Impressions d'architecture
Publié le 15 octobre 2014 | Par Martin Dubois
Une architecture béton!
Je ne suis pas le seul à penser que le béton est un matériau révolutionnaire pour l’architecture et le génie du 20e siècle, bien qu’il soit mal aimé de la population en général; le magazine Continuité, consacré au patrimoine québécois, a récemment publié un numéro intitulé «Sortir du moule» qui porte entièrement sur le béton1. Je profite de cette sortie pour tenter, comme dans l’un de mes premiers billets, de réhabiliter le béton en tant que matière qui a stimulé la création de plus d’un architecte et qui mérite une meilleure reconnaissance pour ses nombreuses possibilités.
Du ciment romain au béton à haute performance
Les premières structures en béton datent de l’Antiquité alors que les Égyptiens et les Grecs fabriquaient des mortiers pour leur construction. Ce sont toutefois les Romains qui développent le plus le mortier hydraulique qui, avec un savant mélange de chaux, de sable, de fragments de pierre et d’eau, forme un matériau solide comme la pierre en durcissant. Après la chute de l’Empire romain, ce savoir-faire se perd, et il faut attendre au 19e siècle avant de voir apparaître de nouvelles formes de béton dans la construction. Dès le brevet du ciment Portland en 1824 et l’invention du ciment armé (structure de fer enrobée de ciment) en 1845, le béton tel qu’on le connaît aujourd’hui commence sa fulgurante ascension.
En architecture, c’est toutefois au 20e siècle que le béton devient le matériau par excellence et participe à la création de nouveaux styles inscrits dans la modernité. Il évolue rapidement durant cette période, ce qui améliore sa performance et sa résistance. L’avènement du béton précontraint (1929), des bétons à haute performance (années 1980) et du béton fibré à ultra-haute performance (années 1990) permet de pousser toujours plus loin les limites de cette matière. Contrairement aux matériaux plus traditionnels, on peut donner n’importe quelle forme au béton qui est moulé dans des coffrages plus ou moins complexes ou injecté dans sa forme la plus liquide dans des endroits restreints.
Ici comme ailleurs, les architectes du 20e siècle ont grandement exploité le béton pour sa résistance, ses propriétés ignifuges, la variété des formes et des textures qu’il peut adopter ainsi que sa simplicité de mise en œuvre. Parfois coulé sur place, parfois préfabriqué, le béton offrait des possibilités qu’aucun autre matériau n’avait pu offrir jusqu’alors. L’expérimentation architecturale avec ce matériau dont on ne connaissait pas le comportement à long terme a parfois donné des résultats peu convaincants, mais a aussi donné lieu à des chefs-d’œuvre aujourd’hui reconnus et protégés, comme l’ensemble Habitat 67 à Montréal (Moshe Safdie, 1960-1970) ou le musée Guggenheim à New York (Frank Lloyd Wright, 1959).
Le béton, ce mal-aimé
Tant aimé des architectes, mais boudé par la population, le béton souffre probablement de l’abus qu’on en a fait dans les années 1960 et 1970, surtout à Québec où on a l’impression que ce matériau, qui a la réputation d’être gris et froid, était le seul disponible durant cette période. Il est vrai que les architectes d’alors n’en avaient que pour cette matière qui permettait de construire plus vite, plus haut et plus grand à un moment où les besoins en bâtiments étaient énormes, à commencer par les immeubles gouvernementaux, les écoles et les hôpitaux qui devaient être à l’image d’un État moderne et prospère.
En plus de la surabondance des structures tout béton, d’autres facteurs peuvent expliquer la mauvaise réputation de cette matière qui a le dos bien large. Le coût astronomique de certaines infrastructures comme le stade olympique ou l’aérogare de Mirabel, en grande partie lié à des problèmes de corruption dans le milieu de la construction ou au fait que leur gigantisme était injustifié par rapport aux besoins, rejaillit négativement sur le béton. Par ailleurs, le fait que plusieurs constructions modernes en béton aient nécessité la démolition de quartiers ou de bâtiments patrimoniaux, comme les immeubles de la colline Parlementaire à Québec ou la tour de Radio-Canada à Montréal, participe également au sentiment d’hostilité envers ce matériau tant associé à l’architecture de la modernité. Bien sûr, parmi le nombre incalculable de bâtiments construits en béton au Québec, une grande proportion est constituée de structures banales ayant peu d’intérêt.
Toutefois, quelques immeubles se démarquent par leur qualité plastique et architecturale. La professeure émérite France Vanlaethem, qui signe l’article «Armé pour bâtir» dans le dernier numéro de Continuité, propose justement 10 joyaux bruts parmi ces bâtiments remarquables, dont l’église de Saint-Marc à Saguenay (Paul-Marie Côté, 1955-1956), la tour de la Bourse de Montréal (Luigi Moretti et Pier Luigi Nervi, 1961-1965) et le Grand Théâtre de Québec (Victor Prus, 1965-1970).
Et ce matériau parmi les plus utilisés au monde n’est pas prêt de disparaître. Avec les avancées en recherche et en développement dans le domaine du béton, on améliore sans cesse ses propriétés. L’aspect environnemental est également à l’avant-plan, car la fabrication d’une tonne de ciment génère une tonne de CO2. Beaucoup d’efforts ont été faits ces dernières années pour réduire l’empreinte écologique de ce matériau. De plus, on recycle certaines matières, dont le verre, en l’intégrant au béton.
S’il est encore très présent aujourd’hui dans la composition des ponts et des chaussées québécoises, on utilise surtout le béton, en architecture, pour les structures qui sont plus souvent qu’autrement cachées par des enveloppes de verre, de métal ou de bois. Ce matériau n’est plus aussi à la mode qu’il y a quelques décennies et semble actuellement vivre son purgatoire auprès du grand public. Je lui prédis toutefois un retour en force dans un avenir plus ou moins rapproché. Et on pourrait être surpris de ce qu’on peut maintenant en faire. Finies les structures massives, froides et grises. Bienvenue aux constructions légères, expressives et colorées!
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