Grandeurs et misères économiques de Québec
Quatre siècles d'histoire, vus par la lorgnette de l'économie.
Par Gilles Drouin
Présentés en quatre temps, les 400 ans d’histoire économique de Québec montrent une ville qui réussit à tailler sa petite place en terre d’Amérique et dans le monde. Dès sa fondation, la capitale jouit d’un avantage concurrentiel sans pareil: située à l’endroit où le fleuve devient infranchissable pour les grands voiliers d’Europe, elle est une ville portuaire prospère. Québec perdra pourtant cet atout au tournant du XXe siècle pour ensuite profiter d’autres forces. Pendant ce temps, Montréal connaît un sort bien différent…
1608-1759: la porte d’entrée
Il était une fois quelques centaines de Français, mi-colons, mi-aventuriers, accrochés entre le Saint-Laurent et le cap Diamant en un lieu qu’on appelle Québec.
Nous sommes au début du XVIIe siècle. Rapidement, les Amérindiens découvrent que le lustre de leurs fourrures fait briller les yeux de ces Européens. La traite des fourrures devient ainsi la première grande activité économique de la Nouvelle-France. Québec est alors l’entrepôt de fourrures de la colonie tandis que Montréal, fondée en 1642, n’est que le point de départ des expéditions vers l’ouest du territoire.
Québec jouit d’un avantage concurrentiel de taille qui en fera la principale ville de Nouvelle-France pendant au moins 150 ans: elle est d’abord un port, incontournable porte d’entrée et de sortie de la colonie. À une époque où il faut savoir manier la voile pour naviguer, le tronçon de fleuve situé en amont du Cap Diamant se montre rébarbatif au passage de grands voiliers. Québec devient donc l’endroit idéal pour le transbordement de marchandises entre navires de haute mer et plus petites embarcations aptes à s’engager plus avant sur le Saint-Laurent. Parmi ces marchandises, figurent les fourrures qui partent pour la France et les produits de consommation qui en arrivent: textiles, boissons, objets de métal, matériel pour la traite des fourrures. Sans oublier les immigrants.
Par sa position stratégique, la ville fondée en 1608 par l’énigmatique Samuel de Champlain est aussi le haut lieu de l’administration de la Nouvelle-France, fonction qui s’accompagne d’une importante garnison militaire, complétant ainsi le triangle économique de la ville. «Québec a un statut de capitale et une fonction défensive et militaire très importante à l’époque, note Marc Vallières, spécialiste de l’histoire économique et administrative du Québec au Département d’histoire. Port, administration et garnison militaire restent le cœur de l’activité économique de la ville de Québec jusqu’au milieu du XIXe siècle, même sous le régime anglais.» Retraité depuis peu de l’Université, M. Vallières met la dernière main à un ouvrage en deux volumes sur l’histoire de Québec, dont il est coauteur. Cet ouvrage paraîtra au cours de l’année 2008.
Centre de décision de la colonie, Québec est le théâtre d’activités liées à la navigation, comme un peu de construction navale encouragée par l’État, surtout à partir du XVIIIe siècle. Des industries plus courantes, de type artisanal, qui répondent à une partie des besoins de la population locale, s’y développent aussi. La Nouvelle-France est une colonie. Dans le système mercantiliste qui prévaut à l’époque, elle fournit donc des matières premières (fourrures, parfois des surplus de céréales et bientôt du bois) et elle constitue un marché, bien que modeste, pour les produits finis de la mère patrie.
1759-1867: Changement de garde et de technologies
Après la célèbre défaite de Montcalm, la colonie est dans l’incertitude. Le conflit entre l’Angleterre et ce qui deviendra les États-Unis assombrit le paysage. Conséquence: l’activité économique de Québec stagne.
La Conquête marque un changement de la classe marchande. Alors que les commerçants français plient bagage ou délaissent l’activité, les marchands britanniques s’implantent graduellement. Il faut toutefois attendre le tournant du siècle pour sentir un véritable démarrage économique de la colonie. Deux forces vont alors jouer: l’immigration britannique et le commerce du bois.
Québec demeure la porte d’entrée de la colonie et c’est ici que les immigrants débarquent. Cependant, la ville retient très peu les nouveaux arrivants, qui prennent la direction de l’ouest. La plaine fertile de Montréal les attire, mais surtout la région qui deviendra le sud de l’Ontario, où ils rejoignent une population d’origine anglo-saxonne. De 1800 à 1880, le port de Québec voit défiler plus de 1,5 million d’immigrants. De ce nombre, seulement 20 000 choisissent Québec comme lieu de résidence. D’un point de vue économique, la ville profite peu du passage de ces migrants.
Aussi impressionnant que dût être le débarquement humain, c’est l’exportation du bois qui occupe la place centrale de l’activité portuaire. De 1810 à 1900, Québec constitue un port de première importance pour l’exportation du bois destiné à la construction navale et de bâtiments en Angleterre. Le blocus continental de Napoléon oblige les Britanniques à se tourner davantage vers les forêts du Québec. Une fois le blocus levé, l’Angleterre maintiendra des tarifs préférentiels pour le bois du Canada, à l’avantage de Québec, de son port et de sa classe marchande.
Dès le début du XIXe siècle, les fourrures glissent dans l’histoire. Les marchands britanniques se concentrent davantage sur l’importation d’une gamme très étendue de produits qui répondent aux besoins des élites locales, mais aussi des produits de base, comme les alcools et le coton. Québec est alors un des maillons du réseau commercial mondial de l’Angleterre. À partir de 1820-1830, toute une industrie se greffe au commerce du bois, dont la construction navale.
Pendant ce temps, Montréal prend de l’expansion. La future métropole a de l’espace et de belles terres cultivables. «La possibilité d’installer une population est moins grande à Québec puisque le territoire agricole y est plus restreint», explique Marc Vallières. En 1830, Québec demeure un port de première importance, tourné vers l’Europe, tandis que Montréal est davantage branchée sur tout l’est du continent américain.
Tout va quand même bien pour Québec, mais son avantage concurrentiel numéro un perd du poids. Autour de Montréal, les conditions de navigation s’améliorent. Déjà, dans les années 1820, on aménage le canal Lachine et tout un réseau de canaux qui permettent de passer de Montréal aux Grands-Lacs. Dès les années 1810-1820, des navires à vapeur et à fond plat partent de Québec vers Montréal. Et au cours des années 1850, on creusera le chenal du Saint-Laurent, ouvrant ainsi tout le fleuve à des navires de plus fort tonnage.
Montréal se trouve alors en bonne position pour dépasser la capitale. Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, elle lui porte deux coups fatals: démographie et chemin de fer. En effet, de 1850 à 1900, la population de Québec est pratiquement stagnante alors que celle de Montréal décolle. De 1820 à 1850, le nombre d’habitants de Québec est passé de 20 000 à environ 50 000. Les deux villes sont alors semblables mais, à partir de 1850, Montréal distance rapidement Québec. Si bien qu’à la fin du XIXe siècle, la capitale compte 70 000 habitants tandis que Montréal a gonflé au point d’atteindre 268 000 personnes, devenant ainsi un important marché de consommateurs. Québec ne comblera jamais l’écart.
La force gravitationnelle de l’étoile massive montréalaise attire inexorablement le flot humain. L’étoile de Québec pâlit, mais ne meurt pas. «Il faut toujours transborder les marchandises à Québec, précise Marc Vallières, mais le transport des produits d’importation vers Montréal est de plus en plus facile.»
Deuxième coup fatal: le chemin de fer. Les navires à vapeur remontent de plus en plus fréquemment vers Montréal, où l’existence d’un bon réseau ferroviaire transforme cette ville en plaque tournante ouverte sur le continent. Pendant ce temps, les habitants de Québec regardent passer le train de l’autre côté du fleuve, à Lévis, reliée au premier réseau ferroviaire de la province, le Grand Tronc, construit entre 1854 et 1860. Ce n’est qu’en 1879 que Québec entend les sifflements de locomotives de son côté du fleuve. Un quart de siècle de retard qui pèsera lourd sur le développement économique de la ville.
1867-1945: difficile industrialisation
Québec entre dans l’ère industrielle au cours des années 1870. Elle y entre à genoux, ou presque. De 1860 à 1870, la construction de navires en bois s’effondre complètement. Dorénavant, les navires seront en fer. «Québec n’a pas alors l’infrastructure pour se lancer dans ce type de construction dans un contexte de concurrence internationale», mentionne Marc Vallières.
Cette crise suit de près un autre dur coup pour l’économie locale. Au cours de la période 1840-1860, la Grande-Bretagne est devenue libre-échangiste. Elle a progressivement éliminé les tarifs qui favorisaient le bois du Québec. Heureusement, les prix se maintiennent un certain temps, ce qui atténue le choc sans empêcher, toutefois, le déclin de l’industrie numéro un de Québec.
La Grande-Bretagne comme seul et unique marché devient d’ailleurs une réalité du passé. Le commerce avec les États-Unis fleurit et il se crée un ensemble économique canadien dont les politiques tarifaires influenceront la production industrielle locale dès les années 1870-1880. «Dans ce contexte, ajoute Marc Vallières, Montréal devient la capitale financière et ferroviaire, une plaque tournante, tandis que Québec est marginalisée.»
Jusqu’ici, l’économie de Québec repose sur des travailleurs qualifiés, d’habiles artisans maîtres dans la construction navale ou dans la cordonnerie, pour ne citer que deux exemples. Mais cela aussi est du passé. Dans cette deuxième moitié du XIXe siècle, s’amorce la mécanisation des usines et la possibilité d’engager des ouvriers sans qualification. À Québec, l’industrie de la chaussure est une des premières à vivre la transformation. À Montréal, plusieurs secteurs carburent déjà à la mécanisation du travail, dont celui de la métallurgie.
Un certain démarrage industriel se fait malgré tout sentir. «Entre 1880 et 1930, précise Marc Vallières, puis pendant la Seconde Guerre mondiale, Québec est une ville majoritairement industrielle. Le port, mis à mal par la baisse du commerce du bois, se tourne avec succès vers l’exportation de produits miniers, forestiers et céréaliers, mais il perd son statut pour les importations.»
Malgré l’absence d’avantages concurrentiels, quelques industries s’établissent et prospèrent: cuir, tannerie et chaussures, métallurgie, fabrication de cigarettes… L’industrie dominante de l’époque sera une papetière, l’Anglo Pulp and Paper. C’est vers la fin des années 1920 que l’entreprise britannique installe cette usine (la plus grande au Québec) au confluent de la Saint-Charles et du Saint-Laurent.
Deux autres secteurs industriels se démarquent : la fabrication de corsets et celles de munitions. Au tournant du XXe siècle et jusque dans les années 1930, les corsets produits à Québec accaparent une bonne portion du marché canadien. Quant à la fabrication de munitions et d’armes à feu, elle gagne en importance, surtout avec la Seconde Guerre mondiale. En fait, ce conflit a apporté un regain d’énergie à l’économie de Québec. Même la construction navale a repris du poil de la bête, jusqu’à la victoire des Alliés. «Après 1945, constate M. Vallières, seule l’industrie papetière est encore importante, le reste des activités ne répondant qu’aux besoins locaux.»
1945-2008: tourisme et compagnie
«La vigueur industrielle liée à la Seconde guerre mondiale est un sursaut dans une tendance qui voit Québec basculer dans une autre économie», résume Marc Vallières. Cette autre économie est en partie un retour aux sources de la colonie. L’appareil gouvernemental prend de l’ampleur, tandis qu’émerge un important secteur institutionnel, en particulier les universités. En parallèle, Québec joue pleinement son rôle de pôle régional, notamment en ce qui concerne les activités commerciales. «Dès les années 1920, remarque l’historien, on sent déjà le virage vers ces trois secteurs: administration, éducation et commerce.»
La ville d’aujourd’hui se dessine rapidement. Des sociétés d’assurances connaissent une belle croissance, au service d’un marché francophone boudé par les institutions anglophones. Si bien qu’aujourd’hui, c’est dans la région métropolitaine de Québec que se concentrent le plus de sièges sociaux du secteur, à l’échelle de la province. Dans les années 1920 et 1930, de plus en plus de touristes découvrent Québec. La vieille ville ainsi que les sports d’hiver attirent les visiteurs qui en profitent pour faire un pèlerinage à la Basilique Sainte-Anne de Beaupré et un petit saut à l’île d’Orléans. Toutefois, cette industrie ne devient une véritable préoccupation qu’à partir des années 1960-1970, avec des projets de restauration de la place Royale et des fortifications. À l’autre bout de la 20, Montréal s’affiche sur la scène internationale avec Expo ‘67.
Les institutions d’enseignement et les centres de recherche gouvernementaux et universitaires complètent le passage à cette autre économie. Cette fois, Québec ne rate pas le bateau. Toutes proportions gardées, la capitale et sa région comptent aujourd’hui un bassin important de diplômés de haut niveau qui représentent l’avenir. Quelques secteurs attirent particulièrement l’attention avec leurs centres de recherche et leurs entreprises en croissance, dont l’optique et la photonique, le biomédical et les technologies de l’information.
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1608-1759: la porte d’entrée
Il était une fois quelques centaines de Français, mi-colons, mi-aventuriers, accrochés entre le Saint-Laurent et le cap Diamant en un lieu qu’on appelle Québec.
Nous sommes au début du XVIIe siècle. Rapidement, les Amérindiens découvrent que le lustre de leurs fourrures fait briller les yeux de ces Européens. La traite des fourrures devient ainsi la première grande activité économique de la Nouvelle-France. Québec est alors l’entrepôt de fourrures de la colonie tandis que Montréal, fondée en 1642, n’est que le point de départ des expéditions vers l’ouest du territoire.
Québec jouit d’un avantage concurrentiel de taille qui en fera la principale ville de Nouvelle-France pendant au moins 150 ans: elle est d’abord un port, incontournable porte d’entrée et de sortie de la colonie. À une époque où il faut savoir manier la voile pour naviguer, le tronçon de fleuve situé en amont du Cap Diamant se montre rébarbatif au passage de grands voiliers. Québec devient donc l’endroit idéal pour le transbordement de marchandises entre navires de haute mer et plus petites embarcations aptes à s’engager plus avant sur le Saint-Laurent. Parmi ces marchandises, figurent les fourrures qui partent pour la France et les produits de consommation qui en arrivent: textiles, boissons, objets de métal, matériel pour la traite des fourrures. Sans oublier les immigrants.
Par sa position stratégique, la ville fondée en 1608 par l’énigmatique Samuel de Champlain est aussi le haut lieu de l’administration de la Nouvelle-France, fonction qui s’accompagne d’une importante garnison militaire, complétant ainsi le triangle économique de la ville. «Québec a un statut de capitale et une fonction défensive et militaire très importante à l’époque, note Marc Vallières, spécialiste de l’histoire économique et administrative du Québec au Département d’histoire. Port, administration et garnison militaire restent le cœur de l’activité économique de la ville de Québec jusqu’au milieu du XIXe siècle, même sous le régime anglais.» Retraité depuis peu de l’Université, M. Vallières met la dernière main à un ouvrage en deux volumes sur l’histoire de Québec, dont il est coauteur. Cet ouvrage paraîtra au cours de l’année 2008.
Centre de décision de la colonie, Québec est le théâtre d’activités liées à la navigation, comme un peu de construction navale encouragée par l’État, surtout à partir du XVIIIe siècle. Des industries plus courantes, de type artisanal, qui répondent à une partie des besoins de la population locale, s’y développent aussi. La Nouvelle-France est une colonie. Dans le système mercantiliste qui prévaut à l’époque, elle fournit donc des matières premières (fourrures, parfois des surplus de céréales et bientôt du bois) et elle constitue un marché, bien que modeste, pour les produits finis de la mère patrie.
1759-1867: Changement de garde et de technologies
Après la célèbre défaite de Montcalm, la colonie est dans l’incertitude. Le conflit entre l’Angleterre et ce qui deviendra les États-Unis assombrit le paysage. Conséquence: l’activité économique de Québec stagne.
La Conquête marque un changement de la classe marchande. Alors que les commerçants français plient bagage ou délaissent l’activité, les marchands britanniques s’implantent graduellement. Il faut toutefois attendre le tournant du siècle pour sentir un véritable démarrage économique de la colonie. Deux forces vont alors jouer: l’immigration britannique et le commerce du bois.
Québec demeure la porte d’entrée de la colonie et c’est ici que les immigrants débarquent. Cependant, la ville retient très peu les nouveaux arrivants, qui prennent la direction de l’ouest. La plaine fertile de Montréal les attire, mais surtout la région qui deviendra le sud de l’Ontario, où ils rejoignent une population d’origine anglo-saxonne. De 1800 à 1880, le port de Québec voit défiler plus de 1,5 million d’immigrants. De ce nombre, seulement 20 000 choisissent Québec comme lieu de résidence. D’un point de vue économique, la ville profite peu du passage de ces migrants.
Aussi impressionnant que dût être le débarquement humain, c’est l’exportation du bois qui occupe la place centrale de l’activité portuaire. De 1810 à 1900, Québec constitue un port de première importance pour l’exportation du bois destiné à la construction navale et de bâtiments en Angleterre. Le blocus continental de Napoléon oblige les Britanniques à se tourner davantage vers les forêts du Québec. Une fois le blocus levé, l’Angleterre maintiendra des tarifs préférentiels pour le bois du Canada, à l’avantage de Québec, de son port et de sa classe marchande.
Dès le début du XIXe siècle, les fourrures glissent dans l’histoire. Les marchands britanniques se concentrent davantage sur l’importation d’une gamme très étendue de produits qui répondent aux besoins des élites locales, mais aussi des produits de base, comme les alcools et le coton. Québec est alors un des maillons du réseau commercial mondial de l’Angleterre. À partir de 1820-1830, toute une industrie se greffe au commerce du bois, dont la construction navale.
Pendant ce temps, Montréal prend de l’expansion. La future métropole a de l’espace et de belles terres cultivables. «La possibilité d’installer une population est moins grande à Québec puisque le territoire agricole y est plus restreint», explique Marc Vallières. En 1830, Québec demeure un port de première importance, tourné vers l’Europe, tandis que Montréal est davantage branchée sur tout l’est du continent américain.
Tout va quand même bien pour Québec, mais son avantage concurrentiel numéro un perd du poids. Autour de Montréal, les conditions de navigation s’améliorent. Déjà, dans les années 1820, on aménage le canal Lachine et tout un réseau de canaux qui permettent de passer de Montréal aux Grands-Lacs. Dès les années 1810-1820, des navires à vapeur et à fond plat partent de Québec vers Montréal. Et au cours des années 1850, on creusera le chenal du Saint-Laurent, ouvrant ainsi tout le fleuve à des navires de plus fort tonnage.
Montréal se trouve alors en bonne position pour dépasser la capitale. Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, elle lui porte deux coups fatals: démographie et chemin de fer. En effet, de 1850 à 1900, la population de Québec est pratiquement stagnante alors que celle de Montréal décolle. De 1820 à 1850, le nombre d’habitants de Québec est passé de 20 000 à environ 50 000. Les deux villes sont alors semblables mais, à partir de 1850, Montréal distance rapidement Québec. Si bien qu’à la fin du XIXe siècle, la capitale compte 70 000 habitants tandis que Montréal a gonflé au point d’atteindre 268 000 personnes, devenant ainsi un important marché de consommateurs. Québec ne comblera jamais l’écart.
La force gravitationnelle de l’étoile massive montréalaise attire inexorablement le flot humain. L’étoile de Québec pâlit, mais ne meurt pas. «Il faut toujours transborder les marchandises à Québec, précise Marc Vallières, mais le transport des produits d’importation vers Montréal est de plus en plus facile.»
Deuxième coup fatal: le chemin de fer. Les navires à vapeur remontent de plus en plus fréquemment vers Montréal, où l’existence d’un bon réseau ferroviaire transforme cette ville en plaque tournante ouverte sur le continent. Pendant ce temps, les habitants de Québec regardent passer le train de l’autre côté du fleuve, à Lévis, reliée au premier réseau ferroviaire de la province, le Grand Tronc, construit entre 1854 et 1860. Ce n’est qu’en 1879 que Québec entend les sifflements de locomotives de son côté du fleuve. Un quart de siècle de retard qui pèsera lourd sur le développement économique de la ville.
1867-1945: difficile industrialisation
Québec entre dans l’ère industrielle au cours des années 1870. Elle y entre à genoux, ou presque. De 1860 à 1870, la construction de navires en bois s’effondre complètement. Dorénavant, les navires seront en fer. «Québec n’a pas alors l’infrastructure pour se lancer dans ce type de construction dans un contexte de concurrence internationale», mentionne Marc Vallières.
Cette crise suit de près un autre dur coup pour l’économie locale. Au cours de la période 1840-1860, la Grande-Bretagne est devenue libre-échangiste. Elle a progressivement éliminé les tarifs qui favorisaient le bois du Québec. Heureusement, les prix se maintiennent un certain temps, ce qui atténue le choc sans empêcher, toutefois, le déclin de l’industrie numéro un de Québec.
La Grande-Bretagne comme seul et unique marché devient d’ailleurs une réalité du passé. Le commerce avec les États-Unis fleurit et il se crée un ensemble économique canadien dont les politiques tarifaires influenceront la production industrielle locale dès les années 1870-1880. «Dans ce contexte, ajoute Marc Vallières, Montréal devient la capitale financière et ferroviaire, une plaque tournante, tandis que Québec est marginalisée.»
Jusqu’ici, l’économie de Québec repose sur des travailleurs qualifiés, d’habiles artisans maîtres dans la construction navale ou dans la cordonnerie, pour ne citer que deux exemples. Mais cela aussi est du passé. Dans cette deuxième moitié du XIXe siècle, s’amorce la mécanisation des usines et la possibilité d’engager des ouvriers sans qualification. À Québec, l’industrie de la chaussure est une des premières à vivre la transformation. À Montréal, plusieurs secteurs carburent déjà à la mécanisation du travail, dont celui de la métallurgie.
Un certain démarrage industriel se fait malgré tout sentir. «Entre 1880 et 1930, précise Marc Vallières, puis pendant la Seconde Guerre mondiale, Québec est une ville majoritairement industrielle. Le port, mis à mal par la baisse du commerce du bois, se tourne avec succès vers l’exportation de produits miniers, forestiers et céréaliers, mais il perd son statut pour les importations.»
Malgré l’absence d’avantages concurrentiels, quelques industries s’établissent et prospèrent: cuir, tannerie et chaussures, métallurgie, fabrication de cigarettes… L’industrie dominante de l’époque sera une papetière, l’Anglo Pulp and Paper. C’est vers la fin des années 1920 que l’entreprise britannique installe cette usine (la plus grande au Québec) au confluent de la Saint-Charles et du Saint-Laurent.
Deux autres secteurs industriels se démarquent : la fabrication de corsets et celles de munitions. Au tournant du XXe siècle et jusque dans les années 1930, les corsets produits à Québec accaparent une bonne portion du marché canadien. Quant à la fabrication de munitions et d’armes à feu, elle gagne en importance, surtout avec la Seconde Guerre mondiale. En fait, ce conflit a apporté un regain d’énergie à l’économie de Québec. Même la construction navale a repris du poil de la bête, jusqu’à la victoire des Alliés. «Après 1945, constate M. Vallières, seule l’industrie papetière est encore importante, le reste des activités ne répondant qu’aux besoins locaux.»
1945-2008: tourisme et compagnie
«La vigueur industrielle liée à la Seconde guerre mondiale est un sursaut dans une tendance qui voit Québec basculer dans une autre économie», résume Marc Vallières. Cette autre économie est en partie un retour aux sources de la colonie. L’appareil gouvernemental prend de l’ampleur, tandis qu’émerge un important secteur institutionnel, en particulier les universités. En parallèle, Québec joue pleinement son rôle de pôle régional, notamment en ce qui concerne les activités commerciales. «Dès les années 1920, remarque l’historien, on sent déjà le virage vers ces trois secteurs: administration, éducation et commerce.»
La ville d’aujourd’hui se dessine rapidement. Des sociétés d’assurances connaissent une belle croissance, au service d’un marché francophone boudé par les institutions anglophones. Si bien qu’aujourd’hui, c’est dans la région métropolitaine de Québec que se concentrent le plus de sièges sociaux du secteur, à l’échelle de la province. Dans les années 1920 et 1930, de plus en plus de touristes découvrent Québec. La vieille ville ainsi que les sports d’hiver attirent les visiteurs qui en profitent pour faire un pèlerinage à la Basilique Sainte-Anne de Beaupré et un petit saut à l’île d’Orléans. Toutefois, cette industrie ne devient une véritable préoccupation qu’à partir des années 1960-1970, avec des projets de restauration de la place Royale et des fortifications. À l’autre bout de la 20, Montréal s’affiche sur la scène internationale avec Expo ‘67.
Les institutions d’enseignement et les centres de recherche gouvernementaux et universitaires complètent le passage à cette autre économie. Cette fois, Québec ne rate pas le bateau. Toutes proportions gardées, la capitale et sa région comptent aujourd’hui un bassin important de diplômés de haut niveau qui représentent l’avenir. Quelques secteurs attirent particulièrement l’attention avec leurs centres de recherche et leurs entreprises en croissance, dont l’optique et la photonique, le biomédical et les technologies de l’information.
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