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Hiver 2008

François Leclerc au temps de Champlain

Pour le 400e anniversaire de Québec, ce diplômé a recréé l'environnement musical du fondateur de Québec.

À 18 ans, François Leclerc était déjà un phénomène: il préférait la musique ancienne aux airs populaires ou aux grands classiques, et pouvait se prononcer sur les scandales de la papauté du XIIIe siècle. Arrivé à la Faculté de musique à la fin des années 1970, voilà que ce luthiste et guitariste s’acoquine avec d’autres amoureux des instruments anciens, qu’il s’agisse du sacqueboute, l’ancêtre du trombone, ou de la viole de gambe, chère au compositeur Marin Marais dans le film Tous les matins du monde. Puis il se joint à un trio de guitares qui couvre quatre siècles de répertoire. Et en 1989, il fonde Viamusique, un organisme qui offre concerts et conférences sur la musique ancienne, qu’il dispense en solo ou avec ses divers ensembles musicaux: Stadaconé récemment devenu Terra Nova (répertoire de l’Amérique française), Memoria (Moyen-Âge), Mozaïka (guitares d’Orient et d’Occident).

Avec un tel bagage, rien d’étonnant que François Leclerc (Musique 1982) se consacre depuis plusieurs années à la préparation du 400e anniversaire de Québec! Pour lui et ses complices du groupe Terra Nova, associés pour l’occasion à des musiciens français, 2008 a démarré dès la fin 2006, avec la sortie du disque En compagnie de Samuel de Champlain, de Brouage à Québec. Un album qui s’était vendu à 2000 exemplaires avant même que les festivités ne commencent. Un autre CD d’œuvres musicales composées peu après la fondation de Québec sortira en février. Sans compter la présentation, un peu partout dans la région de Québec, d’une pièce de théâtre musical où Champlain tient la vedette. Trois projets qui portent la marque de ce passionné d’histoire et de musique ancienne, qui trouve aussi le temps d’être chargé de cours à la Faculté de musique et professeur au cégep de Sainte-Foy en guitare.

Oublier le XXIe siècle

François Leclerc attend encore l’invention d’une machine à remonter le temps permettant d’apparaître incognito dans la cour d’Henri VIII ou au milieu d’une noce paysanne du XVIe siècle. En l’absence d’une telle technologie, il a décidé d’utiliser les notes du luth, de la viole et de la cornemuse pour transporter musiciens et spectateurs sur un tapis musical capable d’enfiler les siècles à l’envers. «En écoutant ou en jouant des sonorités archaïques, on peut oublier le XXIe siècle et retrouver le parfum d’une autre époque.»

Généralement, son voyage à travers le temps démarre dans les rayons particulièrement bien pourvus de la bibliothèque de l’Université Laval. Des milliers de pièces musicales, écrites il y a plusieurs siècles, reposent dans des recueils acquis au fil des décennies. Le diplômé passe donc des heures à lire les partitions de l’époque qu’il veut illustrer, en quête d’une mélodie capable de séduire un public d’aujourd’hui. Un air qu’on pourrait entonner sous sa douche, pour le plaisir.

Pour retrouver la musique qu’aurait pu entendre Champlain, les ressources des bibliothèques québécoises n’ont pourtant pas suffi. François Leclerc a donc franchi l’Atlantique et continué sa recherche du côté français, plus précisément à La Rochelle, Brouage et Saint-Onge, des lieux familiers au fondateur de Québec. «En ces temps-là, la démarcation était mince entre la musique populaire et la musique savante, jouée dans les cours d’Henri IV ou de Louis XIII que l’explorateur a fréquentées, explique François Leclerc. Souvent, les compositeurs puisaient leur répertoire dans les airs des paysans.»
 
Dans le disque En compagnie de Samuel de Champlain…, M. Leclerc a voulu donner un aperçu des différents registres musicaux en vogue à l’époque, tant chez les nobles, que chez les agriculteurs et les commerçants. Au début du XVIIe siècle, assure-t-il, la musique faisait partie de la vie. «Par exemple, Champlain avait fondé à Port-Royal l’Ordre de Bon temps, qui organisait des soupers où se mêlaient musique et poésie.»

Le disque offre même une incursion du côté de la musique des Amérindiens, un style dont il reste peu de traces écrites.Toujours soucieux de coller à l’esprit de l’époque, François Leclerc s’est inspiré d’un document rédigé à la volée par un poète et historien, qui accompagnait Samuel de Champlain lors de son premier voyage en Acadie vers 1604, pour écrire une pièce musicale à saveur amérindienne. «Un jour, des “Sauvages”, comme on les appelait à l’époque, chantaient de l’autre côté d’une rivière et Marc Lescarbot a transcrit les notes sur un aide-mémoire, sans partition», raconte ce détective musical.

Bien décidé à mieux faire découvrir Samuel de Champlain, dont on ignore jusqu’à la date de naissance, François Leclerc s’est aussi associé à un metteur en scène d’opéra et d’opérette, Cyrille-Gauvin Francœur, pour produire une pièce de théâtre musical, un genre très populaire au XVIIe siècle. Intitulée De Brouage à Québec, la pièce revient sur les principaux épisodes de la vie de l’explorateur qui, sur scène, se confie à une comtesse un brin prétentieuse. Entre les dialogues: des airs de musique d’époque exécutés par un trio. Une quarantaine de représentations sont déjà prévues de janvier à octobre, en particulier devant des personnes âgées ou peu mobiles qui pourraient avoir de la difficulté à participer aux festivités du 400e.

Quand Shakespeare visite Blanc-Sablon

Ce souci de faire découvrir la musique à un large public illustre bien l’approche de François Leclerc. Guitariste et luthiste accompli, il pourrait se contenter de jouer un répertoire ancien devant des mélomanes qui goûtent la subtilité des notes émises par ses répliques d’instruments vieux de quatre ou cinq siècles. Seulement voilà, il s’est donné pour mission de faire découvrir ce genre musical ignoré aux néophytes, en misant sur le plaisir de la découverte, que ce soit à l’école, dans les bibliothèques, dans les musées ou à l’université.

«J’adore régler mon réveil sur cinq heures du matin et partir comme un routier pour Baie-Comeau ou prendre l’avion pour Blanc-Sablon, glisse le diplômé. Si vous voyiez les yeux ronds des enfants lorsque je leur raconte des histoires de ducs, de Shakespeare ou de Léonard de Vinci, tout en leur jouant de la musique ancienne!»

«C’est un bon conteur, confirme Liette Remon (Éducation musicale 1998), qui joue de la vièle à archet depuis une décennie avec lui dans le groupe Terra Nova. Il parle aux gens avec simplicité, les attire vers la musique en expliquant, par exemple, que le Sieur de Maisonneuve transportait un luth avec lui lorsqu’il est arrivé en Nouvelle-France. Ses présentations reposent beaucoup sur les instruments anciens. Écouter le son d’une vièle, cela crée tout de suite une intimité, cela amène ailleurs.»

Recette gagnante

C’est un peu par hasard que François Leclerc a mis au point la recette gagnante qui lui a permis de présenter plusieurs milliers de concerts de musique ancienne devant les publics les plus variés. L’aventure a démarré à Québec avec le Musée de la civilisation à l’occasion d’un spectacle thématique lié à une exposition sur les chevaliers d’Autriche du Moyen-Âge. Un premier disque a ainsi vu le jour en 1995, inspiré par la musique que le personnage central, l’empereur Maxmilien 1er, avait pu entendre à la cour. Plusieurs autres albums ont suivi, dont la trame musicale de l’exposition du Musée de la civilisation Gratia Dei, autour du Moyen-Âge, et Il était une fois en Amérique française, à la fois trame musicale et disque officiel de l’exposition du même nom, présentée au Musée canadien des civilisations en 2004-2005.

D’autres projets sont déjà en route avec le Musée de la civilisation, tandis que Terra Nova prévoit une tournée en France, en 2009. Preuve que l’histoire musicale de la Nouvelle-France continuera à susciter de l’intérêt lorsque les bougies du 400e anniversaire seront éteintes!

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