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Photo de Sophie Brière

La place des femmes dans le monde juridique

Avant de travailler sur un projet de recherche portant sur les cabinets d’avocats au Québec, je ne connaissais à peu près rien au monde juridique. J’étais toutefois très intéressée à découvrir cet univers qui me paraissait à l’opposé du milieu dans lequel j’ai fait une bonne partie de ma carrière, soit le développement international. Quel contraste, en effet, de me retrouver dans une grande tour à Montréal, avec une vue imprenable sur la ville, des œuvres d’art sur les murs, des personnes élégamment vêtues et plein de ressources. Bref, je me disais: «Quel beau milieu de travail!» Pas surprenant que les facultés de droit soient si prestigieuses, que les programmes de formation au Québec soient contingentés et que les salles de classe de la Faculté de droit de l’Université Laval soient bondées d’étudiants et, surtout, d’étudiantes1. D’ailleurs, depuis 2015, le Barreau du Québec compte plus de femmes que d’hommes2. Je me disais tout simplement que les femmes avaient flairé la bonne affaire! Quelle ne fut pas ma surprise en découvrant une situation tout autre.

avocates

La recherche dont je vais vous parler est toute récente. Elle s’est traduite par une recension des écrits et la réalisation d’une cinquantaine d’entrevues auprès d’avocates, d’avocats et de gestionnaires de grands cabinets au Québec. Accompagnée de ma collègue de la Faculté de droit, Anne-Marie Laflamme, et d’un doctorant de la même faculté, Antoine Pellerin (tous 2 des avocats ayant pratiqué dans un cabinet et connaissant mieux la situation que moi), je souhaitais recenser de bonnes pratiques en matière d’égalité. L’objectif poursuivi était de documenter la situation dans les cabinets ciblés et de proposer un accompagnement dans l’implantation de mesures facilitant la rétention des employés et la progression de carrière.

Quand la réalité frappe
Les études sur le sujet démontrent qu’il reste encore beaucoup de travail à faire. Saviez-vous que les avocates du Québec ne sont pas aussi bien rémunérées que leurs confrères? On ne parle pas ici d’un petit écart, puisque le taux horaire médian des hommes est entre 151$ et 200$ alors que celui des femmes se situe entre 101$ et 150$. De plus, les avocates quittent la profession beaucoup plus tôt que leurs confrères (en moyenne à 49 ans comparativement à 61 ans chez les hommes)3 et le modèle actuel de la pratique privée est peu propice à la conciliation travail-famille.

Lors des entrevues, nous avons découvert plusieurs raisons qui expliquent cette situation préoccupante. Parmi elles, les objectifs élevés d’heures facturables des cabinets, les exigences en matière de développement de la clientèle et la valorisation d’un dévouement total envers la pratique qui forcent les employés à travailler de très longues journées, ce qui est loin de rendre facile la vie des parents de jeunes enfants. Nous avons également appris qu’il arrive que des avocates perdent leurs dossiers lors d’un congé de maternité et doivent repartir à zéro lors de leur retour. Il a aussi été surprenant de constater qu’il est très difficile de devenir associé d’un cabinet, puisque la structure de rémunération basée sur le nombre d’heures facturables permet difficilement à de jeunes avocates et avocats, affairés notamment à concilier vie personnelle et vie professionnelle, de grimper les échelons.

J’ai également appris que le Barreau du Québec connaît bien cette réalité et qu’il travaille depuis un bon moment à établir des pistes de solution. Le projet Justicia, lancé en 2011 de concert avec plusieurs grands cabinets, a permis d’élaborer 9 guides destinés à favoriser une profession plus égalitaire et une meilleure conciliation travail-famille. Parmi les recommandations contenues dans ces guides, il y a des pistes concrètes. Par exemple, prendre le temps de vérifier les attentes des avocats et des avocates avant le début de leur congé parental: Souhaitent-ils être informés des événements sociaux du bureau pendant leur congé? Aimeraient-ils continuer à participer aux activités de réseautage? Sont-ils intéressés à se prévaloir des activités de perfectionnement offertes par le bureau? Ces guides proposent également d’établir, d’un commun accord, la façon de répartir les dossiers actifs pendant le congé parental et de permettre aux nouveaux parents de travailler selon un horaire flexible au retour de leur congé. Cela dit, il n’y a pas que le Barreau qui a réfléchi sur le sujet, puisque plusieurs bonnes études ont aussi été réalisées sur les constats et les solutions possibles4.

Malheureusement, de telles solutions ne sont pas automatiquement implantées dans les milieux de pratique, ce qui peut donner l’impression que les changements ne sont pas réellement possibles. Pourtant, lors de cette étude, j’ai découvert qu’une démarche de changement sur le terrain était réalisable. Nous avons effectivement pu compter sur la participation assidue des dirigeants et des membres du personnel d’un des cabinets qui participaient à notre projet de recherche. J’ai constaté leur volonté de prendre part aux différentes étapes de la collecte des données, leur ouverture à parler franchement des difficultés rencontrées dans leur profession et l’énergie qu’ils consacraient à implanter des changements. L’objectif de ce blogue étant de partager de bonnes pratiques pour différents types d’organisation, en voici quelques-unes issues de l’expérience de ce cabinet.

Une démarche concrète
Dans le cadre de la recherche, le premier exercice de ce cabinet de grande envergure a été d’amorcer une collecte de données sur la situation des avocates au sein de leur organisation: Combien sont associées? Combien siègent au sein des hautes instances? Combien quittent et après combien de temps? Le salaire des avocates est-il équivalent à celui de leurs homologues masculins?

Le fait d’avoir préalablement pris soin de dresser un bilan de la situation et d’avoir discuté de la problématique avec les employés a permis au cabinet de mieux cibler ses interventions. Par la suite, des mesures concrètes ont été expérimentées et implantées; par exemple, miser sur le travail en équipe afin de partager la réalisation des dossiers et le suivi auprès du client.

Après quelque temps, contrairement à la croyance qui veut que le client souhaite toujours parler à la même personne, il a été constaté que les clients apprécient ce mode de fonctionnement qui leur donne accès à un bassin d’expertise. Ce travail en équipe, combiné à des horaires de travail flexibles et réalistes, favorise également la conciliation travail-famille, puisqu’une personne peut partager son travail et joindre l’équipe à son retour de congé. Cette façon de faire a évidemment nécessité de revoir le mode de rémunération. À l’heure actuelle, la pratique dominante consiste à évaluer le rendement des employés en fonction du nombre d’heures qu’ils facturent et de leurs activités de développement de la clientèle. Cependant, ces variables ne rendent pas compte d’autres contributions telles que le travail en équipe, le mentorat, la publication d’articles juridiques, la supervision de stagiaires, la préparation et l’animation de conférences, etc. Ce cabinet, qui souhaite encourager ce type de contributions, a amorcé une réflexion sur la possibilité de convertir en heures facturables une portion du nombre d’heures consacrées à de telles responsabilités.

Finalement, cette incursion dans le monde juridique m’a permis de vivre une expérience organisationnelle enrichissante et, avec le travail assidu de mes 2 collègues de la Faculté de droit, de rendre un milieu de travail plus égalitaire. Il faut toutefois que cette expérience soit partagée et qu’un dialogue constructif s’amorce autour de ces nouvelles pratiques afin que davantage de cabinets implantent des changements profitables à tous points de vue. Vos réflexions et vos expériences sont les bienvenues!   

1 65% lors de la dernière année universitaire.

2 du Québec, Barreau-Mètre 2015 – La profession en chiffres, Montréal, 2015.

3 Id.

4 Par exemple, Association du Barreau canadien et Bertha Wilson, Les assises de la réforme: égalité, diversité et responsabilité: aperçu et recommandations, [Ottawa], Association du Barreau canadien, 1993; Diane-Gabrielle Tremblay et Elena Mascova, Les avocates, les avocats et la conciliation travail-famille, Montréal, Éditions du rémue-menage, 2013; Laura Slater, Beyond bias: unleashing the potential of women in law, 2017.

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