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À la recherche de diversité en entrepreneuriat

Il y a longtemps que je voulais réaliser des recherches sur l’entrepreneuriat, mais étant spécialisée en gestion de projets dans le domaine du développement international, je voyais difficilement comment m’introduire dans cet univers dédié à la croissance et au développement économique.

entrepreneuriat

C’est après avoir écouté une conférence de l’homme d’affaires Charles Sirois à propos d’une ONG1 qu’il a créée en Afrique pour soutenir l’entrepreneuriat que j’ai saisi l’occasion, en jumelant mon expertise à celle de ma collègue Maripier Tremblay, spécialisée dans ce domaine. Notre projet de recherche visait à analyser les facteurs de succès des services offerts par cette ONG en Afrique du Sud et au Rwanda.

Une nouvelle réalité
Plongées dans le contexte africain, nous avons rapidement réalisé que transposer un modèle de soutien canadien au contexte d’un pays en développement comporte plusieurs défis. Évidemment, collecter des données sur les femmes entrepreneures nous intéressait particulièrement. Nous avons été étonnées d’apprendre que la réalité et les besoins en matière de soutien étaient sensiblement les mêmes pour les hommes et les femmes, peu importe leur âge ou leur origine ethnique. L’important, nous disait-on, est «d’avoir un bon plan d’affaires et de développer ses compétences dans le domaine.»

Notre recherche, réalisée auprès d’organismes de soutien et d’entrepreneurs en Afrique et au Québec2,a reflété une réalité bien plus complexe. Laissez-moi vous présenter quelques-uns de nos résultats et de nos réflexions. 

La promotion d’un modèle unique
Tout d’abord, bien qu’on constate depuis les dernières années une augmentation du pourcentage d’entreprises appartenant à des femmes, soit 37,8% (statistique publiée par la Banque mondiale, 2014), plus encore au Québec avec 39,8% (Indice entrepreneurial québécois 2017), l’entrepreneuriat demeure un objet d’étude qui présente essentiellement un modèle homogène et plus souvent masculin. Il suffit de faire quelques recherches sur le Web à propos des entrepreneurs les plus célèbres ou d’écouter la télévision, notamment l’émission Dans l’oeil du dragon, pour s’en rendre compte. 

C’est même inconsciemment que ce modèle se présente à nous, incluant les personnes sensibilisées à cette réalité. À ce sujet, laissez-moi vous raconter une anecdote. L’année dernière, ma collègue Mariper a publié un livre intitulé La relève entrepreneuriale: le parcours de vingt repreneurs (JFD Éditions, 2016). Sur sa page couverture figure un homme seul, se tenant bien droit et regardant l’horizon. N’ayant pas réalisé ce détail sur le coup, Maripier ne manque pas une occasion depuis de mentionner l’importance d’aller au-delà de ce modèle unique. 

Déconstruire quelques mythes
Cette anecdote n’est pas si surprenante, car plusieurs croyances ou mythes subsistent autour de la construction du modèle entrepreneurial. Par exemple, pour démarrer une entreprise, il est implicite que la personne devra travailler durant de nombreuses heures, au prix du sacrifice de sa vie familiale, voire de sa santé. Cette prémisse sur la dissociation entre la famille et le projet entrepreneurial a forcément comme conséquence d’en exclure bon nombre de gens, particulièrement les femmes.

Pourtant, nos recherches démontrent que la famille, que ce soit les parents, le conjoint ou les enfants, occupe une place centrale dans la vie des entrepreneurs, particulièrement chez les femmes. À titre d’illustration, je trouve utile de rappeler que, dans encore beaucoup de pays, les femmes ne peuvent bénéficier d’un prêt à la banque sans l’autorisation de leur père ou de leur mari.

Un autre mythe engendré par ce modèle est celui qui soutient que l’ensemble des secteurs d’affaires sont accessibles à toutes les personnes qui souhaitent démarrer une entreprise et que la confiance en soi, en ce sens, est suffisante. Nos recherches montrent au contraire que les réalités contextuelles ont une incidence importante sur le démarrage d’une entreprise.

En Afrique du Sud, il suffit de parler à une jeune femme noire, mère de famille et vivant dans les townships pour comprendre qu’il lui sera ardu de trouver du temps pour suivre les formations à l’entrepreneuriat ou pour obtenir du financement. Sans parler des difficultés qu’elle aura pour trouver de la main-d’œuvre qualifiée dans sa communauté. Au Québec, les réalités contextuelles sont aussi à considérer, étant donné que toutes les personnes ne bénéficient pas des mêmes ressources, des mêmes disponibilités, des mêmes réseaux, des mêmes avantages liés à la géographie, etc.

Des données plus actuelles
Comme autre mythe, il n’est pas rare d’entendre que les femmes seraient moins intéressées par les réseaux d’affaires, qu’elles prendraient moins de risques et qu’elles ne rechercheraient pas le profit. Là encore, sont-ce réellement des comportements associés aux femmes? Ou cela découle-t-il plutôt du fait qu’historiquement, les femmes ont été majoritairement présentes dans les secteurs à faible taux de croissance comme celui des services?

Des enquêtes présentées lors de la Semaine mondiale de l’entrepreneuriat nous apportent à ce sujet des données qui vont à l’encontre de certaines croyances. En effet, l’Indice entrepreneurial québécois 2017 a permis de constater que les jeunes, particulièrement les femmes, ont plus que jamais l’intention de se lancer en affaires et qu’il y a autant de femmes nouvellement propriétaires d’entreprise (51,4%) que d’hommes. Un portrait de l’entrepreneuriat à l’Université Laval3 indique aussi que les personnes intéressées par la création d’entreprise visent une amélioration de leur statut social et qu’un pourcentage important de jeunes (41%) souhaitent le faire en équipe.

Enfin, les personnes rencontrées dans le cadre de notre recherche se sont beaucoup exprimées sur l’importance de leur contexte de vie, d’une approche en équipe, de la création de valeurs sociales et de la conciliation travail-famille. Force est de constater que la performance en affaires ne se mesure pas uniquement pour eux par les indicateurs traditionnels (profits, chiffre d’affaires, emplois créés). Ils misent sur d’autres indicateurs plus qualitatifs tels que l’épanouissement personnel, la conciliation travail-vie personnelle, la participation à la communauté, la responsabilité sociale, le développement durable, etc.

Vers une approche contextualisée et collective
Cette nécessité de mettre de nouveaux modèles entrepreneuriaux de l’avant nous a amenées à questionner les organismes de soutien sur leurs pratiques innovantes correspondant davantage à cette réalité. Bien qu’il existe plusieurs de ces organisations, nos recherches ont montré qu’il semble difficile d’offrir des services qui vont au-delà du modèle traditionnel.

Une de ces bonnes pratiques serait de considérer davantage le contexte spécifique4 et différencié des entrepreneurs, particulièrement leur situation personnelle et familiale. Il importe aussi de repenser l’approche majoritairement individuelle, actuellement privilégiée, pour une approche plus collective. Au lieu d’offrir un service standardisé, axé principalement sur les capacités individuelles, cette nouvelle approche permettrait la création de stratégies et d’activités permettant la mobilisation et l’engagement des différentes parties prenantes de l’écosystème entrepreneurial5.

En d’autres mots, il faut éviter de former les personnes indépendamment de leur contexte de vie, puisque le démarrage de l’entreprise dépend en majeure partie des ressources et des appuis présents dans leur milieu, que ce soit la famille, les institutions financières, la main-d’œuvre disponible, les autorités politiques, etc.

Il sera toujours nécessaire de travailler directement avec les personnes en matière de formation et d’accompagnement. Plus encore, une perspective contextuelle nous amène à tenir compte des inégalités et des facteurs limitant l’accès aux activités (par exemple, la distance entre le lieu de résidence et celui de formation, les ressources économiques, la charge familiale, l’analphabétisme, etc.). L’accompagnement doit permettre d’aller au-delà du strict contenu d’affaires en abordant des thèmes tels que la santé, la conciliation travail-famille, la gestion du stress, le harcèlement, les stéréotypes, etc.

Lumière sur les nouvelles formes d’entreprises
Cette approche plus collective et contextualisée qui émerge chez certains des organismes de soutien rencontrés, ainsi qu’une diversité de modèles entrepreneuriaux, mérite certainement d’être davantage mise de l’avant. Avec Maripier et d’autres collègues, nous travaillerons en ce sens avec la publication prochaine d’un livre portant sur le soutien aux femmes entrepreneures.

Nous souhaitons également entamer un nouveau projet de recherche visant à répertorier et à documenter des modèles entrepreneuriaux émergents et diversifiés. C’est vrai qu’il y a davantage d’entreprises innovantes et socialement responsables qui démarrent avec toutes sortes de profils (femmes, équipes mixtes, jeunes, personnes immigrantes, Autochtones) et qu’on nous les présente à l’occasion. Mais nous souhaitons en connaître encore plus sur ces nouvelles formes d’entreprises! Si vous en êtes, n’hésitez pas à me faire part de votre expérience, elle m’intéresse!

1 Enablis est une ONG créée en Afrique du Sud en 2003 pour soutenir les entrepreneures dans les pays en développement et émergents. Cette ONG a reçu l’aide du gouvernement canadien.

2 Qui a mené à la rédaction d’un rapport pour le Conseil du statut de la femme et d’un article scientifique portant sur l’entrepreneuriat féminin autochtone en plus de permettre des rencontres avec diverses personnes au sein d’organismes de soutien.

3 Réalisé par Maripier Tremblay en novembre 2017

4 Inspiré des travaux de Welter, F. (2011). «Contextualizing entrepreneurship-conceptual challenges and ways forward». Entrepreneurship Theory and Practice, 35 (1), 165-184.

5 Cet écosystème représente l’ensemble acteurs et éléments du macro et du micro environnement des entreprises.

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