Impressions d'architecture
Publié le 20 mai 2015 | Par Martin Dubois
Histoire de briques
L’une des façons d’aborder les réalisations architecturales passe par la matière dont elles sont composées. Qu’elles soient de pierre, de bois, de brique, de béton, de métal, de verre ou de tout autre matériau composite rendu possible par les avancées technologiques, elles sont avant tout le résultat d’un assemblage de matières qui leur donne à la fois leur solidité, leur aspect et leur forme. C’est à la suite de ma participation à une publication de la Ville de Québec, qui sortira plus tard dans l’année, où j’ai rédigé un texte sur les matériaux utilisés en architecture, que m’est venue l’idée d’une série de billets sur ce thème. Je vous propose, pour celui-ci, de scruter un matériau que j’affectionne tout particulièrement: la brique. J’aime la brique pour sa chaleur, son aspect robuste, sa texture et sa polyvalence. Elle pare autant des immeubles patrimoniaux que des bâtiments neufs. Elle s’agence à peu près à tous les styles et est l’un des matériaux de construction les plus fréquemment utilisés sur la planète. Tour d’horizon de cette matière façonnée à même le sol.
La brique dans tous ses états
Matériau très ancien utilisé autant par les Égyptiens que par les Romains, la brique façonnée ou moulée à partir de terre argileuse pétrie, séchée ou cuite, peut avantageusement remplacer la pierre. Au Québec, la brique ne devient un matériau de construction répandu qu’à partir du 19e siècle. En Nouvelle-France, elle est plutôt rare et sert presque exclusivement à la construction de foyers, de cheminées et de fours à pain grâce à sa bonne résistance aux variations de chaleur que subissent ces ouvrages (qualité réfractaire). Il n’existe alors que quelques briqueteries locales, comme celle qu’on trouvait dans le quartier Limoilou et qui exploitait l’argile en bordure de la rivière Saint-Charles. Cette entreprise artisanale produisait des briques, des tuiles et de la poterie dont la cuisson s’effectuait dans des fours en plein air. La rue de la Briqueterie rappelle d’ailleurs l’emplacement de cette fabrique disparue vers 1765.
À partir de la fin du 18e siècle, ce matériau entre en force dans l’architecture québécoise avec l’arrivée des Britanniques, chez qui la tradition de construire en brique est beaucoup plus répandue que chez les Français. Au 19e siècle, une bonne partie des briques à construire sont d’abord importées des îles Britanniques et servent notamment de lest pour stabiliser les grands voiliers venus s’approvisionner en bois à Québec. Vendue dans le port, cette maçonnerie beige-ocre, appelée brique d’Écosse, revêt encore plusieurs maisons du Vieux-Québec et des quartiers limitrophes, ce qui n’est pas sans donner un petit air anglais à la ville.
Rapidement, devant l’engouement de ce matériau facile à assembler, de nouvelles briqueteries locales apparaissent et remplacent les méthodes artisanales de production par des procédés industriels. La brique de teinte rougeâtre devient alors la plus commune. Les conduits en grès, la terre cuite et les tuiles d’argile sont d’autres produits de construction similaires fabriqués par moulage.
La brique d’argile, aux différentes teintes naturelles allant du jaune ocre au brun foncé en passant par tous les tons de rouge, sert autant pour les structures massives en maçonnerie (murs pleins composés de plusieurs rangs de brique) que pour revêtir des immeubles à charpente de bois (un seul rang de brique). La disposition, l’alternance ou l’alignement des briques en panneresse (côté long de la brique) ou en boutisse (côté court de la brique), assemblées à l’aide de mortier, peut créer différents motifs appelés appareils (communs, anglais, flamands, etc.). Bien qu’elle n’ait pas le même prestige que la pierre, la brique acquiert peu à peu ses lettres de noblesse grâce à ses propriétés ornementales pour atteindre son apogée à l’époque victorienne. En effet, le talent des maçons et des briqueleurs permet de réaliser des ouvrages des plus élaborés en sculptant véritablement des façades ornementales.
Dans la 2e moitié du 19e siècle, la brique commence à être utilisée pour tous les types de bâtiments: banques, églises, écoles, commerces, institutions, etc. Elle occupe toutefois une place privilégiée dans l’architecture industrielle. En effet, l’industrie est friande de ce matériau aux formes et aux dimensions standardisées, fabriqué à peu de frais et incombustible, pour revêtir les usines et les manufactures et ériger de hautes cheminées. Ces bâtiments présentent même des motifs décoratifs et des corniches ornementales faits d’un agencement de briques de diverses couleurs ou de jeux de reliefs et de bandeaux en saillie.
À la suite de plusieurs incendies dévastateurs, les habitants peu fortunés des faubourgs de Québec reconstruisent de modestes maisons en bois, mais les revêtent de brique. L’utilisation de ce matériau économique, ininflammable et durable changera du tout au tout la couleur de ces quartiers en leur forgeant une nouvelle identité architecturale très forte, qu’ils possèdent encore aujourd’hui. Au début du 20e siècle, les promoteurs immobiliers des nouveaux quartiers comme Montcalm et Limoilou utilisent également la brique comme principal matériau qui en devient une caractéristique identitaire.
La provenance des briques à la fin du 19e et au début du 20e siècle est malheureusement mal connue au Québec. Il existe en effet peu de recherches sur le sujet. On sait que les briqueteries étaient nombreuses pour satisfaire à la demande et que certaines sont devenues d’importantes industries employant des centaines de travailleurs. La compagnie La Brique Citadelle, située à Boischatel, juste à l’est de Québec, est l’une des plus connues de la région. L’histoire de l’industrie de la brique reste toutefois à faire…
La brique: matériau moderne et contemporain
Contrairement à d’autres matériaux traditionnels comme le bois et la pierre, qui ont été supplantés par de nouvelles matières (acier, béton, etc.) à mesure qu’avançait le 20e siècle, la brique s’est plutôt bien adaptée aux changements et a su conserver sa place dans la création architecturale. Par exemple, avec la tendance Art déco, la brique «américaine» de couleur jaune est entrée dans la construction de plusieurs édifices modernes aux lignes épurées. Les briques vernissées, émaillées, texturées ou polychromes sont également devenues populaires, en particulier dans certaines églises modernes. Les bungalows nord-américains qui ont poussé par milliers dans les banlieues de nos villes ont fait une belle place à la brique, à l’instar de l’architecte américain Frank Lloyd Wright qui avait popularisé ce type d’habitat en utilisant allègrement cette maçonnerie polyvalente.
Avec la multiplicité des produits qui la déclinent aujourd’hui en divers formats, couleurs et textures, dont l’emploi du béton plutôt que l’argile comme matière première, la brique est encore largement utilisée dans les créations architecturales contemporaines. Son aspect durable et ses diverses possibilités en font un matériau intemporel.
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3. Le bois où on ne l’attendait plus
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Publié le 21 mai 2015 | Par Francine Chassé
Enfin quelqu'un qui s'intéresse à la brique comme matériau et la trouve intéressante et en quelque sorte noble!
Nous avons, à notre Société historique, eu un conférencier il y a quelques années. Il s'agit d'un briqueleur qui nous as dit en connaître l'histoire. Je l'ai donc invité à venir faire une conférence chez nous. Il est venu, mais il n'a jamais rapporté la brique qu'il a utilisée pour sa démonstration. La voulez-vous?
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