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Photo de Martin Dubois

Architectures de glace

Le Carnaval de Québec nous ramène chaque année le palais de Bonhomme, pièce maîtresse des festivités, bâti entièrement en glace. La 60e édition de ce festival hivernal qui vient de s’achever a puisé une fois de plus dans la tradition pour offrir aux carnavaleux une touche de féérie qui plaît autant aux petits qu’aux grands. Qui, dans son enfance, n’a pas construit de châteaux forts dans la neige ou joué à la Guerre des tuques? Voilà une autre preuve que les Québécois savent tirer parti de l’hiver et s’y adapter, comme je l’avais démontré dans un billet précédent.

Le palais de glace 2014 érigé à la place de l’Assemblée-Nationale. Photo Marielle Frigault.

Le palais de glace 2014 érigé à la place de l’Assemblée-Nationale. Photo Marielle Frigault

L’architecture éphémère que constitue le palais du Carnaval, construit que pour le temps des festivités, a évolué avec le temps: tantôt de glace, tantôt de neige, le palais a pris à certaines occasions des formes plus abstraites et s’est déplacé à différentes endroits de la ville. Avec le concours international de sculpture sur neige, l’une de mes activités favorites, la construction du palais de glace démontre le savoir-faire d’artistes et d’artisans qui sculptent et façonnent de l’eau gelée, ce qui n’est pas banal!

Une tradition «châteauesque»

Même si le Carnaval tel qu’on le connaît aujourd’hui a débuté en 1955, il prend ses origines d’éditions précédentes, notamment dans celles de 1894 et de 1895 où la construction de palais de glace sur les fortifications de la ville est déjà un élément central des festivités. En cette fin de 19e siècle, en pleine période victorienne, l’architecture inspirée de l’époque médiévale est à son apogée avec la conservation des vieux murs et la volonté de donner à Québec une image plus pittoresque. Plusieurs édifices construits un peu plus tôt à Québec, dont la porte Saint-Louis (1878), le manège militaire (1888) et le château Frontenac (1892) arborent des formes empruntées aux châteaux et aux forteresses du Moyen Âge ou de la Renaissance: tourelles, échauguettes, meurtrières, créneaux et mâchicoulis. Ce mouvement a été si important qu’il est un peu devenu un élément distinctif de Québec, communément appelé le «style Château». Il est donc normal qu’on s’inspire de ce genre architectural alors très à la mode pour la construction d’un palais de glace destiné à égayer les citoyens.

Lorsqu’on ressuscite de façon permanente le Carnaval dans les années 1950, on récupère cette tradition quelque peu nostalgique des palais de glace, surtout qu’elle sied bien à la thématique principale qui régit les activités carnavalesques, soit celle de la monarchie avec les duchés, les duchesses et le couronnement de la reine. L’imposante construction de glace de 1955 comptait même un donjon utilisé pour enfermer, le temps d’une plaisanterie, les carnavaleux qui n’arboraient pas l’effigie de Bonhomme!

Il est possible de voir, sur le site du Carnaval de Québec, un diaporama des différents palais au fil du temps. On peut notamment constater que le vocabulaire médiéval des châteaux a persisté, que ces derniers soient érigés à la place D’Youville ou devant l’hôtel du Parlement. Si les palais sont construits en blocs de glace de 1955 à 1978, c’est en blocs de neige compactée qu’ils sont bâtis de 1979 à 1992. Ce matériau permettait de créer des structures plus monumentales, mais les palais de neige résistaient moins bien aux aléas de la température et peinaient à demeurer majestueux le temps du Carnaval. On revient donc à la glace à partir de 1993, permettant du même coup de mieux exploiter les jeux de lumière grâce à la transparence et à la capacité de réflexion de cette matière.

Palais de glace aux formes plus abstraites conçu en 1964 par l’architecte Jean-Marie Roy et construit à la place D’Youville. Photo collection Jean-Marie Roy.

Palais plus abstrait conçu en 1964 par l’architecte Jean-Marie Roy  à la place D’Youville. Photo collection Jean-Marie Roy

Parmi l’ensemble des 60 palais érigés à travers les années, j’avoue que j’ai un faible pour les formes un peu plus audacieuses qui s’éloignent de l’image des châteaux «à la Walt Disney». Les palais des années 1962 à 1965, conçus par des architectes bien en vue, étaient particulièrement réussis, tout comme ceux de 1996 et de 1997 ainsi que celui de l’an 2000, conçu par l’architecte Pierre Thibault et intitulé «La ligne du Temps». Les efforts que fait actuellement l’organisation du Carnaval pour rajeunir son image pourraient également passer par davantage d’innovations en ce qui a trait au palais de glace. Les possibilités sont infinies et la contribution des meilleurs créateurs de la capitale est souhaitable pour tenter de réinventer le produit. Certains carnavals d’Asie, notamment celui de sculpture sur glace et sur neige d’Harbin en Chine, ont poussé à l’extrême le potentiel artistique de cette architecture éphémère.

L’hôtel de glace

Le palais du Carnaval n’est pas la seule construction éphémère en eau gelée que compte la ville de Québec durant l’hiver. Depuis quelques années, l’hôtel de glace, qui est en fait majoritairement construit en neige, attire de nombreux visiteurs. Après avoir été construit à la station touristique de Duchesnay à Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier de 2001 à 2010, l’hôtel de glace est depuis 2011 érigé sur le site de l’ancien jardin zoologique dans l’arrondissement de Charlesbourg. Inspiré d’un concept scandinave, il est avant tout un produit touristique. Même si on pourrait reprocher à cet hôtel de peu exploiter les traditions architecturales d’ici, notamment celles des igloos des peuples inuits, il a tout de même le mérite de mettre en vedette et d’exploiter notre nordicité. De plus, depuis plusieurs années, un concours offre aux architectes de la relève l’occasion de concevoir une suite thématique de l’hôtel. Ainsi, des étudiants de l’Université Laval, de l’UQAM, des universités McGill et de Montréal peuvent voir leur idée réalisée par les artistes et les artisans du projet. C’est donc une idée intéressante qui positionne encore plus Québec comme ville d’hiver sur le plan touristique. Et même si, comme moi, cette saison n’est pas votre préférée, avouez que toutes les initiatives pour mieux exploiter notre or blanc contribuent à mieux l’apprécier.

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  1. Publié le 2 mars 2016 | Par jissy

    Merci de nous avoir donné une fois de plus le goût de faire de l'architecture...

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