la vigilance envers la maltraitance est plus grande qu’avant», observe le professeur de la Faculté de médecine. Il se souvient du cas récent d’une petite fille qui, après une journée d’absence à la garderie, y est retournée vêtue d’un chandail à manches longues en plein été. «Rapidement, le personnel a remarqué certains signes sur ses bras et on m’a référé l’enfant, note-t-il. Il s’agissait de marques caractéristiques, qui n’auraient pas pu être causées par une chute.»
Au fil des ans, Jean Labbé a appris à reconnaître les lignes fines que laisse pendant plusieurs jours une claque violente sur un bras, une jambe ou la tête de l’enfant, ou même sur les doigts de l’agresseur. Cette connaissance l’amène souvent en cour. Son diagnostique est-il infaillible? «En revenant sur les expertises que j’ai effectuées ces dernières années pour la Direction de la protection de la jeunesse, j’ai compté 10% de faux-positifs, avoue l’expert médical. Il s’agit de cas où les blessures de l’enfant avaient une cause accidentelle ou médicale.» Jean Labbé considère comme un moindre mal le fait que certains parents soient soupçonnés à tort de mauvais traitement. «Je comprends les ennuis que cela peut leur causer, mais c’est le prix à payer pour détecter les abus et y mettre fin», lance ce fervent adversaire de la fessée.
Taper, secouer, crier
Professeur à l’École de psychologie, Michel Boivin n’apprécie pas non plus la fessée, qu’il classe dans la catégorie des conduites cœrcitives hostiles, tout comme crier après son enfant ou le secouer. Le chercheur a suivi pendant plusieurs années près de 1500 familles dont l’enfant n’était au départ âgé que de cinq mois. Il a constaté que le recours à ce type de pratique connaît un pic lorsque l’enfant a entre 17 et 30 mois. «Cela correspond approximativement au terrible two, note le titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le développement social de l’enfant. Vers deux ans, c’est l’âge où l’enfant développe sa capacité d’opposition.» Même si les études ne fixent pas une fréquence à partir de laquelle les fessées ont un impact sur le développement de l’enfant, M. Boivin fait valoir que ces conduites parentales peuvent produire des comportements anti-sociaux ou de la violence.
La cause est entendue: corriger physiquement un enfant n’apporte pas grand-chose à son éducation. D’autant plus que, la plupart du temps, la main qui frappe traduit avant tout la colère du parent, exaspéré de ne pas se faire obéir. Michel Boivin a constaté que ces débordements se produisent souvent dans les familles où la discipline manque de constance. Les parents ne donnent pas assez de règles claires, ce qui pousse certains enfants à tester les limites. D’où, parfois, une escalade de violence.
Le psychologue suggère avant tout de réduire le niveau des hostilités. En cas de crise, il faut calmer l’enfant, le sortir de la situation. Quelle serait la réaction du professeur devant un garçonnet qui se roule par terre à l’épicerie, sous l’œil désapprobateur des autres clients? «Comme chercheur, je ne sais pas ce que je ferais; mais comme parent, c’est clair que je le prends sous le bras et je sors du magasin», lance-t-il en souriant.
Prévenir plutôt que punir
Selon Michel Boivin, l’éducation de l’enfant se bâtit peu à peu dans un climat de confiance. Les pédagogues préconisent différentes techniques alternatives à la fessée, comme celle du retrait: mettre le petit à l’écart un certain temps pour lui signifier que son comportement n’est pas acceptable. Autre conseil, ignorer tout simplement certaines façons de faire de l’enfant que celui-ci sait pertinemment inadéquates, pour éviter que les situations ne dégénèrent. Apôtre de la prévention plutôt que de la réaction punitive, Michel Boivin croit beaucoup aux renforcements positifs. En félicitant l’enfant pour ses bons coups, on instaure un climat familial agréable.
Marie-Hélène Gagné préconise elle aussi le recours à des méthodes éducatives basées sur le dialogue, plutôt que sur la force. «La punition doit toujours avoir une relation avec la faute commise, rappelle-t-elle. Si un enfant casse un jouet appartenant à sa sœur, on l’invitera à réparer ses torts en prenant des sous dans sa tirelire pour acheter un autre jouet. Certaines personnes croient que la fessée n’est pas dommageable si elle est bien “gérée”. Ceci est une autre histoire. Mais il ne faut surtout pas banaliser cet acte de violence physique.»
Les psychologues ont beau rejeter la fessée, ils reconnaissent volontiers qu’éduquer un enfant requiert souvent des nerfs d’acier. D’où l’idée de leur faciliter la tâche en mettant à leur portée les dernières découvertes pédagogiques et de l’information bien vulgarisée sur le développement de l’enfant. Résultat: l’Encyclopédie du jeune enfant, un site auquel Michel Boivin collabore régulièrement, comme plusieurs chercheurs du monde entier.
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Si le comportement des parents québécois envers leurs enfants a évolué à grande vitesse depuis les années 1960, un certain type de châtiment corporel jouit toujours d’une certaine popularité. Selon une étude de l’Institut de la statistique du Québec, 42,9% des enfants avaient déjà reçu une fessée, en 2005. Un chiffre qui montre une légère baisse de cette pratique puisqu’ils étaient 48% en 1999.
Marie-Hélène Gagné, professeure à l’École de psychologie, s’intéresse aux motivations des adultes ayant recours à ce type de châtiment. Dans un article publié avec des collègues dans le Journal of interpersonal violence l’automne dernier, la chercheuse révèle que près de deux Québécois sur trois considèrent la fessée parfois nécessaire. Pour cette enquête menée en 2002, l’équipe a interrogé 1000 adultes.
Quels parents auraient la main plus leste? D’abord ceux qui ont eux-mêmes reçu ce genre de corrections dans leur enfance, mais sans violence excessive. Ces personnes auraient tendance à reproduire le modèle d’éducation qu’on leur a appliqué, sans s’interroger sur les autres outils à leur disposition. Par contre, les victimes d’abus dans leur enfance, blessures et humiliation incluses, se prononcent davantage contre la fessée.
«Le fait que 62% des personnes interrogées croient qu’elles ont le devoir de donner la fessée à leur enfant si cela s’avère nécessaire dénote un grand malaise, estime Mme Gagné. Les parents veulent encadrer leur enfant, mais la fessée ne leur permet que de se défouler sur le coup et ne règle pas le problème, en plus de générer colère et frustration chez l’enfant.»
Dérapage possible
Pédiatre et expert devant les tribunaux depuis près de 30 ans, Jean Labbé connaît sur le bout de ses doigts les risques de dérapage lorsque la main de l’adulte s’abat sur l’enfant. Dans son cabinet, il reçoit des enfants qu’on croit être victimes de mauvais traitements. «Aujourd’hui, la vigilance envers la maltraitance est plus grande qu’avant», observe le professeur de la Faculté de médecine. Il se souvient du cas récent d’une petite fille qui, après une journée d’absence à la garderie, y est retournée vêtue d’un chandail à manches longues en plein été. «Rapidement, le personnel a remarqué certains signes sur ses bras et on m’a référé l’enfant, note-t-il. Il s’agissait de marques caractéristiques, qui n’auraient pas pu être causées par une chute.»
Au fil des ans, Jean Labbé a appris à reconnaître les lignes fines que laisse pendant plusieurs jours une claque violente sur un bras, une jambe ou la tête de l’enfant, ou même sur les doigts de l’agresseur. Cette connaissance l’amène souvent en cour. Son diagnostique est-il infaillible? «En revenant sur les expertises que j’ai effectuées ces dernières années pour la Direction de la protection de la jeunesse, j’ai compté 10% de faux-positifs, avoue l’expert médical. Il s’agit de cas où les blessures de l’enfant avaient une cause accidentelle ou médicale.» Jean Labbé considère comme un moindre mal le fait que certains parents soient soupçonnés à tort de mauvais traitement. «Je comprends les ennuis que cela peut leur causer, mais c’est le prix à payer pour détecter les abus et y mettre fin», lance ce fervent adversaire de la fessée.
Taper, secouer, crier
Professeur à l’École de psychologie, Michel Boivin n’apprécie pas non plus la fessée, qu’il classe dans la catégorie des conduites cœrcitives hostiles, tout comme crier après son enfant ou le secouer. Le chercheur a suivi pendant plusieurs années près de 1500 familles dont l’enfant n’était au départ âgé que de cinq mois. Il a constaté que le recours à ce type de pratique connaît un pic lorsque l’enfant a entre 17 et 30 mois. «Cela correspond approximativement au terrible two, note le titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le développement social de l’enfant. Vers deux ans, c’est l’âge où l’enfant développe sa capacité d’opposition.» Même si les études ne fixent pas une fréquence à partir de laquelle les fessées ont un impact sur le développement de l’enfant, M. Boivin fait valoir que ces conduites parentales peuvent produire des comportements anti-sociaux ou de la violence.
La cause est entendue: corriger physiquement un enfant n’apporte pas grand-chose à son éducation. D’autant plus que, la plupart du temps, la main qui frappe traduit avant tout la colère du parent, exaspéré de ne pas se faire obéir. Michel Boivin a constaté que ces débordements se produisent souvent dans les familles où la discipline manque de constance. Les parents ne donnent pas assez de règles claires, ce qui pousse certains enfants à tester les limites. D’où, parfois, une escalade de violence.
Le psychologue suggère avant tout de réduire le niveau des hostilités. En cas de crise, il faut calmer l’enfant, le sortir de la situation. Quelle serait la réaction du professeur devant un garçonnet qui se roule par terre à l’épicerie, sous l’œil désapprobateur des autres clients? «Comme chercheur, je ne sais pas ce que je ferais; mais comme parent, c’est clair que je le prends sous le bras et je sors du magasin», lance-t-il en souriant.
Prévenir plutôt que punir
Selon Michel Boivin, l’éducation de l’enfant se bâtit peu à peu dans un climat de confiance. Les pédagogues préconisent différentes techniques alternatives à la fessée, comme celle du retrait: mettre le petit à l’écart un certain temps pour lui signifier que son comportement n’est pas acceptable. Autre conseil, ignorer tout simplement certaines façons de faire de l’enfant que celui-ci sait pertinemment inadéquates, pour éviter que les situations ne dégénèrent. Apôtre de la prévention plutôt que de la réaction punitive, Michel Boivin croit beaucoup aux renforcements positifs. En félicitant l’enfant pour ses bons coups, on instaure un climat familial agréable.
Marie-Hélène Gagné préconise elle aussi le recours à des méthodes éducatives basées sur le dialogue, plutôt que sur la force. «La punition doit toujours avoir une relation avec la faute commise, rappelle-t-elle. Si un enfant casse un jouet appartenant à sa sœur, on l’invitera à réparer ses torts en prenant des sous dans sa tirelire pour acheter un autre jouet. Certaines personnes croient que la fessée n’est pas dommageable si elle est bien “gérée”. Ceci est une autre histoire. Mais il ne faut surtout pas banaliser cet acte de violence physique.»
Les psychologues ont beau rejeter la fessée, ils reconnaissent volontiers qu’éduquer un enfant requiert souvent des nerfs d’acier. D’où l’idée de leur faciliter la tâche en mettant à leur portée les dernières découvertes pédagogiques et de l’information bien vulgarisée sur le développement de l’enfant. Résultat: l’Encyclopédie du jeune enfant, un site auquel Michel Boivin collabore régulièrement, comme plusieurs chercheurs du monde entier.
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