Dialogue sur l’égalité au travail
Publié le 26 avril 2018 | Par Sophie Brière
Femmes en politique: le rôle des organisations
À quelques mois des élections provinciales, la place des femmes en politique est évidemment d’actualité. Que ce soit le débat sur les quotas1, celui sur la promotion de la parité2 ou encore le récent sondage lancé par le gouvernement du Québec sur les femmes en politique3, l’intérêt pour le sujet n’est pas prêt de s’estomper.
Pour ma part, je lis avec attention tout ce qui s’écrit à ce propos. Je constate qu’au centre des discussions, on ne met pas suffisamment l’accent sur le travail que pourraient accomplir les organisations politiques. Pas seulement pour attirer des femmes dans leurs rangs, mais pour changer leurs pratiques afin de les adapter à la réalité des femmes et des hommes qui souhaitent exercer cette profession tout en ayant un équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie familiale.
Un milieu hermétique
Dans ce billet, j’aurais bien aimé vous présenter, comme j’en ai l’habitude, des résultats de recherche collectés directement sur le terrain, mais je n’ai pas eu cette possibilité. Les partis politiques n’aiment pas beaucoup être sous la loupe des chercheurs. Leur fonctionnement est comme une boite noire très difficile à ouvrir! Cela explique que la majorité des études produites sur le sujet4 présentent des portraits statistiques ou encore des résultats d’enquêtes auprès de femmes qui ont fait de la politique et qui ont quitté le milieu depuis. Ces études cherchent à documenter les obstacles qu’elles ont rencontrés et les stratégies qu’elles ont adoptées pour parvenir à exercer leur profession.
Par ailleurs, malgré la richesse des démarches faites par certains groupes indépendants, dont le Groupe Femmes, Politique et Démocratie, pour préparer les femmes à se lancer en politique, force est de constater que la représentation féminine évolue lentement dans le domaine au Québec. L’Assemblée nationale compte seulement 33 femmes sur 121 membres (27%). Au niveau municipal, elles représentent 32% des personnes élues, dont seulement 17% de mairesses5.
Des règles à inventer
Dans ce contexte, il y a des parallèles pertinents à faire avec les recherches menées par mon équipe et moi dans d’autres secteurs professionnels traditionnellement masculins. Par exemple, comme c’est le cas dans les milieux de la finance et juridique, le discours véhiculé pour expliquer la faible représentation des femmes en politique porte principalement sur leur déficit de compétences (voir mon billet précédent) plutôt que sur le retard qu’accusent les organisations à implanter des changements qui corrigeraient la situation.
À cet effet, un récent rapport du Conseil du statut de la femme6nous apprend qu’à l’Assemblée nationale, les personnes élues sont inadmissibles au Régime québécois d’assurance parentale et qu’aucun autre congé de remplacement n’est officiellement prévu.
Or, les élus doivent siéger au moins 94 jours par année. Cela implique des déplacements qui les éloignent de leur domicile durant plusieurs mois. Les élus s’expriment avec peu de détails sur cette grande difficulté à concilier leur horaire de travail avec leur vie de famille. On dirait que le sujet est tabou et qu’en parler serait un signe de faiblesse, de manque d’ambition ou de désorganisation. Pourtant, les difficultés liées à cette conciliation demeurent bien réelles, même pour les hommes. L’arrêt de travail pour épuisement du ministre Luc Fortin, en 2016, en est une illustration. Cet événement aurait pu, il me semble, donner lieu à une réflexion des partis politiques sur la nécessité de se réorganiser plutôt que de traiter le repos forcé du ministre comme un cas isolé.
De plus, le recrutement, qui fonctionne selon des méthodes plutôt informelles en politique, désavantage les personnes moins actives dans les réseaux, ce qui est le cas des femmes. Nous avons démontré dans nos recherches sur la nomination de femmes aux conseils d’administration (CA)7 que des changements sur le plan des pratiques de recrutement sont nécessaires. L’adoption de la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État a permis d’augmenter de façon significative la représentation féminine dans les CA. Cette loi a favorisé la sélection de profils sur la base de compétences, forçant les recruteurs à sortir de leur réseau habituel. Un administrateur nous a mentionné à cet effet: «Nous avons commencé par modifier notre liste de candidats. Des efforts particuliers ont été faits et d’autres membres ont collaboré avec moi. Nous avons appelé des personnes en dehors de notre cercle et leur avons demandé si elles pouvaient suggérer 3 ou 4 candidates. Aujourd’hui, nous avons une liste d’une cinquantaine de candidates potentielles.»
Enfin, en ce qui a trait au climat de travail, les récents épisodes d’inconduite sexuelle ont montré de façon surprenante qu’il n’existait pas de règles officielles en la matière au sein des organisations politiques.
Pour des changements durables
Nos études réalisées dans divers secteurs professionnels ont déjà démontré que se pencher sur les stratégies individuelles est nettement insuffisant pour assurer la parité hommes-femmes. La progression et la rétention des femmes dans les entreprises deviennent possibles lorsque les entreprises adaptent leurs pratiques organisationnelles.
Ainsi, plutôt que d’interroger les femmes sur ce qui les fait hésiter à se lancer en politique, sur ce qu’elles craignent et sur les difficultés rencontrées lors d’une campagne électorale8, il serait beaucoup plus porteur de sonder les organisations politiques sur cette question, principalement les partis et les différentes chambres électives. Selon leurs représentants, quels éléments clés facilitent le recrutement des femmes? Qu’est-ce qui devrait être changé dans les conditions d’emploi pour faciliter leur parcours? Quelles modifications peuvent être apportées aux processus de travail? Comment favoriser un meilleur climat? Que faut-il faire pour améliorer la conciliation travail-vie personnelle ? Quels mécanismes peuvent être mis en place pour permettre un accompagnement individuel et un meilleur accès des femmes aux postes de décision?
Selon moi, cette démarche permettrait de collecter de nouvelles données au sein d’organisations, plus encore auprès des personnes qui peuvent réellement modifier les pratiques et la culture organisationnelle pour assurer des changements durables. On a souvent l’impression, et cela me semble plus marqué en politique, que des changements à cet effet sont impossibles. Que ce sont les individus qui doivent s’adapter et faire des sacrifices, surtout celui de ne plus avoir de temps à consacrer à sa vie personnelle et familiale. Le documentaire La politique n’est pas un jeu d’enfants, réalisé il y a quelques années par Karina Marceau, nous a durement exposé cette réalité qui est loin de rassurer les parents ou les futurs parents qui songent à faire de la politique. Malgré cela, on peut se demander ce qui a été fait pour améliorer la situation, sachant que ces enjeux sont persistants.
Dans ce contexte, et considérant que des changements sont possibles et porteurs dans la mesure où ils sont identifiés et implantés par les organisations elles-mêmes, une recherche-action sur le sujet en partenariat avec les organisations politiques m’apparaît une avenue à explorer. Aussi, tout comme l’ont démontré certaines études9, la mise en place de quotas n’aura pas l’effet escompté; de telles mesures quantitatives prises sans changements organisationnels pour les accompagner amènent peu de résultats tangibles. En d’autres mots, c’est une chose d’attirer des femmes en politique, encore faut-il que les organisations puissent leur permettre d’y faire carrière sans devoir sacrifier tout le reste.
1 http://plus.lapresse.ca/screens/2156f5f9-c08b-4a79-a573-5d80b3e798e4%7C_0.html?utm_medium=Facebook&utm_campaign=Internal%2BShare&utm_content=Screen ↩
2 https://www.csf.gouv.qc.ca/speciale/femmes-en-politique/ ↩
3 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1059930/assemblee-nationale-questionnaire-femmes-politique ↩
4 Tremblay, Manon, 2013, «Hitting a glass ceiling? Women in Quebec politics», dans Linda Trimble, Jane Arscott et Manon Tremblay (sous la dir. de), Stalled: The representation of women in Canadian governments, Vancouver, UBC Press, p. 192–213. Rinfret, Natalie, Francine Tougas, Joëlle Laplante et Ann M. Beaton, 2014, «Être ou ne pas être en politique: quelques déterminants de l’implication des femmes», Politique et Sociétés, vol. 33, p. 3- 22.; Schneider, Monica C., Mirya R. Holman et Amanda B. Diekman,
2016, «How gendered views of political power influence women’s political ambition», Political Psychology, vol. 37, p. 515–531. ↩
5 Conseil du statut de la femme (2017) La place des femmes en politique au Québec, mémoire disponible en ligne https://www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/memoire_femmes_politique_quebec_web.pdf ↩
6 Conseil du statut de la femme (2017) La place des femmes en politique au Québec, mémoire disponible en ligne https://www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/memoire_femmes_politique_quebec_web.pdf ↩
7 Brière, S.,Rinfret, N., Lee-Gosselin, H., Villeneuve, M. (2018).«Impact of the presence of women on public sector and private corporations in Québec: What may be learned from the multiple discourses of board members?» International Journal of Corporate Governance, 9; 1; 1-22. ↩
8 Voir le questionnaire en ligne lancé par la Commission des relations avec les citoyens en octobre 2017. ↩
9 Bertrand, M. S., Black, S. J. and Lleras-Muney, A. (2014). «Breaking the Glass Ceiling? The Effect of Board Quotas on Female Labor Market Outcomes in Norway», NBER Working PaperNo. 20256, June. ↩
Publié le 27 avril 2018 | Par Sophie Brière
Merci beaucoup pour ces commentaires. Il est vrai qu’une masse critique de femmes peut faire changer les choses, mais les expériences dans d’autres types de professions, comme celles des inspectrices ou des agentes de services correctionnels (voir les billets à ce sujet), montrent que des changements organisationnels doivent aussi être mis en place. Par exemple, des changements au plan des processus de recrutement, des processus de travail et des conditions de travail facilitent l’avènement et surtout la rétention des femmes de façon durable. Dans ce contexte, il est vrai qu'une législation est une mesure pertinente qui permet un recrutement rapide. On l’a vu dans le cas des agentes de services correctionnels, puisque cette profession était ciblée dans le programme d’accès en emploi du gouvernement du Québec. Cela dit, notre étude de cas a montré que l’organisation a aussi dû apporter des changements au plan des pratiques et de la culture organisationnelle pour faciliter leur parcours et leur maintien dans l’organisation. Sinon, les femmes entrent dans la profession, mais y progressent difficilement ou la délaissent graduellement comme c’est le cas des policières actuellement (voir mon billet à ce sujet). Je pense aussi que des changements au plan des organisations politiques donneraient un signal aux femmes que cette carrière est possible tout en ayant des enfants et une vie personnelle. L’exemple du milieu juridique peut être inspirant puisque ce domaine, tout comme celui de la politique, exige un dévouement total à la profession. Dans ce cas-ci, les femmes sont majoritaires à y entrer et, pourtant, elles progressent difficilement ou quittent en plus grand nombre la profession. Nos recherches ont permis de constater que les cabinets qui ont commencé à changer leurs pratiques, notamment pour faciliter la conciliation travail-famille, permettent aux femmes de progresser et de demeurer dans le domaine.
Publié le 27 avril 2018 | Par Esther Lapointe
Je suis tout à fait d'accord avec l'idée que les organisations politiques doivent changer leurs façons de recruter et d'agir avec les femmes. Cependant, pour y arriver il faudrait que les femmes composent au moins 40% de ces organisations pour avoir l'influence requise pour ces changements. Or, comment faire pour y arriver s'il n'y a pas d'obligations? L'exemple de la loi imposant la parité aux conseils d'administration des sociétés d'État démontre pourtant l'aspect positif d'une telle mesure. Au GFPD, nous avons retourné la question de tous bords tous côtés depuis presque 20 ans et nous en sommes arrivées à croire qu'il faut légiférer en cette matière, non seulement pour atteindre la parité mais pour la conserver.
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