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Hiver 2008

Chambardement végétal sur la colline

À l'arrivée de Champlain, le sommet du cap Diamant était couvert de forêts et ne comptait pas un seul pissenlit!

À bord du traversier Québec-Lévis, d’où un panorama couvrant 400 ans d’histoire s’offre sans retenue au regard, une question s’impose à l’esprit: qu’y avait-il ici avant? Avant Place Royale, avant le Vieux-Port, avant le château Frontenac, les fortifications, les plaines d’Abraham, l’asphalte, la brique et le béton, lorsque le premier regard européen s’est posé sur ce monde neuf? Si, comme les touristes actuels, Champlain s’était fait photographier devant le cap Diamant, quels paysages, quelles plantes et quels animaux aurait-on aperçu en arrière-plan, et qu’en reste-t-il aujourd’hui?

Au cours des dernières années, des chercheurs de l’Université ont accumulé des indices qui permettent d’avancer quelques réponses. Certains morceaux manquent encore au casse-tête mais, déjà, d’étonnants détails sur la véritable identité de notre patrimoine naturel crèvent l’image.

Lire dans le charbon

Brigitte Talon, Serge Payette, Louise Filion et Ann Delwaide, du Centre d’études nordiques, ont brossé les grands traits de l’histoire végétale de la région à l’aide de charbons de bois. En effet, ces restes végétaux calcinés, que les incendies de forêt laissent sur leur passage, se conservent pendant des millénaires dans le sol. En identifiant l’espèce dont ils proviennent et en les datant au radiocarbone, les chercheurs peuvent décrypter une partie de l’histoire d’un site forestier.

Les quelque 300 charbons de bois qu’ils ont découverts lors de fouilles effectuées dans la réserve écologique de Tantaré, à 40 km au nord de Québec, montrent que les arbres n’ont pas mis de temps à envahir le territoire après le retrait des glaciers, il y a 12 000 ans. Les épinettes étaient déjà présentes 10 400 ans avant aujourd’hui, et les premiers érables et bouleaux les auraient suivies moins de 1400 ans plus tard. Huit feux auraient ravagé cette forêt, mais tous auraient eu lieu il y a plus de 6300 ans. «La formation d’une érablière et les conditions d’humidité qu’elle a créées pourraient expliquer l’arrêt des feux à partir de cette époque», avance Serge Payette.

Tourbière, dis-moi…

Pour obtenir une image plus détaillée de l’évolution du couvert forestier de Québec, d’autres chercheurs se sont tournés vers les tourbières. Pauvres en oxygène, ces milieux sont propices à la conservation du matériel biologique qui s’y dépose et se retrouve enfoui sous la surface à mesure que de nouvelles plantes croissent. Ainsi, les variations d’abondance de grains de pollen de chaque espèce à différentes profondeurs du sol permet de reconstituer l’évolution du paysage végétal d’une région.
 
Même si, en raison de son relief, la colline de Québec, qui s’étend du cap Diamant à Cap-Rouge, est peu propice à l’établissement de tourbières, elle en abritait tout de même quelques-unes, dont la tourbière de Sillery, située juste à l’est du campus, et la tourbière de Pointe Sainte-Foy, à l’extrême ouest de la colline. Les derniers lambeaux de la première sont disparus en 1948 et la seconde a été remblayée dans les années 1980. Toutes les tourbières qui occupaient les premières loges pour assister aux changements de décor de la colline de Québec ont donc disparu, mais il en reste une qui, du fond de la salle, a tout vu: la tourbière de la base de plein air de Sainte-Foy.

En 1979, l’étudiant-chercheur Alayn Larouche, alors dirigé par le professeur Miroslav Grandtner de la Faculté de foresterie et de géomatique, a déterminé que la sapinière à bouleau blanc dominait la végétation de Québec, il y a 5500 ans. Puis, à la faveur de températures plus clémentes, l’érablière à bouleau jaune lui a succédé pendant 250 ans, avant que l’érablière laurentienne, dominée par l’érable à sucre et le tilleul américain, n’amorce son règne de cinq millénaires.
 
L’arrivée des premiers colons a laissé son empreinte dans les dépôts de tourbe: le défrichage des terres et l’exploitation forestière ont provoqué une chute marquée de l’abondance des grains de pollen d’arbres, note l’étudiant-chercheur. «Les espèces les plus affectées sont l’érable à sucre, le hêtre à grandes feuilles, le pin blanc et la pruche du Canada… L’érablière laurentienne est alors presque éliminée de la région de Québec.»
 
En 2006, Gabriel Magnan, un étudiant membre de l’équipe du professeur Martin Lavoie, au Département de géographie, a répété le même exercice dans une tourbière située à Beaupré. Les résultats obtenus là-bas confirment, en gros, le scénario régional décrit à la tourbière de Sainte-Foy.

Qu’on interroge les charbons de bois ou les tourbières, une même réponse s’impose: l’érablière laurentienne s’est établie comme élément dominant du paysage de Québec il y a plus de 5000 ans, et c’est ce type de forêt qui recouvrait la plus grande partie de Québec lorsque Champlain y est débarqué.

Défrichage et invasions

Que reste-t-il des forêts naturelles de la colline de Québec? Pas grand-chose, répondait Guy Baillargeon, en 1981, dans le mémoire de maîtrise supervisé par le professeur Robert Gauthier et déposé au Département de phytologie. «Entre 1608 et 1685, environ 50% des forêts de la colline ont été abattues», écrivait-il alors. La proportion de terres défrichées se stabilise par la suite et ce n’est qu’après la Seconde guerre mondiale que les zones boisées subissent à nouveau des modifications profondes.
 
De ces vastes forêts, il ne subsiste au-jourd’hui que quelques vestiges épars, notamment à Pointe Sainte-Foy et sur le campus de l’Université Laval, observait l’auteur. Même la flore de l’escarpement sud de la colline de Québec, pourtant difficile d’accès, a changé de physionomie; seule la section située entre le parc de la falaise de Sillery et la plage Jacques-Cartier serait demeurée à peu près intacte.

L’inventaire floristique et la consultation de spécimens d’herbiers effectués par Guy Baillargeon ont révélé que la colline de Québec a subi de profondes mutations au cours des derniers siècles. D’une part, la flore indigène a perdu 155 espèces aux mains de l’urbanisation. D’autre part, 377 des 867 espèces de plantes trouvées aujourd’hui sur la colline de Québec, soit 43%, sont d’origine exotique. Un site Web interactif (www.herbier.ulaval.ca), préparé par le personnel de l’Herbier Louis-Marie à l’occasion du 400e anniversaire de Québec, présente des cartes de distribution qui permettent de visualiser ces transformations.

Porte ouverte aux espèces eurasiennes

«Le fait que Québec ait une longue histoire portuaire explique en partie le fort pourcentage de plantes exotiques qu’on y trouve», souligne Claude Lavoie, professeur à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional. Ce spécialiste des plantes envahissantes estime qu’environ 60% de ces espèces ont été introduites accidentellement, entre autres par le biais de graines mêlées au sable utilisé à l’époque pour lester les bateaux. Les autres ont été apportées ici volontairement à des fins horticoles ou fourragères.

La quasi-totalité des plantes de nos milieux ouverts –marguerite, pissenlit, mauve, trèfle, mil, chiendent, bouton d’or, chicorée, etc.– provient d’Eurasie. «Les plantes indigènes pouvaient difficilement rivaliser avec les espèces européennes adaptées aux milieux ouverts, de sorte que ces dernières dominent sur le plan de l’abondance dans les habitats transformés par l’homme», ajoute-t-il.

Un scénario similaire s’est produit du côté des insectes, ont révélé les travaux qu’Allison Bain, professeure au Département d’histoire, a effectués à l’îlot Hunt dans le Vieux-Port de Québec. En effectuant des fouilles dans une fosse à vidanges utilisée entre 1850 et 1900, l’archéologue a découvert des restes de 6755 insectes appartenant à 148 espèces, dont 71 espèces d’origine exotique comme les punaises de lit, certaines blattes ou le charançon du riz. Loin d’être rares, ces bestioles venues d’ailleurs représentent 79% de tous les spécimens inventoriés. Une bonne partie de ces insectes s’attaquaient aux réserves de nourriture et aux autres effets trouvés dans les habitations de l’époque.

Pour sa part, André Desrochers, professeur au Département des sciences du bois et de la forêt, signale que certaines espèces d’oiseaux ont souffert de la colonisation de Québec: la tourte voyageuse et les oiseaux de proie forestiers, notamment. Par contre, d’autres en ont largement profité. «La plupart des oiseaux que nous voyons chaque jour à Québec appartiennent à trois espèces introduites: le moineau domestique, l’étourneau sansonnet et le pigeon biset», souligne-t-il.

Tout compte fait, le caractère européen de la ville de Québec ne réside peut-être pas uniquement dans ses vieilles pierres. Les premiers arrivants venus d’outre-Atlantique ont apporté ici leur culture, bien sûr, mais ils ont aussi trimbalé dans leur baluchon, volontairement ou non, une partie de leur patrimoine naturel, dont le métissage avec la flore et la faune indigènes a transformé profondément et à jamais le visage de la Nouvelle-France et de l’Amérique. Étant l’une des premières grandes portes par laquelle l’héritage naturel eurasien a fait son entrée dans le Nouveau-Monde, Québec mérite, à ce chapitre également, son titre de ville du patrimoine mondial.
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