Dialogue sur l’égalité au travail
Publié le 10 octobre 2017 | Par Sophie Brière
La mixité au travail dans les services correctionnels
Lorsque mon équipe et moi avons amorcé le projet de recherche sur la progression et la rétention des femmes dans des métiers traditionnellement masculins, les agentes de services correctionnels dans les centres de détention au Québec sont apparues comme un incontournable. Depuis quelque temps, on nous présente des émissions de télé sur la vie en milieu carcéral où l’on voit des agentes en plein travail. À la suite de notre recherche, je peux vous affirmer que ces femmes ne sont pas des token1, soit quelques femmes qu’on met de l’avant pour montrer qu’on en embauche! Au contraire, il y en a vraiment beaucoup, même dans les prisons où les détenus sont des hommes. Et le milieu a su s’adapter à la situation.
Gérer le changement
Ce fait peut sembler étonnant, puisqu’on présente rarement les chiffres concernant ce corps de métier: les agentes représentent maintenant 40% des effectifs, atteignant même 48% dans les plus grands centres de détention au Québec. Ce n’est pas tout; au-delà de cette fulgurante progression, les données recueillies nous montrent que les femmes y font carrière avec un taux de rétention d’environ 95%. Si vous n’êtes pas encore convaincu que cette situation mérite toute notre attention, mis à part la découverte de ce milieu méconnu du grand public, laissez-moi vous parler de la diversité des personnes qui occupent cet emploi. Ayant eu la chance de me rendre sur place avec mon équipe, j’ai rencontré des personnes de tous âges et de toutes origines. Je me suis même sentie replongée dans mes projets de développement international! En voyant ma réaction, on m’a dit que, dans certains centres, les agents étaient originaires d’une vingtaine de pays différents. Voilà donc pour nous un véritable laboratoire d’analyse intersectionnelle2 permettant de mieux comprendre l’incidence de la mixité et de la diversité sur les parcours professionnels et les pratiques organisationnelles.
Il y aurait tant à dire sur ce métier difficile et dont on parle peu. Avant nos travaux, des études ont été menées sur les situations stressantes et l’épuisement professionnel auxquels sont confrontées les personnes qui travaillent dans ce secteur 3. Cela est particulièrement vrai pour les femmes, qui ont eu à faire leur place auprès des détenus et de collègues ne sachant pas trop comment réagir face à ces consœurs qui venaient changer leur quotidien et leurs habitudes de travail. Sur la base de rencontres avec une quarantaine d’agentes et d’agents ainsi qu’avec des membres de la direction de centres de détention, j’ai décidé de vous parler, dans ce billet, de l’incidence sur le milieu de cette arrivée massive des femmes. Ce sujet, beaucoup moins documenté, permet d’explorer de quelles façons les organisations peuvent gérer le changement et adapter leurs pratiques.
Se diviser les tâches et adapter les protocoles
Cette adaptation, on la constate d’abord dans la répartition du travail. Parce que les organisations leur offraient des directives d’embauche claires, une formation adéquate et la possibilité d’avoir un bon salaire et des avantages sociaux, les femmes ont intégré les équipes de travail afin d’effectuer les mêmes tâches que leurs collègues masculins. Pas de différenciation, donc, puisque les équipes de travail sont composées des personnes présentes pour le quart de travail. La seule exception est la fouille à nu des détenus masculins. Dans la perspective où on veut favoriser la mixité, cette exception représente un irritant important pour lequel des mesures de rechange devraient être envisagées.
Pour ce qui est des procédures, c’est avec une quasi-unanimité que les personnes interviewées nous ont parlé des modifications apportées aux protocoles d’intervention afin de faire davantage place au dialogue qu’à la violence. Pour certains, cela vient du fait que les femmes sont moins aptes à utiliser la force physique alors que pour d’autres, cela s’explique par le fait que les femmes sont plus portées à dialoguer. Au-delà des raisons ou des stéréotypes qui peuvent expliquer cette situation, il s’avère que cette mixité dans les interventions profite à tout le monde, tant aux hommes qui ont envie de dialoguer pour régler un conflit qu’à ceux qui tendent à utiliser les outils à leur disposition (ex. : poivre de Cayenne) pour amoindrir la situation. Elle leur permet aussi d’exercer plus facilement leur travail de réinsertion auprès des détenus. Ces changements coïncident également avec la nécessité de mieux documenter les procédures relatives aux droits des personnes incarcérées.
Concilier travail et famille
Une autre adaptation concerne la conciliation travail-famille. Il est vrai que plusieurs personnes rencontrées ont parlé des défis de s’occuper des enfants avec des horaires de travail atypiques, montrant ainsi que davantage de ressources devraient être consacrées aux services de garde ou à un réseau de soutien. Cela dit, il est plutôt rare, lors des entrevues que nous menons, d’entendre des femmes dire qu’il n’y a aucun problème avec la conciliation travail-famille. En plus des mesures prévues, telles que le congé de maternité ou de paternité et le retrait préventif, cette conciliation est facilitée par la possibilité de choisir un quart de travail fixe en fonction de sa situation familiale ou d’avoir des mesures d’accommodements pour les parents, surtout ceux qui n’ont pas encore leur permanence. Car pouvoir conjuguer travail et famille va certainement de pair avec la possibilité de gravir les échelons dans l’organisation.
Certains agents vous diront que les femmes obtiennent des postes de décision parce qu’elles réussissent mieux aux concours ou parce qu’elles sont plus minutieuses dans les procédures de plus en plus abondantes. Au-delà de ces généralisations, des mécanismes sont en place pour permettre à ceux et à celles qui le souhaitent de fonder une famille, de prendre des responsabilités et de diversifier leurs tâches. Le fait d’accéder à un poste de décision amène à revoir la stabilité des horaires de travail, ce qui semble favoriser les personnes en début de carrière.
Travailler le vivre-ensemble
Enfin, nous avons pu constater que des changements s’amorcent en ce qui a trait aux comportements et à la culture organisationnelle, ce qui mérite d’être souligné puisque c’est sur ce plan que les résistances sont les plus présentes. Nos rencontres ont montré que le vivre-ensemble demande beaucoup d’efforts et d’ajustements de la part des femmes, mais aussi des hommes, dans ce milieu de surveillance plutôt fermé où on passe parfois de longues heures avec ses collègues. Dans ce contexte, les personnes rencontrées nous ont ouvertement parlé des difficultés et des comportements parfois hostiles entre collègues et des efforts qui sont mis à améliorer le climat de travail. Cela se traduit notamment par l’utilisation d’un langage plus convenable, par la tenue de réunions de débriefing à la suite d’événements difficiles, par des directives claires concernant le harcèlement sexuel, par le soutien d’un mentor, par un programme d’aide aux employés et par l’organisation d’activités sociales incluant les familles. Dans cet environnement où il est mal perçu de montrer une image de faiblesse et où peu de ressources sont allouées à la gestion et au développement du personnel, ces efforts sont essentiels.
Les participants nous ont dit que notre recherche avait été une occasion privilégiée et unique pour eux de parler des enjeux liés à l’égalité et aux stéréotypes présents dans leur quotidien. Espérons que le dialogue entamé se poursuivra à l’aide de différents mécanismes de communication et que d’autres actions concrètes sur ce sujet seront mises en place au sein de ces milieux en pleine transformation. De notre côté, nous les suivrons avec attention!
1 Expression utilisée dans la littérature qui consiste à mettre de l’avant quelques femmes ou à les nommer dans des postes de décision dans un milieu qui demeure fortement masculinisé. ↩
2 L’analyse intersectionnelle permet la prise en compte de l’existence des inégalités sociales basées sur le sexe, le genre, la classe sociale, l’âge, l’appartenance ethnique, etc. et la façon dont chacune d’entre elles influence la vie des personnes. ↩
3 Armstrong et Griffin, 2004; Bourbonnais et all. 2005; 2008 ↩
Note : Les commentaires doivent être apportés dans le respect d'autrui et rester en lien avec le sujet traité. Les administrateurs du site de Contact agissent comme modérateurs et la publication des commentaires reste à leur discrétion.
commentez ce billet