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L’égalité professionnelle à la rescousse du milieu policier

Étant à Paris en décembre, je me disais que mon dernier blogue de l’année pourrait être inspiré par ce séjour. Pourtant, même avec toute l’importance accordée ici au décès du chanteur Johnny Hallyday, mon attention est demeurée au Québec, en lien avec les plus récents développements concernant le milieu policier. Ce secteur a fait les manchettes avec une série de nouvelles surprenantes. Y aurait-il un lien à établir entre les enjeux qu’on y rencontre actuellement et l’égalité professionnelle sur laquelle je concentre mes recherches?

policiere

Plus rien ne va?
Qu’il s’agisse de la récente suspension du chef de la police de Montréal, Philippe Pichet, de la démission du numéro 2 de l’Unité permanente anticorruption (UPAQ), Marcel Forget, ou encore des cas d’allégations de harcèlement sexuel sur des femmes autochtones par des policiers de la Sûreté du Québec, on se demande bien ce qui passe dans ce milieu auquel seuls les initiés ont accès, mais qui pourtant regroupe des personnes dont le rôle est essentiel à notre société.

Ces nouvelles sont d’autant plus inattendues que certains corps policiers ont fait des efforts, ces dernières années, pour améliorer leurs méthodes de travail, que ce soit par la mise sur pied d’une police communautaire, la présence d’un service plus efficace en matière de communication, la professionnalisation des cadres et, surtout, l’ouverture aux femmes et à la diversité. C’est à propos de ce dernier thème que mon équipe et moi avons mené une recherche pour mieux connaître le parcours des femmes policières et les pratiques mises en place pour leur permettre de progresser dans cette profession.

Forces policières: où sont les femmes?
Nos résultats démontrent, malgré les mesures mises en place, une stagnation, voire un recul, de la présence féminine dans le milieu policier. La proportion de femmes plafonne depuis quelques années à 26%, soit une progression de seulement 6% entre 2005 et 20141. Alors que les inscriptions féminines à l’École nationale de police du Québec étaient de 45% au début des années 2000, elles sont maintenant en baisse, soit à 25% pour 2014-2015.

Quant à la nature des postes, si vous avez l’impression qu’on ne voit les femmes que dans ceux qui concernent la communication alors que des hommes se retrouvent dans les hautes sphères du pouvoir, eh bien, vous avez raison! En effet, dans les 29 organisations policières municipales et les autres services de police œuvrant sur le territoire du Québec, il y a seulement une femme chef de police. Cela représente à peine 1% de l’effectif. Un récent rapport portant sur la Sûreté du Québec2 montre aussi qu’en 2013, il n’y avait aucune femme au sein des cadres supérieurs et que seulement 6,3% de femmes formaient les cadres intermédiaires. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que les statistiques sur la diversité ne sont pas non plus au rendez-vous dans cette organisation dont les effectifs ne comptent que 2,8% de policiers et de policières appartenant à la catégorie des minorités visibles selon la terminologie de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. 

Notre collecte de données auprès d’une vingtaine de personnes, principalement des policières, nous a permis de découvrir quelques éléments qui peuvent expliquer cette situation. Après avoir essuyé plusieurs refus de la part d’organisations policières, c’est grâce à la généreuse participation de 2 services municipaux de police et à celle, presque bénévole, d’un groupe de policières, également du milieu municipal, que nous avons pu avoir accès à de l’information. Alors que les refus étaient justifiés par la non-nécessité de documenter une situation jugée favorable aux femmes, les policières et les quelques gestionnaires rencontrées étaient, au contraire, convaincues de l’importance de partager leur expérience afin de trouver des pistes de solution aux problèmes d’inégalité. Les participantes étaient aussi très intéressées à découvrir ce que d’autres milieux sont parvenus à accomplir pour favoriser la rétention et la progression des femmes, notamment le milieu carcéral et celui de l’inspection que j’ai eu l’occasion de présenter dans des billets précédents.

Jongler avec les horaires
Nous avons ainsi appris que ce n’est pas le manque de motivation des femmes qui explique leur faible présence dans le milieu policier. Bien au contraire, les policières apprécient l’aspect non routinier de leur travail et se sentent privilégiées de pouvoir servir la population. Plusieurs parlent aussi avec enthousiasme de la bonne dose d’adrénaline que leur procure ce métier. En revanche, elles nous ont parlé avec moins d’enthousiasme de leur horaire de travail.

Un des problèmes importants que nous avons relevé a trait aux horaires atypiques pour la patrouille, laquelle exige d’effectuer des rotations de jour, de soir et de nuit. Contrairement à d’autres professions, où les horaires atypiques sont fixes, cette rotation est très complexe à gérer et engendre inévitablement de la fatigue et du stress qui peuvent entraîner des problèmes de santé. Le témoignage suivant d’une policière est éloquent: «Les premières années tu ne dors plus, après tu t’habitues. Tu prends des pilules pour dormir de jour et du café pour rester éveillée la nuit. Plus on vieillit et plus c’est difficile.»  

On peut aisément s’imaginer les défis que pose ce genre d’horaire lorsqu’on a des enfants pour lesquels on doit avoir recours à un service de garde. Plusieurs des témoignages recueillis illustrent aussi des stéréotypes liés à la conciliation travail-famille, laquelle ne semble pas intégrée à la culture organisationnelle3. Nos données montrent que les femmes qui se prévalent d’un congé de maternité sont perçues comme étant «en vacances». Lorsqu’elles en prennent plus d’un successivement, on leur attribue un manque d’ambition et de passion pour le métier.

Chez les hommes, on parle de «paternité d’été», puisque leur congé de paternité est considéré comme une façon de s’offrir des vacances estivales. Enfin, un élément ajoute à la complexité des congés parentaux dans ce milieu: comme les policiers et les policières passent beaucoup de temps ensemble, particulièrement ceux et celles affectés à la patrouille, de nombreux couples se forment. On nous a mentionné que lorsqu’un enfant arrive, c’est souvent la femme qui mettra sa carrière de côté.

Le métier de policier en est effectivement un où l’on passe plusieurs heures avec ses collègues à vivre des situations souvent ardues, mais où il ne faut pas montrer ses émotions ou faire part de ses problèmes personnels. Cette culture, qui a fait l’objet de plusieurs études4, semble expliquer aussi la faible progression des femmes à des postes de décision. Notre étude a montré, statistiques à l’appui, que malgré qu’elles postulent aux concours, les femmes ne franchissent pas toutes les étapes qui mènent à l’obtention de postes décisionnels, notamment le moment de l’entrevue. Bien souvent, les femmes nous ont mentionné s’exclurent elles-mêmes du processus, doutant y parvenir. Comme la mobilité entre les services de police municipaux est presque impossible et que le dévouement total au travail fait partie des exigences internes, certaines femmes quittent la profession ou choisissent d’occuper d’autres fonctions comme celle d’enquêteuse, ce qui est perçu par leurs collèges comme un moyen d’avoir un peu plus de contrôle sur leur horaire.

À la recherche de bonnes pratiques
Lors de nos rencontres, nous avons senti une volonté réelle d’améliorer le parcours des policières. Par contre, nous avons trouvé peu d’exemples concrets de bonnes pratiques. L’une d’elles toutefois, qui concerne la gestion des situations difficiles, a particulièrement retenu notre attention. Comme plusieurs personnes se sentent jugées par leurs collègues lorsqu’elles ont recours au programme d’aide aux employés ou lorsqu’elles demandent de l’aide, un gestionnaire d’un poste de police oblige tous les membres de son équipe à consulter le psychologue sur place, ne serait-ce que pour aller lui dire bonjour, afin d’éviter que ceux qui ont réellement besoin de ses services soient jugés par leurs collègues. Dans un contexte où plusieurs femmes ont parlé de l’importance de se faire une carapace et de faire preuve de résilience, de telles mesures sont essentielles puisque chaque individu a ses propres limites et que l’accumulation de situations difficiles non gérées peut mener plusieurs personnes à quitter le milieu ou à mettre leur carrière en veilleuse.

D’autres professions ont déjà entrepris une démarche visant l’égalité et la progression des femmes. Elles ont pu constater les effets positifs qui en ont découlé, et ce, sur l’ensemble de leurs organisations. Dans cette perspective, on ne peut que souhaiter l’amorce de changements rapides dans le milieu policier. Parmi ceux-ci, un engagement réel de la part des hauts dirigeants, une révision des processus de recrutement, une rectification des conditions de travail, un meilleur accompagnement des personnes dans leur développement professionnel et un amendement des processus de nomination aux postes de décision.

J’oserais dire qu’en mettant de l’avant des femmes qui exercent un métier non traditionnel, le milieu policier a été l’un des premiers secteurs à nous convaincre que la mixité en emploi est possible. Ces attentes étant créées, nous ne pouvons qu’espérer que des actions soient prises par la profession pour éviter de perdre cette mixité et de fermer la porte aux changements bénéfiques qu’elle peut avoir sur la culture organisationnelle.

1 Ministère de la Sécurité publique (2015). Rapport sur les besoins de main-d’œuvre policière au Québec.

2 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (2015). L’accès à l’égalité en emploi – Rapport sectoriel sur les effectifs policiers de la Sûreté du Québec.

3 Les éléments culturels et cognitifs des institutions sont les conceptions partagées de la réalité sociale grâce auxquelles un sens est donné aux choses. Ces conceptions qui sont «culturellement internalisées» par les individus forment une représentation symbolique du monde extérieur. Les mots, les signes, les attitudes, les valeurs, les croyances et les comportements ont une influence et façonnent le sens que les personnes donnent aux activités dans une organisation (adaptation de Lounas, T. Théories des institutions et applications aux organisations, HEC, 2004).

4 Beauchesne, Line (2009) Être policière: une profession masculine. Montréal, QC: Bayard Canada. Chap. 5 «Femmes et policières»; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, (2015). L’accès à l’égalité en emploi – Rapport sectoriel sur les effectifs policiers de la Sûreté du Québec; Ward, A. & Prenzler, T. (2016). «Good practice case studies in the advancement of women in policing». International Journal of Police Science & Management18(4), 242-250.

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